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par Alexandre Douguine
J’ai remarqué que la conscience de nombreuses personnes [citoyens russes, ndlr] ne peut pas faire face aux événements du 24 juin. Ils ont donc tendance à dire : «ce n’est pas arrivé», «ce n’était pas réel», «ils l’ont fait exprès». C’est la seule façon d’endormir la douleur aiguë de ce qui s’est passé. Lorsqu’il s’agit de la réaction de défense d’une large société qui n’est pas particulièrement immergée dans la sphère des significations, en l’occurrence les significations de la science politique, cela est compréhensible et acceptable : des échappatoires sont recherchées pour la continuité du flux routinier du monde de la vie, dans lequel les événements sont microscopiques ou inexistants ; mais lorsque la même chose commence à être véhiculée par ceux qui prétendent être sérieux et profonds dans l’analyse, cela semble tout simplement pathétique. Certes, la phase aiguë des événements du 24 juin a été résolue, mais rien n’est encore tout à fait terminé : il faut que les autorités prennent des mesures concrètes pour clarifier le tableau, et alors seulement il y aura une certaine clarté. En attendant, il est peut-être prématuré de commenter les significations, car le processus n’est pas achevé et le résultat pourrait être différent. Ce qui a commencé et se poursuit a un sens à son terme, mais pas avant. Il n’y a pas grand-chose à faire pendant qu’une chaîne d’événements aussi critique se déroule. Une analyse complète nous attend.
Ce qui s’est passé le 24 juin 2023 est le premier accord d’une catastrophe monstrueuse, un incident d’État russe qui a été évité au dernier moment et, en fait, à un prix très élevé.
Jusqu’à présent, le problème de la passion s’est manifesté clairement. Lorsqu’elle fait fatalement défaut au centre du système, elle commence à se concentrer spontanément à la périphérie. À un pôle, nous voyons un surplus évident de passionnalité, mais à l’autre, il y a un manque évident. C’est là, semble-t-il, le principal problème énergétique du pouvoir, qu’il faut résoudre d’urgence.
Selon la théorie des élites de Pareto, il s’agit d’un conflit entre élites et contre-élites. Si l’élite, qui est déjà au pouvoir, ne possède pas une quantité suffisante de pouvoir, elle sera tôt ou tard inévitablement renversée par la contre-élite, qui n’est pas admise au pouvoir, mais qui possède un excès de qualités de pouvoir.
La question de la légalité et de la légitimité se pose donc avec acuité : les rebelles ont radicalisé le problème, mais ils n’ont fait que le soulever, il n’a pas été définitivement résolu, mais il est désormais là, avec nous, et on ne peut y échapper.
C’est un tournant, un point de bifurcation. En bref, il y a deux scénarios décisionnels : le bon et le terrible. Il n’y a apparemment rien de bon dans la situation actuelle, tout comme il n’y a tout simplement rien de mauvais. Un mauvais scénario se transforme immédiatement en un scénario terrible.
Examinons le bon scénario. Des décisions personnelles ont été prises dans certaines agences cruciales et, jusqu’à présent, presque tout est évident. Certains se sont révélés être des héros, d’autres des traîtres et des lâches. Les héros incontestés sont Poutine et Loukachenko, ce sont eux qui ont sauvé le pays, au bord de l’abîme, mais ceux qui ont rendu cette situation possible, qui l’ont encouragée, qui n’ont pas su l’empêcher et qui, lorsqu’elle a commencé, ont été incapables de réagir de manière appropriée, devraient leur faire leurs adieux. Une telle décision renforcera la position du pouvoir suprême et rétablira le respect ébranlé à son égard, la foi dans le pouvoir du véritable Souverain.
Mais il faut maintenant se pencher sur le programme généralisé que Prigojine s’est empressé de promulguer : la société manque cruellement de justice, d’honneur, de courage et d’intelligence de la part des élites. Ce manque provoque déjà une explosion. Alors pourquoi cette idée ne serait-elle pas reprise par les autorités elles-mêmes ? Poutine est maintenant (et a toujours été) dans une position où il peut le faire et y parviendra sûrement. D’où cette idée :
- Faire tourner les élites,
- Punir les lâches et les traîtres
- Récompenser les loyaux et les courageux,
- Correction de l’idéologie vers la conscience patriotique, la justice sociale et l’inclusion réelle de la société dans la guerre.
- Moins de relations publiques, plus de réalité et tout se mettra en place.
En général, remplacer la réalité par les relations publiques est un mal absolu. Tôt ou tard, cette bulle éclatera, et si, au lieu d’un système politique, nous n’avons qu’une grandiose fiction médiatique, la catastrophe est inévitable et surtout : les lois du mensonge nous font tôt ou tard croire à nos propres mensonges. C’est l’étape finale.
Le scénario catastrophe. Laisser tout en l’état, ne rien changer. Supprimer des médias et de la blogosphère toute référence au 24 juin et à ses chiffres. Criminaliser tout appel au patriotisme en référence à la mutinerie. Mettre tout sur le dos de l’Occident et de ses machinations. Conclure en faveur du libéralisme et tout inonder de techniques de relations publiques et de discours de victoire.
Je ne veux pas vous effrayer, mais je vous suggère d’imaginer sobrement les conséquences d’une telle décision. Exactement ce qui était, a conduit à ce qui s’est passé. Si rien n’est changé, le désastre se répétera et, cette fois, il sera fatal.
Celui qui a le plus de passion gagne, l’esprit gagne. Il y a des soldats et des guerriers, la tâche est d’éveiller les guerriers dans les soldats.
Malheur à nous si nous tirons la mauvaise leçon de ce qui s’est passé !
Nous devons nous ressaisir immédiatement. L’ennemi lance sa deuxième vague d’attaque, plus puissante. Le seul moyen de vaincre l’insurrection Wagner est de devenir nous-mêmes Wagner.
Nous avons besoin d’une armée de vainqueurs.
source : Geopolitika
traduction Réseau International
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