Auteur(s)
Laurence Beneux, France-Soir
Publié le 05 octobre 2023 – 18:22
Protection de l’enfance : la France silencieuse face aux accusations de l’ONU
Cheryl Holt de Pixabay
Sans réponse du gouvernement français, l’ONU rend publiques ses préoccupations quant au non-respect par la France de ses obligations concernant la protection des enfants contre les violences et l’inceste.
La justice française est accusée par l’ONU de négliger l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment en cas de soupçons d’inceste et de violences intrafamiliales, ainsi que de sexisme. Le 27 juillet dernier, l’ONU a interpellé le gouvernement français sur d’éventuelles violations des « obligations légales de la France en vertu du droit international des droits de l’homme” et “de la Convention relative aux droits de l’enfant » dans notre pays. Devant le mutisme du gouvernement français, sommé de donner des explications, l’ONU vient de rendre son courrier à l’État français public. « En l’absence d’une réponse réfléchie à cette communication, visant à établir un dialogue avec le gouvernement (français, NDLR), nous prenons la liberté d’exprimer publiquement nos préoccupations dans ces affaires. », déclarent les rapporteurs onusiens.
Mama Fatima Singhateh, rapporteur spécial sur la vente et l’exploitation sexuelle d’enfants et des abus sexuels sur enfants, Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences, et Dorothy Estrada-Tanck, présidente-rapporteuse du groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles, détaillent le préoccupant traitement judiciaire français de trois cas de violences et d’inceste présumés, celui d’Hanna Dam Stokholm et de ses trois enfants, évoqué à deux reprises dans France-Soir, celui de Priscilla Majani et de sa fille, et celui de Sophie Abida et de ses quatre enfants.
Dans ces trois affaires, malgré de nombreux éléments concordants soutenant les accusations des enfants, la justice française a préféré accuser les mères d’être manipulatrices, et sans même un début d’enquête en ce qui concerne Priscilla Majani ! Cette dernière est en prison en France depuis un an pour avoir voulu protéger sa fille en l’emmenant en Suisse (où cette dernière demeure actuellement, et maintient ses accusations).
Les rapporteurs onusiens soulignent encore que le traitement judiciaire des plaintes de ces trois femmes n’est pas exceptionnel dans notre pays. « Nous sommes également préoccupés par le fait que ces allégations, qui indiquent comment les tribunaux traitent les enfants exposés au danger d’abus sexuels, ne sont pas exceptionnelles », s’inquiètent-ils
Les rapporteurs insistent : « Il est inquiétant que les enfants victimes d’abus n’aient pas la possibilité de partager leurs expériences au cours des procédures d’enquête. Ces trois cas suggèrent que les juges, les avocats, les travailleurs sociaux et même les psychologues ne sont pas suffisamment familiarisés avec l’approche centrée sur l’enfant pour répondre de manière appropriée aux allégations d’abus sexuels sur des enfants. De nombreuses plaintes reçues dans le cadre de ce mandat soulignent le fait que les personnes qui signalent des abus sexuels présumés sur des enfants sont accusées de mentir ou de manipuler les enfants concernés et risquent des poursuites ou des sanctions administratives… »
Et de rappeler que le problème n’est pas nouveau en France : « Des préoccupations similaires ont été récemment exprimées lorsque la France a soumis un rapport au Comité des droits de l’enfant des Nations unies. En 2003, le rapporteur spécial des Nations unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, qui s’est rendu en France pour évaluer des allégations similaires, a présenté ses observations, conclusions et recommandations à la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Les préoccupations soulevées dans le rapport il y a vingt ans semblent toujours d’actualité », déplorent les représentants onusiens.
En 2003, l’État français avait minimisé le problème, mais avait répondu. Vingt ans plus tard, malgré la création en France de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE), la situation n’a pas évolué. Les rapporteurs de l’ONU remarquent d’ailleurs que, “selon la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), créée en 2021 en réponse un manque d’attention dans le pays sur ces affaires, la gravité des cas d’abus sexuels ou d’inceste n’a pas été suffisamment prise en compte en France. La CIIVISE rapporte que 73 % des plaintes pour violences sexuelles sur enfants sont classées sans suite et que seulement 0,4 % des condamnations sont prononcées, reflétant l’impunité́ dans la nature de ces affaires. Ils concluent : “Ces cas sont donc nombreux et illustrent la situation préoccupante dans laquelle se trouvent les parents protecteurs, principalement des femmes, qui dénoncent les violences physiques et sexuelles, notamment l’inceste, dont sont victimes leurs enfants en France.”
