Les drones ont été utilisés dans des affrontements militaires bien avant le déclenchement de la guerre actuelle en Ukraine. Des terres brumeuses du Vietnam aux horizons déchirés du Kosovo, des montagnes lointaines d’Afghanistan aux sables ensanglantés d’Irak, des rivages disputés de Crimée aux cieux embrasés de la Libye, ces machines volantes ont entrelacé leur destin avec celui des champs de bataille. Toutefois, la guerre du Haut-Karabakh de 2020 a été considérée par des auteurs comme Valeri Modebadze, professeur de relations internationales à l’université de Tbilissi, comme le premier conflit de l’histoire moderne entièrement gagné grâce à l’utilisation massive de drones [1].
Le présent conflit ukrainien, cependant, constitue la première guerre de haute intensité dans laquelle les deux belligérants ont massivement mobilisé ces engins aériens sans pilote. L’efficacité des drones sur le théâtre de guerre ukrainien constitue un nouveau levier pour la tendance qui s’est cristallisée ces dernières années, marquée par l’essor graduel de l’emploi des drones dans les manœuvres militaires.
Les deux factions, en quête de prééminence sur le champ de bataille, reconnaissent les enjeux économiques et politiques qui se tissent derrière le voile de ces objets volant automatisés, ainsi que les avantages tactiques induits par leur utilisation judicieuse, que ce soit dans les cieux, sur terre ou sur mer.
Du côté ukrainien, l’usage des drones se profile comme une stratégie habile pour pallier à moindre coût l’absence quasiment complète d’une flotte marine digne de ce nom et d’une aviation conséquente.
Du côté russe, il est impératif de limiter les pertes humaines et les coûts. Bien que le Kremlin ait la capacité de déployer davantage sa puissance aérienne, l’utilisation des drones est un moyen efficace d’atteindre ses objectifs militaires tout en préservant ses aéronefs, d’une valeur de plusieurs millions de dollars, et leurs pilotes, dont la formation s’étend sur plusieurs années. En d’autres termes, la perte même massive de drones de combat entraîne beaucoup moins de souffrances financières, politiques et émotionnelles par rapport à la perte d’avions coûteux et de leurs pilotes
Ainsi, ne serons-nous pas étonnés d’apprendre que, depuis le début de l’opération militaire spéciale, la production de drones kamikazes Lancet a été multipliée par cinquante. Ce tour de force industriel s’explique par la reconversion opportune de certains espaces commerciaux délaissés par des entreprises occidentales ayant quitté la Russie précipitamment, aujourd’hui consacrés à la confection et à l’assemblage de drones. C’est moins cher que de construire des usines à partir de zéro. Les superficies cumulées des ateliers du Lancet s’étendent désormais sur cinquante mille mètres carrés.
Il existe deux catégories de Lancet, désignées sous les appellations Produit-51 et Produit-52, se distinguant par leur portée respective et la puissance déployée par leur ogive. Ils sont généralement jumelés à un drone de reconnaissance d’une résistance extrême – certains d’entre eux regagnant la base criblés de 18 à 20 perforations sur leur coque et leurs ailes. Ces engins repèrent la cible et transmettent aussitôt les coordonnées à l’opérateur du drone kamikaze.
- Izdeliye-53 (Produit-53)
Récemment, une nouvelle génération du Lancet a vu le jour : le Produit-53. Les médias russes et ukrainiens ont dévoilé que cette machine kamikaze sera prochainement équipée d’une intelligence artificielle. Cette innovation autorisera l’appareil autonome à planer au-dessus du théâtre d’opération en un essaim coordonné, ciblant les véhicules et les positions de l’armée ukrainienne. Selon les dires d’Alexandre Zakharov, le concepteur en chef de ZALA Aero, le fabricant du Lancet : « Cette variante de la munition rôdeuse communiquera avec les opérateurs en utilisant des moyens qui seront autonomes… et avec lesquels il sera impossible d’interférer. »
Évoluant à des vitesses dépassant les 110 km/h sur des distances variant de 40 à 70 kilomètres, l’engin kamikaze transportera la même charge explosive que ses prédécesseurs, soit une ogive de 5 kilos. Cette dernière, à tête creuse, concentre son énergie en un jet étroit et perforant, capable de neutraliser des cibles fortement blindées.
Le triomphe des Lancet est tel que l’armée russe a sommé le groupe ZALA Aero de tripler sa production, exigeant la livraison de plus de 45 000 drones par mois à Moscou.
Il est nécessaire de rappeler que l’emploi massif de petits drones par l’armée russe a débuté grâce à l’initiative indépendante de quelques bienfaiteurs animés par un enthousiasme patriotique, parmi lesquels Vladlen Tatarsky, assassiné par le régime de Kiev en avril dernier.
Ce bref reportage, sous-titré en français, nous plonge au cœur des méandres d’un des aspects les plus captivants du conflit. Il dévoile les coulisses du projet « Soudoplatov : Jour du Jugement dernier », une vaste initiative combinant la production et l’assemblage de minidrones bon marché, la formation du personnel, le retour d’expérience et l’amélioration constante du matériel. Rien n’est laissé au hasard.
Les résultats, à l’évidence, sont probants : plus d’un millier de drones confectionnés chaque jour, utilisant à hauteur de 90 % des composants d’origine russe, atteignant leur cible dans 75 % des cas.
L’argument selon lequel l’utilisation de drones modifie radicalement les dynamiques de la guerre et permet des prises de pouvoir militaires rapides par ceux qui ont recours plus largement à ces technologies ne parvient toujours pas à susciter un consensus général. Cependant, il est indéniable que leur utilisation est en plein essor et qu’elle exerce un impact significatif sur la conduite de la guerre moderne.
Fernand le Béréen
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation