Par Tom Sunic – Le 26 novembre 2023 – Source Unz Review
Chaque fois qu’un parti nationaliste réalise quelques gains parlementaires, sans parler d’entrer dans les couloirs du pouvoir, ses partisans supposent que le Système fait face à une mort imminente, annonçant l’aube d’un brillant avenir nationaliste. Au cours des soixante-dix dernières années, cette illusion égocentrique a encadré l’état d’esprit d’innombrables électeurs nationalistes blancs aux États-Unis et en Europe – conduisant, en règle générale, à leur constante déception. Du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen en France au Parti autrichien de la liberté (FPÖ) et au Vlaams Belang flamand, en passant par le gouvernement italien post-pseudo-fasciste récemment mis en place par Giorgia Meloni, ou l’aspirant à un second mandat présidentiel aux États-Unis, Donald Trump, ainsi que quelques Bolsonaros latino-américains, ces voix nationalistes de premier plan tombent tôt ou tard dans l’auto-caricature. Même si elles parviennent miraculeusement à se frayer un chemin jusqu’aux portes du pouvoir du Système, elles se remettront le lendemain à réciter pieusement des homélies en langage systémique.
Chaque fois qu’un parti nationaliste réalise quelques gains parlementaires, sans parler d’entrer dans les couloirs du pouvoir, ses partisans supposent que le Système fait face à une mort imminente, annonçant l’aube d’un brillant avenir nationaliste. Au cours des soixante-dix dernières années, cette illusion égocentrique a encadré l’état d’esprit d’innombrables électeurs nationalistes blancs aux États-Unis et en Europe – conduisant, en règle générale, à leur constante déception. Du La raison de ce revirement est compréhensible. Les avantages parlementaires ou présidentiels sont puissants ; les paillettes libérales désarment facilement même le nationaliste blanc le plus dévoué. De plus, il ne faut pas oublier que depuis 1945, le Système a investi des tonnes d’argent dans l’érection de pare-feu et d’une multitude de cordons sanitaires afin d’empêcher qu’un parti nationaliste en herbe ne vienne ébranler l’ordre libéral de l’après-Seconde Guerre mondiale.
C’est le cas du parti nationaliste-conservateur Alternative pour l’Allemagne, l’AfD, qui, au cours des dix dernières années et plus particulièrement ces derniers mois, s’est imposé comme l’un des principaux candidats à la prise de pouvoir dans plusieurs États fédéraux. La coalition de gauche “Ampel” au pouvoir, ainsi que tous les États membres de l’Union européenne, ne cachent plus leur crainte de voir la contagion de l’AfD s’étendre à leur propre territoire. C’est pourquoi les médias proches du Système ont recours à la diabolisation de l’AfD en l’affublant d’épithètes tirées de leur abondant arsenal d’étiquettes fascistes.
L’Allemagne n’est pas seulement la locomotive financière de l’Union européenne et son moteur économique ; elle est aussi le principal centre militaire et de renseignement des États-Unis pour tout le cœur de l’Eurasie. Le système et ses proconsuls en Europe, y compris leurs médias flagorneurs de Washington à Berlin et jusqu’à Tel-Aviv, sont en colère contre l’intention présumée de l’AfD d’ouvrir une voie différente pour l’Allemagne.
Sur le plan intérieur, l’AfD critique les migrants non européens et milite vigoureusement pour leur rapatriement dans leur pays d’origine. En matière de politique étrangère, elle s’est montrée réticente à l’égard des sanctions officielles prises par l’Allemagne à l’encontre de la Russie, et elle critique de plus en plus ouvertement l’aide militaire apportée par l’Allemagne à l’Ukraine. Même avant le conflit en Ukraine, il s’était attiré le surnom médiatique de “parti du Kremlin“. Compte tenu de la catastrophique saignée mutuelle entre Russes et Allemands au cours du XXe siècle, la démarche de conciliation “pro-Poutine” de l’AfD n’est guère surprenante.
