Ancien élève de l’École normale supérieure, Jean-Loup Bonnamy est agrégé de philosophie, et spécialiste de philosophie politique.
1995. La guerre civile fait rage en Yougoslavie, avec son cortège d’atrocités et de purifications ethniques. Dans la ville de Srebrenica, des miliciens exécutent 8 000 civils bosniaques. Pourtant la ville avait été classée «zone de sécurité» par l’ONU et le massacre se déroula sous l’œil impassible de 400 Casques bleus néerlandais missionnés par les Nations unies mais restés parfaitement passifs.
Rien de nouveau sous le soleil: en 1960, à propos de la crise au Congo-Kinshasha, le Général de Gaulle se moquait déjà de l’impuissance du «machin qu’on appelle l’ONU». Et dans Belle du seigneur, le romancier Albert Cohen, ancien diplomate, ironisait sur la Société des Nations (l’ancêtre de l’ONU) des années 30, impuissante face à l’agressivité hitlérienne.
L’immobilisme des organisations internationales face à la pandémie montre qu’elles n’ont pas progressé d’un iota.
On aurait légitimement pu croire que l’échec retentissant de Srebrenica amènerait enfin les Organisation internationales à s’interroger sur leurs limites et à se réformer pour gagner en efficacité. Or, l’immobilisme de ces Organisations face à la pandémie de Covid-19 montre qu’elles n’ont hélas pas progressé d’un iota.
Pour le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, l’épidémie que nous traversons est «le plus grave défi» que l’Organisation ait eu à affronter depuis sa création. De toute évidence, l’ONU a été dépassée par les événements. Comme d’habitude, serait-on tenté de dire. En effet, l’ONU retombe dans sa contradiction originelle. Elle est censée être une organisation impartiale, neutre et objective qui agit en vue de l’intérêt général de l’humanité. Mais en même temps, elle réunit des États qui ont chacun leurs propres intérêts. Ainsi, le Conseil de sécurité de l’ONU est composé de cinq membres permanents, disposant chacun de moyens pour bloquer toute initiative qui lui déplairait. Dans un contexte de nouvelle Guerre froide entre la Chine et les États-Unis, l’ONU est paralysée. La Chine bloque les initiatives américaines, les États-Unis bloquent les initiatives chinoises.
Par ailleurs, quelle crédibilité accordée à l’ONU quand on connaît l’histoire de l’épidémie de choléra qui a ravagé Haïti de 2010 à 2018? Cette épidémie fut importée par des Casques bleus bangladeshis, ce que l’ancien Secrétaire général Ban Ki-moon a fini par reconnaître. Mais, pendant plusieurs années, l’ONU nia toute implication et paya des experts pour produire de faux rapports indiquant qu’il s’agissait d’une maladie endogène, ce qui gêna considérablement la compréhension de la situation et la lutte contre l’épidémie.
Face au Covid-19, l’OMS a été particulièrement pathétique, achevant de ruiner sa crédibilité, y compris en Occident.
L’OMS ne se porte guère mieux et est aussi engluée dans les scandales: réaction beaucoup trop tardive face à Ebola (2014-2015), influence des lobbys pharmaceutique, très mauvaise gestion de l’épidémie de Grippe H1N1 (2009). Sur ce sujet un rapport pointait déjà du doigt: «les graves lacunes de l’OMS pour la transparence des processus de décision, ce qui soulève des préoccupations sur l’éventuelle influence de l’industrie pharmaceutique.» Face au Covid-19, l’OMS a été particulièrement pathétique, achevant de ruiner sa crédibilité, y compris en Occident. En effet, l’influence chinoise est très forte au sein de l’Organisation. Fin janvier, au moment même où les autorités chinoises dissimulaient un certain nombre d’informations cruciales, faisaient pression pour ne pas déclarer d’urgence internationale, jetaient les lanceurs d’alertes chinois en prison et fermaient le laboratoire de l’Université Fudan (Shanghaï) qui avait partagé le génome du virus, le directeur de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, élu grâce à l’appui de la Chine, félicitait Pékin pour sa transparence. De même, l’OMS a assuré la promotion internationale de la pratique du confinement (c’est-à-dire du modèle choisi par la Chine, pays totalitaire, pour lutter contre l’épidémie) et a suivi les exigences chinoises en refusant de redonner un siège d’observateur à Taïwan. Pourtant, Taïwan aurait apporté une expertise très utile, basée sur son bilan spectaculaire dans la lutte contre l’épidémie: fermeture des frontières, dépistage massif, isolement des malades, port du masque, aucun confinement et seulement six morts. De même, la bureaucratie de l’OMS ne préconise pas le port du masque en expliquant, contre toute évidence, que le masque pourrait créer un «faux sentiment de sécurité qui pousserait au relâchement dans l’application des gestes barrières». On n’imagine pourtant mal la Sécurité routière déconseiller le port de la ceinture de sécurité sous prétexte que cela pousserait à faire des excès de vitesse.
Court-circuiter les organisations internationales n’implique pas de renoncer à la coopération interétatique.
Ne croyons pas que la coopération internationale passe uniquement par les Organisations internationales et que sans elles nous serions réduits à la guerre et à une autarcie digne de l’Allemagne hitlérienne ou de la Corée du Nord. Le monde n’a pas eu besoin de l’ONU pour conclure le Traité de Westphalie (1648) mettant fin à la Guerre de Trente ans qui ravageait l’Europe, ni pour sceller le Traité de Vienne (1814), ni pour empêcher que la Crise des fusées soviétiques à Cuba ne dégénère en guerre nucléaire (1962) ni pour assurer le retrait américain du Vietnam (1973). Quand les États veulent faire la paix, ils s’assoient autour d’une table sans s’encombrer de l’ONU. De même, nous avons cru que l’Union européenne facilitait la construction de géants industriels. On prend souvent l’exemple d’Airbus pour illustrer ce principe. Or, au contraire, la constitution d’Airbus n’a absolument pas mobilisé l’échelon européen. Il s’agissait d’une coopération directe et bilatérale, d’État à État, entre la France et l’Allemagne. Si on avait dû passer avec l’UE, avec son idéologie, ses lenteurs et ses normes tatillonnes, Airbus n’aurait probablement jamais vu le jour. Court-circuiter les organisations internationales n’implique pas de renoncer à la coopération interétatique avec d’autres pays.
Nous devons réagir à l’offensive chinoise.
Face au naufrage des institutions internationales, la vieille géopolitique de la puissance fait son grand retour. Ainsi, les initiatives «solidaires» lancées par la Chine auprès de l’Afrique ou par la Russie auprès de certains pays européens (notamment l’Italie) sont autant d’occasions pour ces puissances de développer leur influence et de se constituer des clientèles. Pour la Russie, il s’agit simplement de susciter les sympathies occidentales en vue d’obtenir une levée des sanctions européennes qui pèsent sur elle, ce qui n’a rien d’effrayant. Par contre, l’objectif chinois est plus inquiétant. On peut y voir non seulement une entreprise de communication destinée à faire oublier la calamiteuse gestion de crise du PCC, mais également une tentative d’assujettir une partie du globe. Face à cette offensive chinoise, nous devons réagir ; certes sans agressivité ni provocation, mais avec fermeté. Il s’agit de développer nos partenariats sanitaires avec l’Afrique pour y court-circuiter l’influence chinoise, de relocaliser notre production et de protéger nos entreprises et notre patrimoine technologique contre les offensives chinoises. Et pour cela nous n’avons besoin de l’ONU ni de l’OMS.
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