Dans le dernier numéro de l’hebdomadaire Politis, une journaliste (sic), Daphné Deschamps, se permet de me classer — et aussi de classer l’organisation Deep Green Resistance (DGR), dont je fais partie, ainsi que Derrick Jensen, le collectif Floraisons et les camarades de Pièces et Main d’Œuvre (PMO) — dans la catégorie « écologie d’extrême droite et réactionnaire » ou « écologie fascisée » (« écofascisme »).
Le motif ? Rien n’est réellement expliqué. La journaliste nous associe sans vergogne à des groupes ayant pour objectif la « préservation de la “race blanche” », notamment (apparemment) par le biais de la préservation de « rôles genrés stricts ». Par ailleurs, notre critique de la technologie dériverait (apparemment) « dans l’homophobie et la transphobie ». Notre opposition à la PMA, à la GPA et notre critique de la technologie en général constitueraient même « une défense de la “naturalité” » (aucune explication supplémentaire n’est fournie sur ce que désigne cette « naturalité » ; un mot que nous n’avons possiblement jamais employé !). Et voilà.
En quoi et où défendons-nous des « rôles genrés stricts » ? La « préservation de la race blanche » ? La « naturalité » ? Mystère. À l’appui de ces accusations — très graves — Daphné Deschamps ne cite aucun de nos propos, ne mentionne pas un article, pas un ouvrage, pas un texte, pas une phrase. Rien.
Il y a une raison très simple à cela. Et c’est que nous n’avons jamais défendu et ne défendons nulle part la « préservation de la race blanche ». Au contraire, nous dénonçons le suprémacisme blanc comme nous dénonçons toutes les formes de suprémacisme (comme le suprémacisme masculin et le suprémacisme humain). De même, nous n’avons jamais défendu et ne défendons nulle part les « rôles genrés stricts ». Au contraire, nous défendons un féminisme abolitionniste du genre. Quant à notre critique de la technologie, elle est avant tout politique, fondée sur la défense de la liberté humaine, sur des principes libertaires, ainsi que sur la défense de l’écosystème planétaire. Elle ne relève pas d’un attachement à quelque « naturalité » (sauf si on entend par là la préservation de la nature, du vivant).
Bref, Daphné Deschamps ment comme une arracheuse de dents, nous calomnie pitoyablement, sans le moindre scrupule. On retrouve ici les méthodes et le discours délirant du collectif « C·A·R·T·E, pour Collectif d’Actions et de Recherche sur la Transphobie et l’Extrême droite », qui avait produit une cartographie tout aussi absurde et calomnieuse en février ou mars 2023. Et ce n’est sans doute pas un hasard. La cartographie publiée par Politis a apparemment été réalisée en collaboration avec « le collectif FLED » (« Front de Lutte pour une Écologie Décoloniale »), qui, d’après ses tweets et retweets, semble proche — au moins idéologiquement — du collectif CARTE.
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Paradoxalement, pour la réalisation de son dossier, Daphné Deschamps interviewe les deux plus éminents spécialistes de l’« écofascisme » : les lumineux Pierre Madelin et Antoine Dubiau. Or, le premier affirmait il y a quelques semaines aux rebelles queer de Lundi matin, dans un entretien par ailleurs truffé de mensonges et d’absurdités tout aussi gratuites que celles de Deschamps, « qu’il faut absolument proscrire » l’emploi du terme « écofasciste » pour nous qualifier (pour qualifier mes positions, celles de PMO, de DGR, de Floraisons), « au risque de le priver de toute signification et de brouiller durablement notre capacité à appréhender la spécificité du phénomène ». Zut alors. Qui croire ?!
Autre imbécilité, Deschamps écrit elle-même que, contrairement à la collapsologie, DGR n’a pas de lien avec « les communautés survivalistes » d’extrême droite, mais relie néanmoins DGR et lesdites « communautés survivalistes » dans sa glorieuse cartographie de « l’écologie d’extrême droite ou réactionnaire ».
On pourrait continuer longtemps à lister les mensonges et autres absurdités nous concernant dans le torchon de Deschamps/Politis. En fin de compte, ce qui est terriblement dommage, c’est qu’analyser la récupération de l’écologie par des idéologies autoritaires, par l’extrême droite, par diverses sortes de réactionnaires, est effectivement un travail important. Mais avec ce lamentable dossier, Politis n’y contribue pas du tout. Au contraire, il propage un confusionnisme pathétique. On note d’ailleurs que le survivaliste Piero San Giorgio est oublié de la cartographie de l’écologie d’extrême droite de Politis, alors que son concept de B.A.D. (Base d’autonomie durable) a été inventé par Serge Ayoub, un militant d’extrême droite proche des individus qui ont tué Clément Méric. Enfin bref, un travail calamiteux.
