Par Christine Cuny − Le 25/10/2024
Le 3 novembre 1943 à Alger, l’Assemblée consultative provisoire se réunissait pour la première fois. Créée par l’ordonnance du 17 septembre 1943, elle représentait les mouvements de Résistance, les partis politiques et les territoires engagés dans la guerre au côté des Alliés, sous la direction du Comité Français de la Libération Nationale (CFLN). Créé en juin de la même année, celui-ci avait pour fonction, selon Sylvain Cornil-Frerrot, “de diriger l’effort français dans la guerre et d’exercer la souveraineté française.” 1
Or, lorsque nous consultons le site de l’Assemblée nationale, nous apprenons que…
“véritable Parlement de la Résistance, cette assemblée a alors pour mission de rendre des avis sur les décisions du Comité Français de la Libération Nationale. Largement méconnue, l’Assemblée consultative provisoire est pourtant selon Jean-Louis Crémieux-Brilhac [historien de la Résistance et résistant lui-même] l’assemblée parlementaire la plus singulière qu’ait connue notre pays depuis les assemblées révolutionnaires.” 2
A l’occasion de l’ouverture, ce 3 novembre 1943, de la session d’inauguration de cette Assemblée tout à fait particulière en tant qu’elle devait préparer la renaissance d’une France qui, depuis trois ans, subissait le joug fasciste, son président d’âge Georges Buisson avait déclaré, en présence des deux présidents du CFLN, les généraux Charles de Gaulle et Henri Giraud, et avec sans doute une certaine émotion…
Sans doute [la France] n’a-t-elle encore que l’expression rudimentaire, mais noble et courageuse, des comités de résistance. Mais demain quand des temps plus calmes seront revenus avec la victoire d’une France qui aura reconquis sa liberté et la maîtrise de ses destinées, quand se présentera la formidable tâche de reconstruire le pays libéré, quand il faudra rendre vivante et prospère notre Patrie aujourd’hui meurtrie, ensanglantée et asservie, il faudra le plus vite possible répondre au vœu impérieux de la nation, et reconstruire une démocratie formelle, assurant une consultation régulière de l’opinion et un respect de la volonté populaire. 3
Ainsi, la tâche de reconstruction de la France était-elle immense et elle avait besoin de toute l’énergie d’un peuple rénové…
La situation de notre monnaie, le problème démographique, celui de la santé publique, compromis par des années de privation et de misère, le ravitaillement, la reconstruction de l’industrie et de l’agriculture sont autant d’angoissants problèmes sur lesquels déjà le Comité [français de la Libération nationale] s’est penché avec attention. Mais pour réussir avec quelques chances de succès cette formidable tâche, il lui faut compter sur une administration dégagée au maximum du formalisme et de la routine, animée d’un esprit nouveau qui la place à l’unisson de la volonté populaire. 4
… Esprit nouveau… volonté populaire… Ces mots-là ne raisonnent-ils pas à nos oreilles comme le nom de… Jean Moulin et de ce qui fut et restera pour toujours son œuvre : le Conseil national de la Résistance… Comme autant de rêves entrevus, qui seraient à jamais perdus ?…
Pour ce qui la concerne, l’Assemblée consultative provisoire siègerait à Alger jusqu’au 25 juillet 1944 avant de se transporter après la Libération au Palais du Luxembourg à Paris, à partir du 7 novembre 1944. Elle clôturerait ses travaux le 3 août 1945 après avoir préparé les conditions d’élection de l’Assemblée nationale constituante.
Assemblée élue le 21 octobre 1945 et dont le rôle serait de donner une nouvelle Constitution à la France : porteuse du désir d’un peuple en résistance contre toute forme d’oppression, persuadé qu’une ère nouvelle ne pouvait que s’ouvrir devant lui, elle devait donner toute sa place à la… volonté populaire.
Pierre Cot, patron et ami de Jean Moulin dans le ministère de l’Air du Front populaire, participera, en tant que député, à la commission – dont il sera également le rapporteur -, chargée d’établir la constitution de la République française, dans une France de l’après-guerre travaillée, au plus profond d’elle-même, par des enjeux essentiels dont le caractère redoutable était encore exacerbé par la détresse et le marasme causés par cinq années de guerre et d’occupation nazie.
C’est ainsi qu’à la séance du 5 avril 1946, Pierre Cot exposa le projet de la commission dont l’élaboration avait nécessité plusieurs mois de travail et d’âpres discussions. Faisant référence au contexte particulier dans lequel les travaux de la commission avaient dû s’effectuer, il avait précisé que les membres de celle-ci s’étaient rendu compte “qu’il fallait très rapidement mettre debout un texte de constitution nouvelle, acceptable par une large majorité de Françaises et de Français, et qui permit au pays de sortir du “provisoire” actuel.” 5
Et il soulignait :
Ce projet n’est donc pas seulement une œuvre collective, c’est un compromis. (…) Dans la période actuelle de son histoire, la France est une maison où chacun doit faire un effort pour vivre en bonne entente avec ses voisins.” Ainsi, “dans un pays convalescent, souffrant encore du désordre moral et politique causé par la guerre, l’occupation et la dictature, alors que chacun doit refaire l’apprentissage de la liberté, on n’avait pas le droit d’agir autrement. 6
Certes, il s’agissait d’un compromis adapté à la situation du moment, mais en aucun cas, d’un quelconque retour à l’ordre ancien. Bien au contraire. Pierre Cot insistait bien sur ce qu’il y avait d’essentiel pour la France dans ce projet… pour le présent, comme pour l’avenir …
Au surplus, le projet de la commission n’est pas seulement une transaction honorable pour tous les partis attachés à la cause démocratique : il constitue aussi, on s’en rendra compte, un incontestable progrès sur l’ordre constitutionnel antérieur, et une transition vers l’ordre social et politique que les circonstances nous imposeront sur le plan national et dans le domaine international. 7
Après avoir exposé et commenté différentes rubriques du projet de constitution (sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir plus en détail), Pierre Cot concluait :
C’est l’Assemblée d’abord, le pays ensuite, l’histoire enfin qui concluera notre débat. C’est dans la mesure où la Constitution nouvelle sera, pour les femmes et les hommes de notre temps, un instrument de progrès et de liberté que nous aurons accompli notre tâche. S’il fallait résumer en quelques mots le projet de la commission, on pourrait le faire de la façon suivante : un compromis, un régime de transition, une extension en France et surtout au delà des mers du régime démocratique issu de la Révolution française…8
De celle, précisément, qui avait été portée jusqu’à ses dernières conséquences par Maximilien Robespierre, qui le paierait de sa vie… tout comme Jean Moulin paierait de la sienne sa foi profonde dans la souveraineté populaire.
Or, ce projet démocratique et progressiste d’une nouvelle Constitution pour la France, qui avait été adopté par l’Assemblée nationale constituante et qui portait en lui-même une part de l’âme de la Résistance, tomberait dans les oubliettes après que le peuple français l’ait rejeté par référendum le 5 mai 1946. Un rejet dont il serait sans doute utile d’aller voir les tenants et les aboutissants…
Quant à la – pour le moins – réactionnaire Constitution qui régit notre pays depuis 1958 (merci à Charles de Gaulle !), ses mâchoires, plus puissantes que jamais, n’en finissent pas d’étrangler nos vies, peu importe – faut-il le répéter – que les partis au pouvoir soient de droite, de gauche ou tout ce qu’on voudra…
Christine Cuny
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone