Il est vrai qu’on ne pourrait pas s’attendre à une meilleure couverture de la nouvelle affaire Puigdemont de la part des médias français. Car ça fait des décennies que la presse française de presque toute sensibilité politique, soit passe sous silence les événements souvent historiques qui agitent la Catalogne, soit les présente d’une manière qui ne mécontenterait pas les gouvernants de Madrid également de toute sensibilité, y inclue franquiste.
Alors, pour parler du bref retour à Barcelone de Carles Puigdemont après 7 ans d’exil en Belgique, ils le présentent comme quelqu’un « qui fuit la justice » et pas comme un ex-président de Catalogne très démocratiquement élu par les Catalans et destitué de façon plus que antidémocratique et autoritaire par le pouvoir espagnoliste de Madrid. Et aussi, comme « recherché par la justice et la police de son pays » pour « malversations », oubliant d’habitude de dire que ces « malversations » concernent les frais d’organisation du référendum sur l’autodétermination des Catalans en 2017, considéré par les gouvernants de Madrid comme illégal et réprimé sauvagement comme tel par leur police.
Mais, ce n’est pas tout. Ils « oublient » aussi de dire que Carles Puigdemont jouit de l’immunité parlementaire car élu actuellement au Parlement (Generalité) Catalan à la tète de son parti Junts per Catalunya, après avoir été député européen. Et surtout, ils « oublient » de rappeler que Puigdemont est amnistié par l’actuel gouvernement espagnol, de même que 400 Catalans ex-ministres, ex- présidents de la Generalité, chefs des partis, députés, universitaires, écrivains, artistes, intellectuels et autres personnalités de première ordre. Et que cette amnistie a été validée par le vote de la majorité des parlementaires de l’État Espagnol ! Et enfin, ils « oublient » de dire que le mandat d’arrêt international émis par les juges de Madrid contre Puigdemont a été jugé nul, irrecevable et inacceptable par les justices Belges et Suisses, car en contradiction flagrante avec le droit international et les libertés démocratiques !
En somme, nos chers médias et leurs journalistes disent beaucoup de choses pour cacher l’essentiel : la vérité. Et dans le cas de Puigdemont et de sa Catalogne cette vérité s’appelle droit à l’autodétermination, droit des peuples à disposer d’eux mêmes, un droit fondamental et nullement inexistant car faisant partie du droit international depuis son inscription dans la Charte des Nations Unis en 1945 !
Évidemment, tout ça ne sont que des arguties pour les gouvernants de Madrid qui n’ont jamais hésité de taxer de « terroristes » et de condamner à des lourdes peines de prison ceux et celles qui se revendiquent très pacifiquement de ce droit des peuples à disposer d’eux mêmes. Ils le font ces 7 dernières années mais ils ont fait bien pire durant ces quatre derniers siècles. D’ailleurs, ils n’ont aucun problème de se revendiquer de cette « tradition » espagnoliste et de répéter régulièrement même de la tribune du Parlement de Madrid, que la suppression des velléités indépendantistes des Catalans requiert que Barcelone soit bombardée une fois par demi-siècle !
C’est comme si rien n’avait changé dans cet État espagnol dont plus de 1300 rues et places continuent de porter le nom de son dictateur fasciste Franco et de ses acolytes. Et c’est exactement cette continuité dans la barbarie de cet État espagnol qui explique en partie le pourquoi de son hystérie (répressive) anti-catalane. Car pratiquement tous les États ont des pages noires dans leurs histoires, mais il n’y a que l’État espagnol qui s’en déclare fier. Un État espagnol dont les rois, les juges, les évêques, les généraux et les partis politiques (même les socialistes du PSOE !) continuent de nier les responsabilités de leurs ancêtres dans le plus grand génocide de l’histoire de l’humanité, celui des peuples indigènes des Amériques, et continuent de prétendre – même devant les leaders latino-américains ! – que ces ancêtres n’ont fait que porter la civilisation aux primitifs et autres barbares qui peuplaient le nouveau monde ! Un État espagnol qui revendique et même célèbre toujours son passé séculaire pourtant parsemé de crimes « fondateurs » depuis ceux commis contre les Arabes de Al Andalus et les juifs expulsés d’Espagne, jusqu’à l’obscurantiste et tristement célèbre Inquisition et le siège de Barcelone en 1714 au terme duquel les troupes du roi Philippe V ont massacré sa population après l’avoir affamé.(2) Sans oublier évidemment le bain de sang dans lequel a été noyée « l’autre Espagne » républicaine, plébéienne et de gauche en 1936-1939, pour aboutir à la « transition » post-franquiste qui a vu l’établissement d’une démocratie façonnée et contrôlée par le vieux dictateur mort dans son lit et enterré avec tous les honneurs.
Voici donc pourquoi il y a dans l’ Espagne du XXIe siècle tant des généraux et autres militaires nostalgiques de Franco qui multiplient les appels en faveur des coups d’État qui rétabliraient l’ordre des cimetières, tout d’abord et en priorité en Catalogne. Et voici pourquoi il y a tant des juges, surtout de haut rang, tout droit sortis des dessins de Goya, qui condamnent à la chaîne à des lourdes peines d’emprisonnement pour « terrorisme » tout citoyen qui ose revendiquer ses droits démocratiques les plus élémentaires. Et enfin, voici pourquoi toutes ces manifestations antidémocratiques, autoritaires et obscurantistes sont systématiquement couvertes par les autorités politiques et religieuses qui font preuve d’un fanatisme et d’un acharnement qui rappelle celle de l’Inquisition !
Alors, nos médias et leurs patrons se trompent lourdement quand ils s’empressent de sonner la fin du « proces » indépendantiste catalan et d’enterrer – pour la énième fois ! – le mouvement populaire qui se bat pour l’autodétermination de ce pays au cœur de l’Europe. Ce mouvement de masse persiste et reste radical et déterminé malgré la répression féroce et malgré le désarroi provoqué par les luttes intestines, les trahisons et les compromissions de la plupart des partis dits indépendantistes. D’ailleurs, le fait que l’État espagnol emploie toujours les grands moyens pour le réprimer et va jusqu’à organiser une opération policière gigantesque et sans précédent « sur terre, dans les airs et la mer » pour arrêter son ex-président Carles Puigdemont, montre combien ce mouvement indépendantiste catalan reste fort et combien cet État espagnol dépourvu d’arguments, n’a que la violence comme seule réponse.
Notes
1. Voir nos articles :
Catalogne : Les Comités de Défense de la République (CDR) changent la donne !
Empêchons que Puigdemont subisse le sort de Companys !
Catalogne : Féroce répression des Comités de Défense de la République accusés de …“terrorisme” !
2. Les dizaines de milliers de supporters de Barcelona rappellent ce funeste 1714 quand ils attendent la 17e minute et 14 secondes de chaque match de leur équipe favorite au Camp Nou pour scander tous ensemble « I-Inde-Indepencia »…
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir