Dans un récent reportage de Sarah R. Champagne paru dans Le Devoir du 13 juillet dernier, il est question de quelques faits linguistiques touchant le Québec. L’un de ces faits concerne la connaissance du français. Or, ce sujet nous a incité à examiner de plus près un rapprochement établi entre deux pourcentages très élevés.
Après avoir noté que « 94 % des Québécois […] déclarent être capables de soutenir une conversation en français », la journaliste ajoute, suite à un entretien avec le sociologue Jean-Pierre Corbeil, que « les données sur les populations de travailleurs qui utilisent le français au travail correspondent aussi à environ 95 % ». Selon M. Corbeil, « les gens qui disent pouvoir parler une langue l’utilisent effectivement dans leur vie de tous les jours ».
Or, ces deux proportions quasi identiques ne se comparent tout simplement pas, car elles sont de nature différente. Alors que les 94 % touchant la connaissance du français renvoient à un total de 100 %, les 95 % qui suivent se rapportent à un total atteignant presque 140 %.
Dans Le Quotidien, un organe de diffusion journalier de données officielles, Statistique Canada a présenté le 29 novembre 2017 les résultats concernant la langue de travail au recensement de 2016. Au Québec, 94,4 % des travailleurs auraient fait le plus souvent usage du français, 42,5 % de l’anglais et 2,9 % de toutes autres langues. La somme de ces proportions donne 139,8 %, que l’on peut arrondir à 140 %.
À la satisfaction de trois évaluateurs et de quelques autres démographes de notre entourage, nous avons démontré dans les Cahiers québécois de démographie (CQD, 48-2, automne 2019), que pour obtenir de tels résultats, Statistique Canada a fait ses compilations en effectuant deux types d’additions illicites en statistique.
L’accroc le plus grave vient de l’addition des réponses aux deux questions touchant la langue de travail, car elle porte le total à 131,4 %, un total qui place sur un pied d’égalité les langues utilisées « le plus souvent » (100 % des travailleurs) et celles utilisées « régulièrement » (31,4 % des travailleurs). L’accroc secondaire vient du traitement des « réponses multiples ». En effet, puisque les travailleurs qui ont donné deux réponses sont comptés deux fois, et que ceux qui ont affirmé utiliser trois langues (le français, l’anglais et toutes autres langues tierces) sont triplés, cette étrange façon de faire rajoute 8,4 points à l’addition.
En procédant ainsi, l’organisme fédéral a compté des réponses plutôt que des personnes, ce qui a eu pour effet de conduire à des « sommes d’occurrences », un paramètre statistique rudimentaire. En outre, les proportions du français, de l’anglais et des langues tierces composant la somme ont été calculées sur la population active plutôt que d’après le total des occurrences.
Faire les calculs correctement conduit nécessairement à des proportions moindres, car le nombre d’occurrences linguistiques (6,331 millions) excèdent de 39,8 % le nombre de travailleurs (4,530 millions). Ainsi, le français n’obtient que 67,5 % de l’ensemble des occurrences, laissant 30,4 % à l’anglais et 2,1 % aux langues tierces.
Fort de ce constat pour le Québec, nous avons vérifié la justesse de notre démarche en faisant les calculs pour l’ensemble du Canada et pour le Canada hormis le Québec. Nos résultats concordent avec ceux diffusés à l’automne 2017 pour ces deux entités territoriales, soit 115,7 % et 108,6 % respectivement. Puisqu’il n’y a que des additions dans la manière de faire, tant à Statistique Canada que dans la nôtre (CQD, 48-2, tableau 7, p. 234), il s’ensuit que les résultats ne peuvent être que des sommes d’occurrences.
Si d’une part 94 % des Québécois recensés en 2016 s’affirmaient capables de soutenir une conversation en français, si d’autre part 83,4 % des travailleurs affirmaient faire usage du français le plus souvent (après répartition égale des réponses multiples, CQD, 48-2, p. 216), on peut en déduire qu’il y a une importante disparité de plus de 10 points entre ces deux indicateurs.
Au recensement de 2021, un peu plus de 844 000 travailleurs sachant s’exprimer en français, ne travaillaient pas le plus souvent dans la langue officielle du Québec. Ces travailleurs comptaient pour près de 18 % de l’ensemble de la population active qui avait un emploi au tournant de la décennie. Nous tenons pour impossible que l’adéquation parfaite trouvée par M. Jean-Pierre Corbeil en 2016 se soit autant détériorée en cinq années seulement.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec