par Christine H. Gueye.
Alors que des bruits de bottes retentissent entre l’Égypte et la Turquie en Libye, Sputnik donne la parole à une minorité noire, les Toubous, à cheval sur la Libye, le Tchad et le Niger. Soumaine Mahamat, président de l’Association pour la paix et la médiation au Sahara, estime qu’il faut laisser les Africains tenter une médiation. Entretien.
La débâcle militaire subie le 5 juin dernier en Tripolitaine, l’ouest libyen, par le maréchal Khalifa Haftar fait peser la menace d’une nouvelle escalade de violences. Les menaces, côté égyptien, d’une intervention militaire si un cessez-le-feu n’entre pas en vigueur pour geler l’avantage repris par Tripoli et son soutien turc, compliquent un peu plus le conflit.
Pour Soumaine Mahamat, un Toubou né au Tchad, mais dont toute la famille vient de la ville de Mourzouq, considérée comme la capitale des Toubous libyens dans la région du Fezzan, qui est leur fief, la défaite de Haftar, l’homme fort de la Cyrénaïque, marque un véritable tournant dans ce conflit :
« L’usage de la force a montré ses limites. Les troupes de Haftar sont enlisées depuis un an et, aujourd’hui, en déroute. Il y a eu beaucoup de défection dans ses rangs de généraux qui ne veulent plus combattre dans une guerre injuste », a déclaré au micro de Sputnik France le président de l’Association pour la paix et la médiation au Sahara (APMS) qui aide les migrants subsahariens bloqués au Niger et, notamment, à Agadez.
Aussi, préconise-t-il une « solution africaine à la crise libyenne » qui a éclaté, en 2011, avec la chute de Mouammar Khadafi.
« L’Union africaine n’a toujours pas été consultée dans le dossier libyen. Au lieu de se réunir dans un grand hôtel de Tripoli pour discuter dans le vide, les différentes puissances occidentales et autres, devenues entre temps parties prenantes au conflit, feraient mieux de laisser faire les Africains », critique Soumaine Mahamat.
Pour lui, l’Algérie a la meilleure approche pour trouver une solution finale à cette « guerre intestine » entre factions rivales en Libye. Celle-ci consiste à ne donner l’avantage, sur le terrain, ni au gouvernement d’union nationale de Fayez el-Sarraj, le seul reconnu par la communauté internationale, ni à l’Armée nationale libyenne (ANL) qui obéit au Maréchal Haftar, lequel a fait allégeance au gouvernement de Tobrouk, à l’est. Pour le militant toubou, il s’agirait de les convaincre de négocier autour d’une table sous médiation de l’Union africaine.
Citant le cas de la Tunisie, « qui a déjà beaucoup pâti du conflit », il estime que les pays voisins de la Libye sont ceux « qui ont le plus à perdre dans cette guerre ». Ils devraient donc être « les plus impliqués », préconise-t-il.
Triple punition de l’Afrique
C’est aussi l’avis de Acheikh ibn Oumar, ancien ministre tchadien des Affaires étrangères, aujourd’hui conseiller diplomatique à la présidence du Tchad. Du fait de la présence d’ethnies touboues et touarègues au Tchad, le conseiller d’Idriss Déby estime que son pays est bien placé pour une mission de bons offices.
« Nous devrions être davantage impliqués dans le règlement de la guerre en Libye », a proposé ibn Oumar lors d’une conférence en ligne consacrée à ce pays, le 19 juin dernier.
Lors du conflit entre le Tchad et la Libye entre 1978 et 1987, la querelle entre les deux pays avait porté sur la bande d’Aozou qui sépare les deux pays et, pour laquelle, la France avait apporté son soutien à N’Djamena. Alors qu’un accord avait finalement pu être trouvé, non sans mal, avec Mouammar Kadhafi, la remise en cause par le maréchal Haftar des frontières actuelles de cette bande, située au sud du territoire libyen, inquiète au plus haut point les Tchadiens.
D’où, sans doute, leur souhait que le « problème » avec Tripoli soit réglé une fois pour toute. D’autant, comme le rappelle l’ancien ministre, qu’à l’époque le dirigeant libyen avait fini par accepter un plan de paix élaboré par l’UA, « mais dont les puissances occidentales n’ont pas voulu entendre parler ». Ce plan, selon lui, prévoyait « un départ en douceur du Guide de la Révolution libyenne », au lieu du chaos qui a suivi le déboulonnement de son régime dans un raid franco-britannique, s’insurge-t-il.
« À la suite de quoi, sur ce dossier libyen, l’UA est devenue comme Cendrillon. Elle a été minimisée, marginalisée et punie triplement à cause de la politique [occidentale, ndlr] de défiance contre Kadhafi », déplore l’ex-ministre tchadien.
Pour lui, en effet, la chute de Kadhafi a résulté, en plus de la circulation des armes, du réveil des antagonismes entre les communautés et des conflits entre la plupart des pays voisins de la Libye, dont ont su jouer les terroristes d’Al-Qaïda et de Daech*, en un vrai problème existentiel pour cette région. « La plupart de nos États, déjà très fragiles, sont aujourd’hui, menacés dans leur existence même », insiste-t-il.
Il y aurait trois avantages, selon lui, à mieux écouter l’Afrique dans ce conflit : sa neutralité, ses bons rapports avec toutes les parties prenantes au conflit « y compris Israël », insiste-t-il, ainsi que sa proximité et son Histoire commune avec la Libye.
« Nous connaissons bien la mentalité de nos frères libyens. Or, dans ce conflit, il y a une part psychologique importante avec, souvent, un raidissement des susceptibilités », commente-t-il.
La guerre de Haftar contre les Toubous
Soumaine Mahamat préfère quant à lui parler d’une grande solidarité entre les Toubous du Tchad, de la Libye et du Niger, les trois pays où ils se répartissent. « Ce qui se passe en Libye me préoccupe plus que ce qui se passe au Tchad », explique-t-il.
Environ 400 000 Toubous vivent en Libye sur une population de 6,5 millions d’habitants, affirme-t-il. Marginalisés par le pouvoir de Kadhafi, qui les avait dépouillés de leurs droits fondamentaux comme le droit à la citoyenneté, « ce qui est contraire au droit international », insiste le militant toubou, ils sont ensuite devenus la cible du maréchal Haftar.
« À Mourzouq, en février 2019, les troupes du maréchal Haftar ont massacré des civils toubous innocents. Une soixantaine de personnes ont péri dont une trentaine de jeunes gens qui ont été tués lors de ces raids », dénonce le président de l’Association pour la paix et la médiation au Sahara (APMS) au micro de Sputnik France.
Et ce malgré le fait que les Toubous soient restés à équidistance aussi bien du pouvoir de Benghazi que de celui de Tripoli depuis la chute de Kadhafi, déplore-t-il.
Ainsi, le combat des Toubous, aujourd’hui, c’est de faire en sorte que la Libye soit « pacifiée et réunifiée » dans les meilleurs délais, espère-t-il.
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