Par Paul Street, l’auteur de nombreux livres, dont Ils sont au pouvoir : les 1% contre la démocratie (Routledge, 2014) et Les habits neufs de l’Empereur : Barack Obama dans le monde réel du pouvoir (Routledge, 2011).
Source : RT, 30 mai 2020
Traduction : lecridespeuples.fr
NOTE du Cri des Peuples : la dichotomie Blancs / Noirs de cet article peut avantageusement être remplacée par celle entre les oppresseurs et les opprimés, d’autant plus que les manifestations aux Etats-Unis dépassent largement les barrières raciales. La violence policière cible davantage les minorités, mais n’épargne aucune catégorie du peuple.
L’ampleur massive des manifestations déclenchées par le meurtre par la police d’un homme noir à Minneapolis révèle les racines de la discrimination américaine, à savoir le malheur économique et le pillage « légal » par la classe dirigeante, démultipliés au milieu de la pandémie de Covid-19.
Le meurtre d’un homme noir de 46 ans, George Floyd, par un policier blanc à Minneapolis a déclenché une vague de protestations violentes enracinées dans quelque chose de plus grand qu’un incident terrible de brutalité policière raciste.
Malheureusement, il n’y a rien de nouveau dans les manifestations de masse des Noirs à la suite du meurtre d’un homme noir non armé par un policier blanc aux États-Unis au 21e siècle. Des marches massives et des confrontations avec la police et (dans certains cas) la Garde Nationale ont suivi les « assassinats policiers » d’Eric Garner (New York, juillet 2014), Mike Brown (Ferguson, Missouri, août 2014), Walter Lamar Scott (North Charleston, Caroline du Sud, avril 2015), Freddie Gray (Baltimore, avril 2015), Philando Castille (Falcon Heights, Minnesota, juillet 2016) et Keith Lamont Scott (Charlotte, Caroline du Nord, septembre 2016).
Troubles à grande échelle récurrents
Avec le meurtre de Floyd, cependant, la réponse est allée au-delà des discours, marches et affrontements habituels des « Black Lives Matter ». Minneapolis a connu quatre jours et nuits de troubles civils, avec plus de 100 bâtiments endommagés ou pillés. Les troubles ont inclus des introductions par effraction dans des points de vente de biens de première nécessité et d’autres biens (« pillages »), et des incendies criminels, y compris l’incendie remarquable du commissariat de police de Minneapolis où étaient basés les quatre policiers complices de la mort de Floyd.
Le maire blanc de la ville a été contraint de présenter des excuses pour le meurtre, et le gouverneur du Minnesota a reconnu le « racisme institutionnel » alors même qu’il déployait la Garde Nationale pour étouffer la rébellion.
Je ne peux pas rester les bras croisés et regarder cela arriver dans une grande ville américaine, Minneapolis. Un manque total de leadership. Soit le maire très faible de la gauche radicale, Jacob Frey, se ressaisit et met la ville sous contrôle, soit j’envoie la garde nationale et je fais le travail correctement…..
…. Ces RACAILLES déshonorent la mémoire de George Floyd, et je ne laisserai pas cela se produire. Je viens de parler au gouverneur Tim Walz et je lui ai dit que l’armée était à ses côtés en permanence. A la moindre difficulté, nous prendrons le contrôle, mais quand le pillage commence, les tirs commencent. Je vous remercie !
Donald Trump a utilisé les réseaux sociaux pour menacer les foules de meurtres de masse autorisés par l’État en tweetant que « lorsque le pillage commence, les tirs commencent », un commentaire que Twitter a qualifié de « glorification de la violence ». La phrase de Trump est un propos célèbre des ségrégationnistes du sud qui réprimaient les manifestations noires durant les années 1960 [C’est le verbatim du chef de la police de Miami, Walter Headley, qui avait promis de violentes représailles aux manifestants noirs en 1967. Il avait également déclaré : « Cela ne nous dérange pas d’être accusés de brutalité policière. Ils n’ont encore rien vu. »].
