Les Wachowski, Matrix, le BDSM, la pornographie, la technologie et la transidentité

Les Wachowski, Matrix, le BDSM, la pornographie, la technologie et la transidentité

La vie du co-créateur de Matrix serait-elle être plus étrange que la fiction ?

Note du tra­duc­teur : L’article sui­vant est ini­tia­le­ment paru, en anglais, dans le célèbre maga­zine états-unien Rol­ling Stone, en jan­vier 2006, sous le titre « Le mys­tère de Lar­ry Wachows­ki ». La ver­sion ori­gi­nale a été sup­pri­mée du site de Rol­ling Stone mais peut être lue en sui­vant ce lien. Il m’a sem­blé inté­res­sant de le tra­duire en rai­son de ce qu’il met en lumière concer­nant le transgenrisme.


Un soir de jan­vier 2001, Lar­ry Wachows­ki, coréa­li­sa­teur des films à suc­cès Matrix, est entré dans un club sombre de West Hol­ly­wood où les règles de l’i­den­ti­té s’es­tom­paient faci­le­ment, comme dans ses films. Ce club, appe­lé The Dun­geon (le don­jon), était au ser­vice de la com­mu­nau­té BDSM (bon­dage, dis­ci­pline, sadisme et maso­chisme) de Los Angeles. C’é­tait un lieu où avait cours une dyna­mique de pou­voir impli­quant deux types de per­sonnes dif­fé­rentes : les avides de sou­mis­sions, ou esclaves, et les domi­na­trices qui, pour une heure ou une nuit, pre­naient tota­le­ment en charge leur esprit et leur corps, à l’aide de cordes, de fouets, de chaînes, de cou­teaux et d’ai­guilles. Wachows­ki appar­te­nait à la pre­mière caté­go­rie. Et, selon ses amis, il aimait s’a­don­ner à son passe-temps en étant habillé en femme.

L’une des per­sonnes qu’il a ren­con­trées ce soir-là était une des domi­na­trices les plus en vue de L.A., une grande blonde à la sil­houette impo­sante qui uti­li­sait comme nom de kink « Ilsa Strix ». Infli­ger une dou­leur extrême semble être la spé­cia­li­té de Strix : « Ma plus grande réus­site, d’une cer­taine manière, a‑t-elle décla­ré un jour, a été de plan­ter 333 aiguilles dans un seul pénis. » Strix fai­sait cla­quer le fouet sur ses esclaves comme per­sonne d’autre. Elle diri­geait le don­jon avec son par­te­naire Buck Angel, une trans­sexuelle femme-vers-homme (ftm) connue aujourd’­hui dans le monde du por­no sous le nom de « The Dude With a Pus­sy » (« le mec avec une chatte »). [Le nom offi­ciel de Buck Angel est aujourd’hui Jake Miller].

Dans les semaines qui ont sui­vi leur pre­mière ren­contre, Lar­ry Wachows­ki est retour­né au don­jon pour voir Mis­tress Strix. Les limites sont rapi­de­ment tom­bées, pour le plus grand éton­ne­ment de la com­mu­nau­té BDSM de Los Angeles, qui s’e­nor­gueillit du fait que les maî­tresses gardent leurs sou­mis à dis­tance. La rela­tion entre Lar­ry et Ilsa, tous deux tren­te­naires, allait finir par détruire deux mariages et peut-être modi­fier le cours créa­tif de l’une des tri­lo­gies ciné­ma­to­gra­phiques les plus influentes du der­nier quart de siècle, que Lar­ry avait créé avec son frère Andy : les films Matrix, dont le pre­mier était sor­ti en 1999, et ses deux suites, sor­ties en salles à six mois d’in­ter­valle, en 2003. Autre­fois consi­dé­rés comme les rois de l’Hol­ly­wood geek-chic, les frères Wachows­ki ont dis­pa­ru de la scène, deve­nant de véri­tables reclus. Ils ont tous deux refu­sé les demandes d’in­ter­view pour cet article.

Les frères pré­voient cepen­dant de réap­pa­raître — pro­fes­sion­nel­le­ment, en tout cas. Le mois de mars ver­ra la sor­tie de V pour Ven­det­ta, qui por­te­ra la célèbre marque des Wachows­ki, cette fois en tant que scé­na­ristes et pro­duc­teurs. Basé sur un roman gra­phique bien connu d’A­lan Moore et David Lloyd, qui traite du vigi­lan­tisme dans un État fas­ciste, le film serait un réqui­si­toire viru­lent contre la poli­tique de l’ad­mi­nis­tra­tion Bush. Bien que les frères n’aient pas réa­li­sé Ven­det­ta, un pro­jet en cours depuis l’é­poque de Matrix, le film res­semble à un film des Wachows­ki : sombre et dan­ge­reux, selon ceux qui l’ont vu. La com­mu­nau­té des ciné­philes en ligne a fait part d’un grand enthou­siasme après des pro­jec­tions en avant-pre­mière soi­gneu­se­ment orches­trées. Dans une pre­mière cri­tique, Michael Wolff, de Vani­ty Fair, a qua­li­fié le film de « spec­ta­cu­laire et exal­tant ». Ce film de plus de 50 mil­lions de dol­lars était à l’origine pré­vu comme l’un des grands films de l’au­tomne 2005 de War­ner Bros. Seule­ment, sa sor­tie, ini­tia­le­ment pro­gram­mée pour le mois de novembre, pro­pice aux super­pro­duc­tions, fut repous­sée au mois de mars, qui est tra­di­tion­nel­le­ment le lieu de pré­di­lec­tion des films en dif­fi­cul­té. Iro­ni­que­ment, c’est aus­si le mois où Matrix est sor­ti. Il s’agit du pre­mier film des frères Wachows­ki en trois ans, et il n’y en a pas d’autre en vue.

