Par Dmitry Orlov – Le 8 Février 2024 – Source Club Orlov
À l’heure où j’écris ces lignes, nous sommes à quelques heures d’un événement capital : la publication de la riche, longue et inédite interview de Tucker Carlson avec Vladimir Poutine, pour laquelle Tucker s’est envolé pour Moscou et qui a mis en émoi l’ensemble de l’establishment médiatique des États-Unis et de l’Union européenne depuis plusieurs jours.
Les interviews de Poutine sont très agréables, surtout si elles sont riches, longues et non coupées. Poutine ne supporte pas volontiers les imbéciles, c’est pourquoi les groupes de Mickey Mouse tels que CNN, MSNBC et, maintenant, Fox, ne sont pas autorisés à franchir les portes géantes, richement dorées et sculptées du Kremlin de Moscou. Mais Tucker n’est pas dupe ; c’est une force journalistique avec laquelle il faut compter. Il n’en reste pas moins qu’une interview est une interview et que Poutine dira très probablement ce qu’il dit depuis le début, peut-être avec quelques précisions et embellissements.
Les crânes d’œuf géopolitiques les plus conspirationnistes y voient plus qu’un simple voyage rapide pour obtenir une interview. Tucker, disent-ils, est un messager secret. De la part de qui ? Trump, bien sûr ! Qu’est-ce que Trump voudrait transmettre à Poutine ?
Ce que Trump veut, c’est s’assurer de gagner l’élection présidentielle cet automne, et un moyen d’y parvenir est de faire paraître Biden non seulement mauvais, mais pire que mort et tout aussi malodorant. Trump aimerait un glissement de terrain massif, une prise de contrôle par les Républicains des deux chambres du Congrès et la possibilité de balayer tous les Démocrates de toutes les fonctions fédérales.
Et ce que Tucker pourrait vouloir, ou ne pas vouloir, (il est très prudent), c’est un poste de vice-président de Trump. Trump est vieux, vous savez, et les vieux, même s’ils sont aussi vifs et lucides que Trump, ont tendance à mourir un jour ou l’autre. Et là, ce serait “Bonjour, Président Carlson !”. Je parie que Tucker aime ce son !
Note du Saker Francophone
Depuis quelques temps, des gens indélicats retraduisent “mal” en anglais nos propres traductions sans l’autorisation de l’auteur qui vit de ses publications. Dmitry Orlov nous faisait l’amitié depuis toutes ses années de nous laisser publier les traductions françaises de ses articles, même ceux payant pour les anglophones. Dans ces nouvelles conditions, en accord avec l’auteur, on vous propose la 1ere partie de l’article ici. Vous pouvez lire la suite en français derrière ce lien en vous abonnant au site Boosty de Dmitry Orlov.
Soutenez mes efforts sur https://boosty.to/cluborlov.
Il vient d’être réédité aux éditions Cultures & Racines.
Il vient aussi de publier son dernier livre, The Arctic Fox Cometh.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
La question est donc de savoir ce que Trump peut offrir secrètement à Poutine et qui ferait paraître Biden pire qu’une carcasse d’âne rance rongée par des animaux sauvages. Les crânes d’œuf géopolitiques les plus conspirationnistes ont été les plus obligeants avec cette théorie. Trump a un plan. Dans la phase I de ce plan, Trump bloquera toute aide au régime de Kiev jusqu’à la fin des élections en exerçant son influence considérable sur les Républicains de la Chambre des représentants. Ainsi, les forces ukrainiennes manqueront de munitions et de matériel, le régime de Kiev manquera d’argent et les Russes auront la possibilité de s’emparer d’autant de territoires qu’ils le pourront. Au cours de l’été, les médias ne cesseront d’annoncer que des régions ukrainiennes aux noms exotiques sont soudainement devenues russes, ce qui donnera l’impression que le fiasco ukrainien est bien pire que le fiasco afghan ou le fiasco moyen-oriental.