Le succès de l’AfD aux élections d’octobre 2023 dans l’État fédéral de Hesse et dans le plus grand et le plus riche État de Bavière est une preuve supplémentaire de sa popularité croissante. Ses gains électoraux dans l’État de Hesse représentent 18,4 % du total des voix, tandis qu’en Bavière, l’AfD a obtenu 14,6 %, ce qui se traduit par 28 et 32 sièges respectivement. La performance fulgurante de l’AfD est un choc pour la classe dirigeante de l’Ampel, ainsi que pour les superviseurs de l’Allemagne à Washington.
Il ne fait guère de doute que la question de l’immigration extra-européenne sauvage est la cause première de la montée spectaculaire de l’AfD, même si l’on suppose qu’il ne s’agit pas du seul facteur. La plupart des électeurs de l’AfD en ont assez de l’incompétence technique de la coalition Ampel au pouvoir, qui n’a pas réussi à enrayer la hausse des coûts de l’énergie ou la diminution des fonds de pension de sa population vieillissante. C’est la raison pour laquelle tout le monde veut du changement. La récente percée électorale de l’AfD dans les États d’Allemagne de l’Ouest prouve que son succès ne se limite plus à ses bastions traditionnels dans l’Allemagne de l’Est communiste anciennement sous domination soviétique, comme l’État de Thuringe. À moins d’être interdit ou déclaré hors-la-loi à la veille des élections européennes prévues l’année prochaine – ce qui n’est pas à exclure -, l’AfD devrait doubler les 78 sièges qu’elle détient actuellement au Bundestag d’ici 2024-25.
À y regarder de plus près, les membres de l’AfD ne ressemblent pas du tout aux spécimens de droite radicale tant décriés qui prônent la révolution ou menacent l’ordre constitutionnel allemand, comme le suggèrent souvent les médias grand public. Son programme général n’est en fait qu’une copie conforme de ce que les chrétiens-démocrates allemands (CSU, CDU), encore puissants, défendaient autrefois. Alors que l’AfD comble le vide laissé par les “conservateurs” fossilisés de la CDU et de la CSU, ces derniers se distinguent de moins en moins de la coalition de gauche au pouvoir, l’Ampel. Ce n’est pas nouveau dans la mascarade centenaire connue sous le nom de “démocratie parlementaire libérale“. Cela rappelle l’éminent chercheur antilibéral Robert Michels et sa description classique de la corruption inhérente au système parlementaire démocratique multipartite 1.
L’ancien best-seller de feu François-Bernard Huyghe, publié il y a trois décennies, va davantage à l’essentiel et n’est pas un lieu d’étude. Dans son ouvrage semi-satirique, il met en évidence une fausse hostilité entre la gauche et la droite parlementaires. Ainsi, le conservateur chrétien déclare : “Madame la Marquise, j’aime bien vos jolies fesses“. À cela, le social-démocrate de gauche répond par la même phrase, mais en inversant sa syntaxe : “Votre joli cul, j’aime bien Madame la Marquise“2 Plus les choses changent dans le système libéral, plus elles doivent rester les mêmes – comme on l’a vu dans des États clés lors du mystérieux dépouillement des bulletins de vote après l’élection américaine de novembre 2020.
De même, si elle veut survivre dans l’État de surveillance high-tech qu’est l’Allemagne, l’AfD doit suivre les canons du système. Dans le paysage politique allemand, cela signifie qu’elle doit se conformer strictement au récit officiel d’autocensure et, en outre, effectuer des pèlerinages rituels en Israël. Une figure importante de l’AfD, le vieux routier et actuel président honoraire de l’AfD Alexander Gauland, a réaffirmé peu après l’attaque du Hamas du 7 octobre, suivie du bombardement israélien de la bande de Gaza : “Lorsque nous sommes aux côtés d’Israël, nous défendons également notre mode de vie“3.
Son récent rétropédalage dans l’orbite juive ne va guère le disculper aux yeux des Juifs, compte tenu de ses propos antérieurs concernant le passé national-socialiste. Il y a plusieurs années, il a déclaré que “les nazis n’étaient qu’une petite connerie dans l’histoire autrement réussie de l’Allemagne“4.
Comme Medjugorje, Fatima ou Lourdes pour les fidèles catholiques, Yad Vashem fonctionne désormais comme un lieu de pèlerinage obligatoire pour la classe politique occidentale, et en particulier pour les candidats à la présidence allemande. Quels que soient l’ampleur et le nombre des génuflexions philo-sémites allemandes, le Conseil central des Juifs d’Allemagne reste réticent à l’égard des avancées de l’AfD. En fait, après le raid du Hamas du 7 octobre 2023 contre un kibboutz israélien près de la bande de Gaza, le gouvernement israélien et son porte-parole en Allemagne ont déclaré que l’AfD était “un parti qui fournit un foyer politique aux extrémistes de droite et aux sentiments antijuifs et qui a cherché à banaliser le passé nazi de l’Allemagne et l’Holocauste“5.
Par conséquent, pour rester en vie, l’AfD doit constamment prouver qu’elle suit les règles du système. L’une des figures les plus puissantes de l’AfD, la présidente Alice Weidel, a bien appris ce mimétisme du langage corporel ; elle s’habille avec les nouveaux vêtements de l’impératrice pour tenter de détourner les détracteurs potentiels. Femme de phénotype nordique, grande, séduisante et à la voix douce, Weidel est le modèle parfait du conservateur moderne, correspondant parfaitement à l’image de la femme aryenne traditionnelle que l’on peut voir dans les peintures de Sepp Hilz ou les sculptures d’Arno Breker. Avec son mascara soigneusement appliqué et ses vêtements pastel foncés, elle se présente comme le modèle à suivre pour les femmes allemandes blanches de la classe moyenne urbaine. Son changement de jeu n’est pas diffusé sur une seule fréquence conservatrice, mais sur toutes les longueurs d’ondes politiques et pour tous les styles de vie. En tant que lesbienne déclarée vivant avec une actrice sri-lankaise, elle a réussi à se protéger à trois reprises des menaces potentielles des puissants antifas allemands, des grandes gueules LGBTQ+ et des signaleurs de vertu multiculturels et multicolores. Avec sa diction télégénique mesurée, elle ne prend jamais la posture d’une drag queen de la côte ouest, ni celle d’une gouine berlinoise chevronnée à vélo. Malgré son mode de vie sexuel peu orthodoxe, elle sait comment mettre en vente sa physionomie conservatrice, sa personnalité extérieure affichant des signes de Frömmigkeit traditionnelle, c’est-à-dire de dévotion maternelle allemande. Nous verrons dans les mois à venir comment elle s’adaptera à son électorat féminin.
La figure la plus intéressante et la plus intrigante de l’AfD est Björn Höcke et sa faction, le Fluegel, c’est-à-dire l’Aile, qui jouit d’une grande popularité, en particulier parmi les nationalistes allemands purs et durs instruits et surtout parmi les jeunes partisans du NPD, aujourd’hui dissous. Il va sans dire que les agences d’espionnage allemandes, appelées par euphémisme “agences de protection de la constitution“, surveillent chaque mouvement et chaque pas de Höcke.
Pour comprendre l’AfD, il faut avant tout comprendre la haute culture allemande et son histoire complexe et tortueuse. Ayant perdu vingt pour cent de sa population d’avant la Seconde Guerre mondiale (plus de 10 millions de civils et de soldats) en 1950 à la suite de massacres à grande échelle, de bombardements, d’expulsions et de captivité perpétrés par les Alliés occidentaux et orientaux, et ayant été soumis pendant 75 ans à un lavage de cerveau incessant par des éducateurs américains, en grande partie d’origine juive, il ne faut pas s’attendre à des miracles sur la scène politique allemande6 L’histoire, cependant, est toujours ouverte et avec les nouvelles secousses sérieuses qui se produisent actuellement en Europe et au Moyen-Orient, on pourrait assister à des changements, non seulement en Allemagne, mais aussi dans tout l’Occident. À moins que l’on accepte, mais aussi que l’on croie aux dernières paroles mystérieuses, multi-sens et multi-dieux du philosophe allemand Martin Heidegger, “Seul un Dieu peut nous sauver“7.
Tom Sunic
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Notes
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