Par M.K. Bhadrakumar – Le 19 janvier 2025 – Source Indian Punchline
Le président Joe Biden, le Premier Ministre Benjamin Netanyahu et leur principal agent à la Maison Blanche, le Conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan, ont largement sous-estimé l’action réflexe et rapide du Président élu Donald Trump pour démolir leur complot démoniaque visant à déclencher une guerre contre l’Iran en attaquant ses installations nucléaires juste avant l’investiture du nouveau président.
Trump était sur ses gardes quant à la “réelle possibilité” que l’équipe Biden crée un alibi pour attaquer l’Iran et déclenche une guerre régionale, peu avant le transfert de pouvoir, qui l’enliserait dans un bourbier et risquerait de faire dérailler les stratégies de politique étrangère de son administration.
Le fait est que c’est au Moyen-Orient que la présidence de Trump est menacée de s’enliser dans un bourbier de politique étrangère et militaire — pas en Eurasie ou en Asie-Pacifique, bien que les enjeux soient également élevés sur ces deux théâtres. Car la sécurité d’Israël concerne aussi la politique intérieure des États-Unis !
En effet, Trump a joué cool et a gardé ses pensées pour lui. Il a même laissé libre cours à la fanfaronnade de Netanyahu prétendant qu’il avait une relation spéciale avec Trump et que ce dernier avait prévu d’affronter militairement l’Iran.
Le choix par Trump de Steve Witkoff, un Juif, comme envoyé spécial pour le Moyen-Orient, était passé relativement inaperçu. Witkoff est un nouveau venu politique, inconnu dans l’équipe entrante de Trump, mais cela pourrait signifier la marginalisation de Jared Kushner et l’enterrement des Accords d’Abraham.
Certes, Witkoff, un milliardaire autodidacte (fils d’un fabricant de manteaux pour femmes à New York), est un choix intéressant car il n’a aucune expérience préalable en diplomatie internationale et son expertise réside dans la démolition de propriétés qui ont survécu à leur utilité, ériger de nouveaux édifices et en tirer des profits massifs — c’est-à-dire un promoteur immobilier et investisseur new-yorkais comme Trump lui-même. Trump connaissait ses talents de négociateur, sa ténacité à briser les murs de béton et à conclure des accords, et à créer des schémas innovants dans des conditions difficiles.
Trump a vu en Witkoff l’homme pouvant battre Netanyahu. C’était une situation sur mesure, car Trump était déterminé à ne pas hériter de l’impasse catastrophique que Biden laissait derrière lui en alliance avec Netanyahu – avec l’influence et le prestige américains au plus bas au niveau régional et la réputation d’Israël irrémédiablement endommagée au niveau international.
Witkoff a montré sa prestance, alors qu’il se rendait à Tel Aviv pour transmettre à Netanyahu l’étonnant message disant que Trump voulait qu’un accord à Gaza soit en place au moment de son entrée en fonction. La semaine dernière, la chaîne israélienne Channel 12 a rapidement annoncé que Trump avait envoyé un message aux responsables à Tel Aviv, exhortant Israël à éviter toute escalade « inutile » et à s’abstenir de déclarations susceptibles de conduire à des conflits régionaux, en particulier pendant la période de transition précédant le début de son administration.
Channel 12 a ajouté que « les collaborateurs de Trump ont informé les responsables israéliens que la nouvelle administration américaine visait à instaurer la stabilité au Moyen-Orient, en se concentrant sur la promotion de la “paix” entre Israël et le Liban et le maintien du cessez-le-feu en cours ».
Le rapport poursuivait en disant : « Lors de ses discussions avec des responsables israéliens, Trump a souligné qu’il n’avait aucune intention de s’engager dans de nouvelles guerres au cours des premiers jours de sa présidence, car il a l’intention de donner la priorité aux problèmes intérieurs des États-Unis.”
De toute évidence, Trump a senti que Netanyahu orchestrait un scénario apocalyptique pour lui forcer la main à un moment où Téhéran avait signalé à plusieurs reprises qu’il n’avait aucune intention de poursuivre un programme d’armes nucléaires et a juré de faire de 2025 l’année où la question nucléaire iranienne pourrait être réglée avec l’Occident. Le président Masoud Pezeshkian lui-même a pris cet engagement parallèlement à une offre de négociation avec les États-Unis. (Voir la fascinante interview de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak par Politico.)
Pendant ce temps, une puissante voix néoconservatrice est également apparue pour rationaliser les plans israéliens visant à pousser Trump sur la voie de la guerre. Elle s’est présentée sous la forme d’un essai dans le magazine Foreign Affairs, paru le 6 janvier, et rédigé par nul autre que Richard Haas du Council of Foreign Relations.
Haas est un acteur de premier plan dans l’establishment de la politique étrangère américaine et son article intitulé The Iran Opportunity visait à faire monter l’opinion contre Trump s’aventurant dans tout réchauffement avec l’Iran, comme il l’avait fait vis-à-vis de la Corée du Nord lors de son premier mandat. Haas transmettait le signal israélien.
Sur le fond, l’article de Haas était une énorme déception — une répétition des fantasmes et des mensonges qui ont présidé à la politique de Washington vis-à-vis de l’Iran au cours des quatre dernières décennies. Il est important de noter qu’en l’absence de preuves empiriques pour étayer cet argument, il a insisté sur le fait que l’Iran est une puissance très diminuée aujourd’hui après la prise de contrôle en Syrie par des groupes islamistes, et qu’une fenêtre d’opportunité s’était ouverte pour régler les comptes avec Téhéran. En somme, Haas a littéralement reproduit le récit israélien sous sa signature, une tromperie délibérée qui ne donne aucun crédit à sa réputation.
Cependant, Trump n’a pas aimé pas que Netanyahu le bouscule. Trump se souvient comment Netanyahu l’a mené par le bout du nez pour faire assassiner le haut général iranien Qassem Soleimani, puis s’est éclipsé à la dernière minute, dès le début de l’opération, laissant Trump faire face à la musique. (Fait intéressant, Pezeshkian a déclaré à NBC News dans une interview la semaine dernière que Téhéran n’avait jamais émis de fatwa contre Trump en raison de la mort de Soleimani.)
Trump ne se laissera plus emmener en balade par Netanyahu et a même retransmis explicitement sur Truth Special une remarque sévère à propos de Netanyahu (”un sombre fils de pute ») par le penseur stratégique américain, le professeur Jeffrey Sachs de l’Université Columbia dans un événement d’une heure organisé par l’Union de Cambridge au Royaume-Uni, le mois dernier.
Sachs a fait de nombreuses références au rôle central d’Israël dans le déclenchement de guerres régionales et a envoyé une alerte rouge à la nouvelle administration américaine pour l’avertir que Netanyahu était à nouveau en marche — cette fois, pour déclencher une guerre contre l’Iran — et que Trump ne devrait pas tomber dans ce piège.
Il ne fait aucun doute que le dernier accord avec Gaza a été littéralement enfoncé dans la gorge de Netanyahu par Witkoff. Selon des rapports israéliens, Witkoff a appelé le bureau de Netanyahu depuis Doha, où il campait pour demander une réunion à Tel Aviv le week-end dernier, mais seulement pour se faire dire que le vendredi était le jour du sabbat juif. Sur quoi, Witkoff aurait poussé un juron et immédiatement convoqué Netanyahu. Ce à quoi, bien sûr, Netanyahu s’est conformé. Soit dit en passant, l’approbation officielle du cabinet israélien pour l’accord de Gaza fut disponible dans les 24 heures qui ont suivi.
Maintenant, Witkoff, avec l’approbation de Trump bien sûr, “prévoit d’être une présence quasi constante dans la région pour tenter d’empêcher l’accord de se dénouer” et envisage une visite dans la bande de Gaza “dans le cadre de ses efforts pour maintenir un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas sur la bonne voie, selon un responsable de la transition ayant une connaissance directe du processus de cessez-le-feu.” (ici)
Trump regarde peut-être au-delà de l’accord sur Gaza. La réponse positive de Téhéran et des capitales arabes (ainsi que le soutien international écrasant) incite Trump à donner suite à l’affaire. Trump comprend que le Moyen-Orient s’est transformé complètement depuis qu’il a quitté ses fonctions et que le rapprochement irano-saoudien et le changement historique qui en résulte dans la stratégie saoudienne sont le changement crucial. (Voir un article stimulant dans Foreign Affairs, intitulé « La solution saoudienne ? Comment les liens de Riyad avec l’Amérique, l’Iran et Israël pourraient favoriser la stabilité »)
La grande question est de savoir jusqu’où Trump ira pour infléchir l’arc de l’histoire — en particulier, s’engagera-t-il avec Téhéran ? Sans aucun doute, les canaux arrières sont au travail — par exemple une réunion le 11 novembre dernier entre Elon Musk, proche conseiller de Trump et l’ambassadeur d’Iran à l’ONU. Toutes sortes de possibilités existent.
M.K. Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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