Puisque personne dans les médias américains traditionnels ne veut l’admettre, rappelons que le pillage est une activité régulière et très organisée de la classe dirigeante aux États-Unis. Le récent plan de sauvetage bipartisan de 2 200 milliards de dollars suite à la pandémie de coronavirus (adopté avec une aumône dérisoire pour aider la majorité de la classe ouvrière du pays) n’en est que le dernier exemple. « Combien », m’écrit le militant de gauche Doug Selwyn, « ont pillé les riches, c’est-à-dire volé grâce à des cadeaux fiscaux et des renflouements… des milliards… sans réelle protestation ? » (Aucune, du moins depuis que l’administration Obama et les gouvernements des villes démocratiques ont décidé de réprimer le mouvement Occupy Wall Street à l’automne 2011.)
La rébellion « Dites son nom, George Floyd » s’est propagée de Phoenix à Columbus, Denver, Memphis, Los Angeles et d’autres villes américaines, avec des milliers de personnes convergeant dans les centres-villes et marchant sur les capitales des États. Des coups de feu ont éclaté dans de nombreuses villes, y compris à Louisville, où la foule s’est levée contre les tirs mortels contre une femme noire de 26 ans, Breonna Taylor, abattue chez elle en pleine nuit par la police le 13 mars. Dans le centre-ville de Columbus, les manifestants ont occupé les principales artères, brisé les fenêtres de la maison d’État de l’Ohio, brisé les devantures de magasins et pénétré par effraction dans le supermarché DGX, une filiale de Dollar General.
https://www.facebook.com/mamlito.pablito/videos/1059696087873582/
Finalement, les protestations ont atteint la capitale, où des gaz lacrymogènes ont été pulvérisés sur les manifestants devant une Maison blanche fermée à clé.
Pourquoi cette intensité spéciale et prolongée des troubles civils après la mort de George Floyd ? Une partie de la destruction de propriété a été initiée par des Américains blancs de différentes couleurs idéologiques – y compris, allèguent certains, un officier de police de St. Paul agissant comme un agent provocateur en brisant les fenêtres d’un point de vente AutoZone. Les nationalistes blancs et les néofascistes de droite cherchent peut-être activement à déclencher la « guerre raciale » qu’ils préconisent depuis longtemps. Les anarchistes et antifascistes de gauche pourraient saisir une occasion de déclencher le chaos et la rébellion.
Désespoir économique
Pourtant, il va de soi qu’un nombre important d’Américains noirs auraient de raison de s’engager dans de graves troubles civils.
Le meurtre de Floyd, avec un policier blanc écrasant le cou de sa victime pendant au moins huit minutes, rappelle de façon obsédante le meurtre infâme et scandaleux d’Eric Garner par la police de New York. Comme Garner, Floyd était un homme d’âge moyen accusé d’une infraction non violente qui a supplié « Je ne peux pas respirer » tout en étant asphyxié par un officier blanc vicieux dans une agression odieuse filmée par un passant. [En France, rappelons le meurtre du livreur Cédric Chouviat par la police française le 3 janvier, ainsi que Ziyed, Bouna, Théo, Adama…]
Voir De Zyed et Bouna à Théo : les émeutes reprennent malgré 12 ans d’immobilisme
Le pillage des magasins de détail s’explique par le désespoir économique, ainsi que les violations des droits civils et humains. Le Covid-19, et la dépression économique que le coronavirus a provoquée aux États-Unis ont frappé des communautés noires déjà profondément appauvries et très ségréguées avec une virulence spéciale et tragique. L’avoir net médian des ménages noirs est de 17 600 $, contre 171 000 $ pour les ménages blancs. Les taux nationaux de chômage et de pauvreté des Noirs sont depuis longtemps au moins deux fois plus élevés que ceux des Blancs. Tandis que le taux de chômage officiel américain atteint 20% ou plus, on peut être sûr que les chiffres du chômage dans les ghettos noirs du pays sont beaucoup plus élevés que cela. Et les Noirs américains actifs sont concentrés de manière disproportionnée dans les emplois à bas salaire sans assurance maladie, ce qui n’est pas un mince problème alors que le Covid-19 fait des ravages spéciaux dans leurs quartiers.