Pourtant, si l’État communique, en affirmant que la protection de l’enfance est la nouvelle « grande cause » du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron, ou en lançant une campagne pour « briser le silence » entourant l’inceste, l’ONU en est réduite à rendre publiques ses premières conclusions et ses inquiétudes pour espérer obtenir une réponse du gouvernement français.
Questions des rapporteurs onusiens au gouvernement français :
Comme il nous incombe, en vertu des mandats qui nous ont été confiés par le Conseil des droits de l’homme, de solliciter votre coopération pour clarifier les cas qui ont été portés à notre attention, nous serions reconnaissants au gouvernement de votre Excellence de bien vouloir nous faire part de ses commentaires sur les points suivants :
- Veuillez nous fournir toute information ou commentaire supplémentaire concernant les allégations susmentionnées. Veuillez fournir des informations détaillées sur les décisions judiciaires prises dans les trois cas illustratifs décrits, et en particulier sur la raison pour laquelle la garde des enfants a été confiée aux pères, contre lesquels il existe des preuves troublantes d’abus sexuels incestueux. Quelles mesures ont été prises dans ces cas pour protéger les enfants contre tout risque de violence sexuelle ou de poursuite de la violence sexuelle, conformément aux principes de l’absence de préjudice, de la précaution et de l’intérêt supérieur de l’enfant ? Expliquer pourquoi, en cas de doute sur la véracité́ ou la fiabilité́ des allégations d’abus sexuels commis par ces enfants ou leurs mères, le bénéfice du doute est apparemment accordé à l’auteur présumé́ plutôt qu’aux enfants. Veuillez préciser comment l’intérêt supérieur des enfants est déterminé́ afin de les protéger.Quelles mesures ont été prises, dans chacun de ces cas, pour vérifier les allégations faites par les enfants et leurs mères, y compris des enquêtes appropriées sur le père contre lequel les allégations ont été faites ? Veuillez fournir des preuves documentées que le principe fondamental de l’égalité́ des armes est respecté́, afin de garantir l’équité des procédures judiciaires dans ces affaires. Veuillez fournir des informations détaillées sur les protocoles existants pour faire face aux risques imminents pour les enfants, et en particulier sur les mesures mises en place pour éviter que les enfants de Mme Dam-Stokholm, Mme Majani et Mme Abida ne continuent d’être victimes d’abus sexuels ou de revictimisation. Veuillez également décrire les mesures prises pour sensibiliser les responsables de l’application de la loi et du secteur de la justice à la protection de l’enfance et renforcer leurs capacités en la matière, afin de garantir un procès équitable, l’obligation de rendre des comptes et la réparation pour les enfants victimes et survivants d’abus sexuels en général et au sein de la famille en particulier. Veuillez fournir des détails sur les mesures législatives, administratives et judiciaires qui répondent aux besoins spécifiques des enfants, conformément à leur intérêt supérieur, dans les procédures de divorce et de garde, et qui prévoient également des enquêtes efficaces sur toute allégation criminelle découlant de ces procédures. Veuillez fournir des informations sur l’existence d’un système d’identification, d’évaluation et d’orientation des victimes axé sur l’enfant, ainsi que sur toute procédure opérationnelle standard visant à assurer une coordination efficace entre les forces de l’ordre et les autres prestataires de services, afin de garantir que, lorsque l’auteur présumé est le père et qu’une enquête criminelle est en cours, la mère ne soit pas détenue et accusée d’enlèvement d’enfant. Veuillez fournir des informations sur l’existence de mécanismes de plainte, de signalement et d’orientation adaptés aux enfants, qui permettent aux victimes de signaler les abus sans crainte ni stigmatisation. Veuillez indiquer s’il existe des centres d’accueil pour les enfants présumés victimes d’abus sexuels, offrant un accès à des soins de santé complets et à des services de conseil. Veuillez fournir des informations sur les mesures prises par le gouvernement pour garantir une diligence raisonnable dans les cas de violence à l’égard des femmes et des filles, et pour prévenir et combattre la violence à l’égard des femmes et des filles. Veuillez décrire les mesures mises en place pour fournir des mesures provisoires et un espace sûr aux personnes exposées à un risque imminent d’abus et de violence sexuels, y compris la collaboration transfrontalière et la coopération entre les États.
Source : France Soir
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