par Andrew Korybko
Les principales conclusions sont les suivantes : les États-Unis font un effort public d’une sincérité douteuse pour montrer au monde qu’ils ne veulent pas d’une guerre régionale ; la rencontre de Nuland avec la société civile nigérienne signifie qu’une révolution de couleur ne peut être exclue ; le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas malgré le fait que son nouveau chef de la défense soit un partenaire étroit du Pentagone depuis des années ; et ses relations envisagées avec la Russie et Wagner après le coup d’État restent floues.
La vice-secrétaire d’État par intérim, Victoria Nuland, actrice du tristement célèbre «EuroMaïdan», s’est rendue au Niger pour s’entretenir avec le gouvernement intérimaire dirigé par l’armée, après l’expiration du délai d’une semaine accordé par la CEDEAO pour réinstaller le président évincé Mohamed Bazoum. Une guerre régionale menace l’Afrique de l’Ouest si ce bloc soutenu par l’OTAN envahit le pays comme il a menacé de le faire précédemment et/ou si l’ancien colonisateur français agit unilatéralement, c’est pourquoi il est important d’analyser ce qu’elle a révélé sur son voyage.
Son briefing spécial à la presse a commencé par des platitudes sur le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger à la suite du coup d’État militaire patriotique du mois dernier, puis a fait référence à l’aide que les États-Unis seraient légalement obligés d’interrompre si cela ne se produisait pas. Nuland a ensuite indiqué qu’elle avait également rencontré «un large échantillon de la société civile nigérienne. Ce sont des amis de longue date des États-Unis. Il y a des journalistes. Il y a des activistes démocratiques. Il y a des militants des droits de l’homme».
Compte tenu de son rôle dans la révolution de couleur en Ukraine, qui a finalement conduit à la guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie dans ce pays, il est raisonnable de penser qu’elle pourrait avoir signalé à ces forces de la société civile que les États-Unis les soutiennent dans le lancement de protestations émeutières à grande échelle contre les autorités militaires. Ce scénario pourrait se dérouler soit avant une invasion du Niger par la CEDEAO, soutenue par l’OTAN et éventuellement par la France, comme prétexte pour justifier publiquement ce qui précède, soit au cours d’une telle invasion.
Néanmoins, cela ne semble pas avoir été la raison principale de son voyage puisque de tels signaux pourraient être envoyés à ces forces à distance de manière plus pratique et plus sûre sans qu’un haut responsable diplomatique américain n’ait à le faire directement en personne, mais cela ne peut tout de même pas être exclu. Nuland a ensuite révélé que ses discussions «avec le chef autoproclamé de la défense de cette opération, le général Barmou, et trois des colonels qui le soutiennent […] ont été extrêmement franches et parfois très difficiles».
Elle a expliqué que c’était parce que «nous poussions à une solution négociée», ce qui pourrait soit être un effort insincère destiné à faire baisser la garde de l’armée nigérienne avant les scénarios de déstabilisation potentiellement imminents qui viennent d’être décrits, soit être en fait la voie préférée des États-Unis. La première possibilité est plausible en raison du précédent ukrainien, tandis que la seconde pourrait être due à la crainte qu’une guerre régionale plus large ne dérape et ne crée finalement un espace permettant à la Russie d’étendre son influence.
La partie suivante de son exposé était très intéressante. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas été autorisée à voir Bazoum, bien qu’elle lui ait parlé au téléphone, ni à rencontrer le président intérimaire, le général Abdourahamane Tchiani. Le fait de la tenir à l’écart de Bazoum pourrait avoir pour but de maintenir une certaine ambiguïté quant à son statut afin de décourager les scénarios de déstabilisation susmentionnés tout en réaffirmant la légitimité du président Tchiani, alors que le refus de ce dernier de rencontrer Nuland était une rebuffade délibérée.
Elle a ensuite déclaré : «J’espère qu’ils garderont la porte ouverte à la diplomatie. Nous avons fait cette proposition. Nous verrons bien. Comme je l’ai dit, ils ont leurs propres idées sur la façon de procéder. Leurs idées ne sont pas conformes à la constitution, et ce sera difficile pour nos relations si c’est la voie qu’ils prennent. Mais nous leur avons donné un certain nombre d’options pour continuer à discuter et nous espérons qu’ils en tiendront compte». En d’autres termes, le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas, même si cela met en péril les liens avec les États-Unis.
Un autre détail intriguant a été révélé lors de son briefing : «Le général Barmou, l’ancien colonel Barmou, est quelqu’un qui a travaillé en étroite collaboration avec les forces spéciales américaines pendant de très nombreuses années. Nous avons donc pu examiner de manière très détaillée les risques liés à certains aspects de notre coopération qui lui tiennent particulièrement à cœur». Il est remarquable qu’un proche allié militaire des États-Unis ait fini par participer au renversement de son dirigeant soutenu par les États-Unis, qu’il soit devenu le nouveau chef de la défense et qu’il n’ait pas fait marche arrière.
Cela montre que même les hauts responsables militaires étrangers qui coopèrent étroitement avec certaines des forces les mieux entraînées des États-Unis «pendant de très nombreuses années» ne deviennent pas toujours leurs marionnettes, ce qui laisse supposer que d’autres responsables occupant une position similaire ailleurs en Afrique pourraient suivre les traces du général Barmou. Il n’est donc plus possible de tenir pour acquis que les programmes militaires américains à l’étranger permettent de cultiver avec succès des proxys d’élite. Ils se retournent parfois contre eux, comme le prouve ce cas particulier.
Vers la fin de son briefing, Nuland a répondu à deux questions sur Wagner et la Russie de la manière suivante :
«Bien sûr, j’ai parlé de Wagner et de la menace qu’il représente pour les pays où il est présent, en leur rappelant que la sécurité se dégrade, que les droits de l’homme se détériorent lorsque Wagner entre. Je ne dirais pas que nous en avons appris beaucoup plus sur leur façon de penser à ce sujet. […]
En ce qui concerne Wagner, vous aurez vu Prigozhin se vanter à Saint-Pétersbourg. Je dirai que j’ai eu l’impression, lors de mes rencontres d’aujourd’hui, que les personnes qui ont entrepris cette action ici comprennent très bien les risques pour leur souveraineté lorsque Wagner est invité».
Ces déclarations étant manifestement contradictoires, soit elle s’est embrouillée, soit elle a menti dans l’une de ses réponses.
Quels que soient les signaux que le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires aurait pu envoyer à Nuland concernant les spéculations sur le fait qu’il pourrait demander les services de «sécurité démocratique» de Wagner, ils auraient probablement été destinés à des fins de dissuasion. Le fait d’envisager ce scénario pourrait laisser entendre que les États-Unis risquent de perdre encore plus de leur influence s’ils n’empêchent pas une guerre régionale d’éclater, tandis que le fait de le minimiser pourrait avoir pour but de convaincre les États-Unis qu’ils ne doivent pas réagir de manière excessive aux conséquences du coup d’État.
Dans l’ensemble, les principaux enseignements du voyage de Nuland sont les suivants : les États-Unis font un effort public d’une sincérité douteuse pour montrer au monde qu’ils ne veulent pas d’une guerre régionale ; sa rencontre avec la société civile nigérienne signifie qu’une révolution de couleur ne peut être exclue ; le gouvernement intérimaire dirigé par les militaires ne recule pas malgré le fait que son nouveau chef de la défense soit un partenaire étroit du Pentagone depuis des années ; et les relations envisagées avec la Russie et Wagner après le coup d’État ne sont pas encore claires.
source : Andrew Korybko
traduction Réseau International
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