Et outre la récupération de l’écologie par des idéologies autoritaires, réactionnaires et diversement nuisibles de droite ou d’extrême droite, il faudrait étudier la récupération de l’écologie par des idéologies autoritaires, réactionnaires et diversement nuisibles de gauche ou d’extrême gauche (Cf. Andreas Malm et son « éco-léninisme », ou simplement l’écologie de la gauche technologiste, technocratique).
Il y a deux raisons principales pour lesquelles la gauche Politis, la gauche TQIA+, la gauche queer, technologiste, tente actuellement de nous diaboliser, de nous situer parmi un tas d’affreux d’extrême droite (quitte à employer les méthodes de la Pravda) :
1. Nous critiquons l’industrie et la technologie (pas « la technique », pas n’importe quel outil, par « technologie », il faut entendre, pour faire simple, l’ensemble des technologies modernes, notamment la plupart de celles qui sont nées avec la révolution industrielle, les techniques développées par et requérant des organisations hiérarchiques, autoritaires). Or, critiquer la technologie et l’industrie, soutenir qu’il pourrait y avoir quoi que ce soit d’intrinsèquement problématique dans l’industrie, dans la technologie, à gauche, c’est une hérésie. Et plutôt que d’essayer de débattre sérieusement des arguments que nous avançons, la gauche technologiste préfère nous calomnier, nous associer gratuitement (sans aucun élément de preuve) à divers réactionnaires dont nous ne partageons aucune des idées. Le comble, c’est d’ailleurs que l’extrême droite est aussi technophile que l’extrême gauche et la gauche de Politis (ou de LFI, d’EELV et de la NUPES). Ni Marine Le Pen, ni Éric Zemmour, ni Julien Rochedy ne souhaitent en finir avec l’industrialisme, ne souhaitent désindustrialiser et détechnologiser le monde. À cet égard, l’extrême gauche et l’extrême droite, la gauche et la droite en général, se rejoignent largement. Politis rejoint Éric Zemmour et Marine Le Pen. Tous souhaitent conserver l’essentiel de la civilisation techno-industrielle.
(Si le RN verse dans une sorte de « greenwashing nationaliste », comme l’affirme Pierre Madelin dans l’entretien qu’il accorde à Politis, Politis et le reste de la gauche versent, au même titre que l’extrême droite, dans le greenwashing général de la civilisation industrielle en promouvant les investissements dans le développement des industries de production d’énergies dites « renouvelables », « vertes », « décarbonées », « propres », etc., en promouvant l’impossible verdissement du capitalisme industriel.)
2. Nous critiquons l’idéologie transidentitaire, le système de croyances « trans ». Ce qui vaut une accusation immédiate et machinale de « transphobie ». Et c’est tout. Là encore, aucun de nos arguments n’est jamais examiné, discuté (sachant que les arguments que nous avançons à l’encontre de l’idéologie trans s’opposent assez fondamentalement à ceux que formule l’extrême droite). Tout désaccord avec les idées trans, qui font désormais partie de l’orthodoxie du gros de la gauche, est hérésie. « Pas de débat ». Tel est le mot d’ordre des fous furieux qui soutiennent que l’on peut « naitre dans le mauvais corps » ; qu’être une fille, une femme, un garçon ou un homme n’est qu’un pur sentiment, lié aux stéréotypes sexistes que la société patriarcale assigne aux filles, aux femmes, aux garçons et aux hommes : pour la gauche de Politis, un homme qui fétichise les stéréotypes sexistes qui constituent la féminité et qui se dit femme est une femme, et tout objection est fasciste/« transphobe ». Concernant ce dernier point, si vous voulez comprendre un peu mieux de quoi il retourne, je vous conseille de commander le livre Né(e)s dans la mauvaise société que nous publions ce mois-ci :
Nicolas Casaux
P.-S. : Histoire — il y a 10 ans, déjà, les Grenoblois de PMO publiaient un texte à charge contre la technophilie de Politis, et plus précisément contre son apologie du transhumanisme, qu’ils introduisaient comme suit :
« Nous avions appris à l’école que depuis la Révolution de 1789, il y avait en France une droite et une gauche.
La droite rassemblait le parti de l’Ordre, le parti de la Tradition, des conservateurs, voire des réactionnaires. En un mot, le parti de l’oppression.
La gauche, elle, rassemblait le parti du Mouvement, celui du Progrès, des réformistes, des révolutionnaires, enfin, le parti de l’émancipation.