Ensuite, selon la théorie du complot, une fois que Trump, peut-être accompagné de Tucker, sera rentré dans le bureau ovale, il sera temps de passer à la phase II : conclure un accord de paix avec Poutine. La Russie sera gracieusement autorisée à conserver toutes les régions ukrainiennes dont elle aura réussi à s’emparer d’ici là, tandis que les États-Unis et l’OTAN garderont le reste. Et, selon cette théorie, Poutine sautera sur l’occasion pour déclarer la victoire, faire les yeux doux aux puissants États-Unis et tout sera doux et léger pour Trump, qui pourra alors se concentrer sur…. Taïwan, bien sûr.
Je ne vois que deux problèmes à ce plan : l’un avec la phase I et l’autre avec la phase II. En ce qui concerne la phase I, pour Poutine et les Russes, l’ancienne Ukraine est déjà bien dans le sac stratégiquement, mais tactiquement, c’est un cadeau qui continue à donner. Pourquoi limiter son utilisation à faire passer Biden pour une carcasse d’âne rance qui a été rongée par des animaux sauvages ? Pourquoi ne pas prolonger l’opération en Ukraine de quelques années, en la laissant saigner les ressources des États-Unis et de l’UE tout en faisant passer Trump pour une carcasse d’éléphant rance rongée par des chiens errants ? Après tout, la stratégie de la Russie consiste à s’assurer que les États-Unis (ainsi que leur mini-moi qu’est le Royaume-Uni) ne figurent plus du tout en tant que puissance hégémonique. La cible précieuse, pour la Russie, n’est pas un président en particulier, mais la présidence américaine elle-même.
Par ailleurs, la phase II n’est pas exactement une stratégie pour la Russie non plus. Les États-Unis et l’OTAN avaient convenu, il fut un temps, de ne pas étendre l’OTAN “d’un seul pouce vers l’est” : cela sera fixé par écrit cette fois et les Russes ne permettront pas aux États-Unis et à l’OTAN de s’en tirer en ne respectant pas cette promesse. Et puis il y a l’objectif de l’opération militaire spéciale de la Russie dans l’ancienne Ukraine : démilitariser et dénazifier toute l’Ukraine, et pas seulement certaines de ses régions. Enfin, les Russes considèrent les Ukrainiens comme des Russes dont le cerveau a été pollué par la propagande occidentale pendant plus de trois décennies. Il est triste qu’un si grand nombre d’entre eux – un demi-million environ – aient dû mourir sur le champ de bataille. Il serait encore plus triste que la Russie doive organiser une sorte de blitzkrieg cet été afin de s’emparer d’un maximum de territoires avant que Trump n’entre en fonction et n’appuie sur le levier de rupture de ce merveilleux accord.
Si c’est ce que Tucker est venu proposer à Moscou, j’ai un meilleur plan pour la Russie. Poutine devrait donner une vague approbation verbale au plan de Trump et peut-être même s’emparer de quelques régions ukrainiennes supplémentaires au cours de l’été (Odessa et Nikolaev sont les grands prix sur le plan stratégique). Mais juste avant l’élection, Poutine devrait tendre la main à Biden et négocier rapidement un cessez-le-feu, ce qui donnerait l’impression d’une grande victoire de Biden et mettrait le plan de Trump en déroute. Puis, une fois Biden réélu, les Russes pourront reprendre la démilitarisation et la dénazification à leur rythme habituel, saignant les États-Unis et l’UE de leurs ressources et empêchant les États-Unis de défier la Chine au sujet de Taïwan.
Bien sûr, tout ceci n’est que théorie du complot. Tucker n’est qu’un journaliste et il est à Moscou uniquement pour obtenir une interview de Poutine, qu’Elon Musk est prêt à monnayer de toutes sortes de façons intéressantes. Mais c’est amusant de penser à de telles conspirations, vous ne pensez pas ?
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone