Gabbard sera-t-elle capable de diriger la « Communauté du Renseignement » ?

Gabbard sera-t-elle capable de diriger la « Communauté du Renseignement » ?

Par Ray McGovern – Le 14 novembre 2024 – Source Consortium News

La sélection de Tulsi Gabbard par le président élu Donald Trump au poste de directeur du renseignement national (DNI) provoque des ondes de choc dans et parmi les 18 fiefs qui composent désormais la communauté du renseignement américaine.

Gabbard mènera une bataille difficile si elle essaie de rassembler ces 18 départements en un tout cohérent et de restaurer l’intégrité de l’analyse du renseignement. La pente de la colline sera encore plus raide, si elle prend au sérieux son devoir d’avertir le président du retour de flamme souvent nocif des actions secrètes de la CIA. Je n’arrive pas à surmonter l’envie de citer « La Princesse Mariée » : « Bonne chance à l’assaut du château, Tulsi … Il faudra un miracle ! »

Bref, les chances sont contre elle. Qu’elle réussisse dépend, avant tout, de la force avec laquelle le président la soutient. Contrairement à la plupart des anciens DNI, elle a déjà fait preuve d’un courage peu commun, ainsi que d’intelligence et de compétences politiques.

D’un autre côté, elle n’a pratiquement aucune expérience de la gestion d’une grande institution, encore moins d’une “communauté” bien versée dans les guerres intestines pour protéger les bols de riz individuels, et peuplée de bureaucrates carriéristes trop habitués à dire au patron ultime, le président, ce qu’il veut entendre.

Le DNI est chargé de préparer le Briefing quotidien du Président (PDB), les Estimations du Renseignement national et l’évaluation annuelle des menaces requise par le Congrès. Ce qui est moins connu, c’est son rôle dans l’action secrète — un favori du service clandestin de la CIA.

Le décret exécutif 12333 (juillet 2008) stipule :

“Le Directeur du Renseignement national (DNI) supervisera et conseillera le président et le NSC en ce qui concerne tous les programmes d’action secrète en cours et proposés.”

Ma propre expérience suggère que ce devoir lié à l’action secrète a été plus honoré dans la violation que dans l’observance, pour ainsi dire. Le directeur du Renseignement central William Colby fut, d’après mon expérience personnelle, le seul directeur à donner aux analystes du renseignement un aperçu de certaines propositions d’action secrètes et à demander des commentaires. J’ai servi directement sous Colby en tant qu’officier du renseignement national par intérim au milieu des années 70.

La DNI Tulsi Gabbard (en supposant qu’elle soit confirmée par le Sénat) se chargera-t-elle de cette tâche ? Il faudra un courage peu commun. L’actuelle DNI, Avril Haines, a-t-elle été informée à l’avance que la CIA allait faire sauter les pipelines Nord Stream ? Si oui, lui a-t-elle donné sa bénédiction ? Ou a-t-elle été gardée dans le noir ?

Je suppose que la DNI Gabbard aurait rapidement reconnu la folie de cette attaque “faisable” par la CIA et aurait informé le président de ses implications à plus long terme. Elle écoute bien les analystes à qui elle demande de la briefer. Je le sais aussi par expérience personnelle en répondant à ses questions lorsqu’elle était l’une des représentantes d’Hawaï à la Chambre.

Il faut une personne courageuse, politiquement astucieuse et un soutien et une confiance solides de la part du président pour que tout DNI soit en mesure de remplir son devoir de “superviser et de fournir des conseils sur les programmes d’action secrète.”

Des programmes d’action secrète de grande envergure nécessitent une vérification de la santé mentale de la part d’analystes ayant une expertise substantielle, comme l’a montré une triste expérience. Rappelez-vous l’opération Bais des cochons d’avril 1961.  À la demande du président John Kennedy, l’historien Arthur M. Schlesinger Jr. a enquêté sur l’affaire. Sa conclusion, consignée dans un MÉMORANDUM POUR LE PRÉSIDENT daté du 30 juin 1961, parle d’elle-même :

« Le problème avec l’opération cubaine [Baie des Cochons], par exemple, n’était pas que les renseignements et les opérations étaient combinés, mais précisément que l’opération cubaine échappait au jugement systématique des renseignements. La Direction du renseignement (DDI) de la CIA n’a jamais été informée de l’existence de l’opération cubaine. Le Bureau des estimations nationales n’a jamais été invité à commenter l’hypothèse, par exemple, que le mécontentement avait atteint le point à Cuba où une opération de débarquement réussie provoquerait des soulèvements derrière les lignes et des défections de la Milice.

Je suppose que si son opinion avait été sollicitée, le DDI aurait donné une estimation tout à fait différente de l’état de l’opinion à Cuba que celle sur laquelle l’opération était basée. …

Le Bureau du Renseignement et de la Recherche du Département d’État en savait encore moins sur l’opération cubaine. »

Comme la plupart le savent, il y avait suffisamment de renseignements disponibles avant le 11 septembre pour l’empêcher. Mais le troupeau n’était pas rassemblé. La CIA ne partageait pas avec le FBI et vice versa. La NSA ne partagerait avec personne. Voici une histoire qui va vous retourner l’estomac.

Les comités de surveillance du Congrès ainsi que l’administration et la communauté du renseignement avaient non seulement l’intention de dissimuler ce qui s’était passé, mais devaient faire croire que des mesures correctives étaient prises.

Arrive la Commission du 11 septembre et ses recommandations. Ici, a-t-elle dit, repose le problème : George Tenet, en tant que directeur du renseignement central (chef de toute la communauté) ainsi que chef de la CIA était surchargé de travail.

En fait, Tenet était l’antithèse d’un chef efficace pour la communauté du renseignement ; il a foiré royalement. Mais il savait aussi où les corps étaient enterrés. Quels principaux responsables de l’administration et du Congrès avaient été exposés à certains des renseignements ignorés. Il n’a donc pas été jugé prudent de jeter le blâme là où il appartenait clairement.

Une fiction a été imaginée. L’histoire fut que “personne n’était responsable de la communauté du renseignement. » La Commission du 11 septembre a donc recommandé qu’une nouvelle superstructure soit créée pour coordonner la communauté (et que personne ne soit tenu pour responsable).

Le 22 juillet 2004, immédiatement après la publication du rapport de la Commission sur le 11/9, je m’étais retrouvé avec le commissaire (et ancien sénateur de Washington) Slade Gorton dans la salle bleue de la BBC à Washington. J’ai eu la témérité de lui rappeler qu’il était loin d’être vrai que “personne n’était responsable” de la communauté du renseignement, Tenet avait toute l’autorité nécessaire.

Gorton s’est tourné vers moi, a souri et a dit « Bien sûr, nous savons tout cela ; mais nous, à la Commission et au Congrès, devions simplement faire quelque chose pour que le peuple américain voie que nous faisions quelque chose.”

Beurk.

Le directeur national du renseignement et la bureaucratie nouvellement créée sont ce qu’ils sont. Peut-être que Tulsi Gabbard pourra en prendre les rênes et faire fonctionner la communauté. Mais il faudra un miracle ; espérons-en un.

Ray McGovern

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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