Dans les faits, bien sûr, il y avait une droite révolutionnaire (comme il y a des poissons volants) et une gauche libérale qui enrageait les militants : “Ils font une politique de droite”, “ils sont pire que la droite”, bref, une “Deuxième droite” justement et férocement empalée dans le livre éponyme de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover (réédition Agone 2013).
Cependant, on ne peut sempiternellement glapir que la gauche ne vaut pas mieux que la droite, sans conclure à la longue que la droite ne vaut pas moins que la gauche. A la fin, une question nous tracasse : la droite ne serait-elle pas une deuxième gauche (patapouf et rantanplan) ? Une deuxième gauche qui finirait toujours par se rallier à la première, notamment dans le domaine sociétal, et dans celui de “l’innovation”, avec un lustre ou deux de retard ?
Innovation et accélération technologique aidant, le parti du mouvement a rejoint celui de l’oppression. “La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner toujours plus avant les instruments de production, donc les rapports de production, donc l’ensemble des rapports sociaux. La conservation sans changement de l’ancien mode de production était au contraire la première condition d’existence de toutes les classes industrielles du passé. Le bouleversement continuel de la production, l’ébranlement ininterrompu de toutes les catégories sociales, l’insécurité et le mouvement éternels, distinguent l’époque bourgeoise de toutes celles qui l’ont précédée.” (Le Manifeste du parti communiste, 1848).
Témoin de cette communion de la gauche et de la droite dans la fuite en avant technologique, le dossier estival de l’hebdomadaire de gauche Politis consacré au transhumanisme (c’est-à-dire à l’anthropophobie), qui célèbre l’inévitable. Titre de ce dossier : « L’homme augmenté, c’est déjà demain ».
Pour une lecture critique de ce numéro collector, voici “Politis et le transhumanisme : une autre réification est possible” (à télécharger ci-dessous). » [à lire ici : https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/Politis_et_anthropophobie‑2.pdf]
La même année, un des fondateurs de Politis, le journaliste Fabrice Nicolino, attaquait également la position technophile et transhumaniste de son ancien journal dans un texte intitulé « Le transhumanisme de Politis (pourquoi je ne suis pas de gauche) ». Extrait :
« Où veux-je en venir ? Mais voyons, n’est-ce pas évident ? J’ai constamment défendu, au long de ma vie, des valeurs qui m’accompagneront au tombeau. Et ce sont, je le crois, des valeurs universelles, qui m’auront aidé à vivre dignement. M’auraient-elles conduit à mourir ? En tout cas, je suis vivant. Et bien plus, je le crains pour eux, que tant de pantins et de polichinelles qui se réclament de la gauche chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Non, décidément non, je ne suis pas de gauche. J’appartiens à une vaste Internationale confuse, qui trouvera ou non sa voie. Qui se cherche en tout cas, qui se reconnaît parfois en ce qu’elle remet en cause la totalité des formes politiques nées de l’industrialisation du monde. La droite, cela va sans dire. Mais la gauche tout autant, qui fait semblant d’aller en direction de l’écologie, comme M. Mélenchon chez nous, alors qu’elle ne fait que passer une couche de peinture verte sur les vieilles harangues. N’est-il pas évident que les mélenchonistes – et nul doute que Politis est mélenchoniste – font du greenwashing, de même que la Shell ou EDF ?
Je résume, et que personne ne rie, car je résume vraiment. La gauche est une vieille chose, associée étroitement au processus de la destruction du monde. Une autre culture émerge des décombres, qui suit un chemin difficile, hésitant, fatalement long. La première est morte. La seconde reste fragile, mais elle déborde d’énergie, et comme elle est le seul avenir concevable, pour le moment du moins, il faut lui souhaiter de grandir au point de dominer culturellement le monde. Car c’est de la culture profonde des humains que surgiront d’éventuelles solutions. J’ai choisi depuis longtemps, et ma rupture avec Politis, si ancienne déjà, ne saurait être plus totale. »
P.-S. #2 : Il est audacieux de la part de Politis de donner des leçons de bienséance alors que son ex-rédacteur en chef est mêlé à une affaire d’escroquerie de dizaines de sans-papiers, et qu’une de ses journalistes, Laurence de Cock, est actuellement dans la tourmente pour avoir plagié un journaliste martiniquais.
P.-S. #3 : Ce 11 juin 2023, Pierre Madelin, l’auteur de La Tentation écofasciste (écosociété, 2023), que Daphné Deschamps a interviewé pour réaliser le dossier sur « l’écologie fascisée » paru dans Politis, a publié ce texte sur Facebook pour se désolidariser de la cartographie merdique qui y figure (la cartographie discutée ci-dessus).
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