Le fait que le poste le plus élevé du pays, la présidence américaine, soit aujourd’hui détenu par un raciste de longue date – un nationaliste blanc néofasciste qui a appelé la police à prédominance blanche du pays à « devenir dure » face aux communautés urbaines de Couleur, n’aide pas non plus. « Devenir dur » est un code pour passer à tabac, mutiler et tuer.
Le maire Jacob Frey de Minneapolis ne sera jamais confondu avec le regretté grand Général Douglas McArthur ou le grand combattant qu’était le Général George Patton. Comment se fait-il que tous ces endroits qui se défendent si mal soient dirigés par des libéraux-démocrates ? Devenez durs et combattez (et arrêtez les méchants). FORCE !
Les réflexions de Martin Luther King Jr. en 1966 sur les émeutes raciales du milieu des années 1960 s’appliquent bien au soulèvement « Dites son nom » de 2020. « Une émeute », a déclaré King, « est le langage des sans-voix… L’Amérique a n’a pas entendu… [que] la situation économique des pauvres Noirs s’est aggravée au cours des dernières années. »
Les émeutes noires sont des crimes, rendus possibles par le pillage blanc
Est-il vrai que les émeutiers noirs et les pillards dans les rues (compris si différemment par Trump et les autres pillards dans les suites d’hôtel) ne respectent pas la loi, comme les accusent leurs critiques blancs ? Oui, a répondu King à la radio nationale canadienne en 1967, ajoutant que les transgressions des émeutiers étaient des « crimes dérivés… nés des plus grands crimes des… décideurs de la société blanche », qui « ont créé la discrimination… créé des bidonvilles [et] perpétué le chômage, l’ignorance et la pauvreté… »
« L’homme blanc », a expliqué Martin Luther King, « ne respecte pas la loi dans le ghetto. Jour après jour, il viole les lois de protection sociale pour priver les pauvres de leurs maigres allocations ; il viole de façon flagrante les codes et règlements de la construction ; sa police se moque de la loi ; il viole les lois sur l’égalité d’emploi et d’éducation et la prestation de services publics. Les bidonvilles sont l’œuvre d’un système vicieux de la société blanche. »
Les émeutiers se sont-ils livrés à la violence ? Oui, a déclaré King en 1967, notant que leur agression était « à un degré saisissant… dirigée contre les biens plutôt que contre les personnes ». King a observé que « la propriété représente la structure du pouvoir blanc, que [les émeutiers] attaquaient [de manière compréhensible] et qu’ils essayaient de détruire. » Contre ceux qui considéraient la propriété « sacrée », King a fait valoir que « la propriété est destinée à servir la vie, et peu importe combien nous l’entourons de droits et de respect, elle n’a aucune identité personnelle. »
« Je rêve qu’un jour cette nation se lèvera et vivra le vrai sens de son credo : ‘Nous tenons ces vérités pour évidentes, que tous les hommes sont créés égaux’. » Citation de Martin Luther King, Tweet du Ministère des affaires étrangères de la République Islamique d’Iran.
Tous ceux qui condamnent par réflexe le « pillage » et la violence contre les biens exposés à Minneapolis, Columbus et ailleurs feraient bien de réfléchir au jugement du Dr King plus d’un demi-siècle plus tard. La destruction d’une fenêtre ou d’un bâtiment et l’appropriation sans paiement d’articles ménagers sont des délits mineurs par rapport au meurtre d’êtres humains et à l’enfermement de millions de personnes de couleur dans les ghettos et les prisons où sévissent la pauvreté, le chômage et la mauvaise santé, et où une pandémie mortelle propage la maladie et la misère économique avec une férocité extraordinaire.
« Le vol dont nous devons nous préoccuper », écrit William C. Anderson, « est le vol perpétré par un système qui crée le désespoir et où les personnes dans le besoin doivent aller prendre par elles-mêmes ce qui devrait être un droit garanti. »
La propriété n’est pas plus importante que la vie des Noirs. La loi non plus.
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