Les per­for­mances de Ven­det­ta seront cer­tai­ne­ment sui­vies de près par les fans et les obser­va­teurs de l’in­dus­trie. Quel est l’a­ve­nir de l’é­quipe de réa­li­sa­teurs la plus pros­père et la plus vision­naire de l’his­toire récente ? Où sont-ils allés ? Et qu’est-il arri­vé à Lar­ry Wachowski ?

* * *

Lorsque Matrix a été pré­sen­té pour la pre­mière fois en 1999, les spec­ta­teurs ont été stu­pé­faits par le nou­veau monde que les Wachows­ki avaient créé. Le génie du film a consis­té à marier une vieille idée — selon laquelle les humains habitent un uni­vers alter­na­tif contrô­lé par des machines — avec des scènes de com­bat spec­ta­cu­laires et des effets spé­ciaux vision­naires. En plus d’emprunter aux films d’arts mar­tiaux de Hong Kong et aux animes japo­nais, Matrix fait allu­sion à des évé­ne­ments de la Bible et de la mytho­lo­gie et aborde le concept tou­jours en vogue de l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle — de quoi satis­faire tous les fans de science-fic­tion. Il s’agissait d’une sorte de Star Wars pour des gens brillam­ment tordus.

Rien dans le pas­sé des frères Wachows­ki ne lais­sait pré­sa­ger qu’ils étaient sur le point de deve­nir les nou­veaux titans geeks d’Hol­ly­wood. Leur seule réa­li­sa­tion anté­rieure, le thril­ler les­bien noir et per­vers Bound, à 4 mil­lions de dol­lars, com­por­tait cer­taines des scènes entre filles les plus sor­dides jamais vues dans un film de stu­dio, mais n’a pas trou­vé un large public. En revanche, Bound abor­dait des thèmes deve­nus obses­sion­nels pour les Wachows­ki : la faci­li­té avec laquelle, dans un monde rigide, les iden­ti­tés sociales et sexuelles peuvent changer.

Les frères Wachowski

Durant leur période Bound, les frères pas­saient aux yeux de leurs amis et col­lègues pour des plai­san­tins invé­té­rés, d’une ouver­ture rafraî­chis­sante. Après avoir pas­sé leur vie à cher­cher le suc­cès au ciné­ma — d’a­bord comme enfants obsé­dés par les bandes des­si­nées, puis comme scé­na­ristes néo­phytes — les habi­tants du Mid­west ne sem­blaient pas affec­tés par les pièges sédui­sants de l’in­dus­trie ciné­ma­to­gra­phique. « Lar­ry et Andy étaient le genre de per­sonnes avec les­quelles on aime­rait boire une bière », déclare un scé­na­riste qui a pas­sé du temps avec eux pen­dant la tour­née de presse de Bound. « Très acces­sibles. Très normaux. »

Puis vint Matrix. Réa­li­sé pour 70 mil­lions de dol­lars, à par­tir d’un scé­na­rio qui avait sur­pris le pro­duc­teur Joel Sil­ver à la pre­mière lec­ture, le pre­mier film de la série est la défi­ni­tion même d’un clas­sique culte moderne. Il a rap­por­té 470 mil­lions de dol­lars de recettes mon­diales et rem­por­té quatre Oscars, et des cen­taines de sites de fans dévoués ali­mentent une « Matrix mania » qui dure­ra sans doute des années. Un jeu vidéo basé sur le film, inti­tu­lé « Enter the Matrix », s’est ven­du à un mil­lion d’exem­plaires au cours des dix-huit pre­miers jours après sa sor­tie, deve­nant ain­si le jeu vidéo basé sur un film qui s’est ven­du le plus rapi­de­ment de l’his­toire. La ver­sion DVD du film a été le pre­mier disque à se vendre à un mil­lion d’exem­plaires. La fran­chise entière a fina­le­ment rap­por­té plus d’un mil­liard de dol­lars à War­ner Bros. Et elle a eu un autre effet : elle a ini­tié le public à un uni­vers pri­vé, jamais vu aupa­ra­vant — étran­ge­ment asexué, mais aus­si rem­pli de réfé­rences à l’an­dro­gy­nie, au cuir et au sadomasochisme.

En plus de leurs salaires lucra­tifs de réa­li­sa­teurs, Lar­ry et Andy ont gagné des mil­lions en tant que scé­na­ristes et ont éga­le­ment reçu une part des béné­fices bruts et des rede­vances sur le jeu vidéo. Il s’a­git d’une incroyable ren­trée d’argent pour ces deux anciens peintres en bâti­ment de Chi­ca­go, qui ont fait leurs pre­mières armes dans l’in­dus­trie du diver­tis­se­ment en tant que scé­na­ristes pour Mar­vel Comics et ont étu­dié la bio­gra­phie trash de Roger Cor­man (1990), How I Made a Hun­dred Movies in Hol­ly­wood and Never Lost a Dime (paru en fran­çais sous le titre Com­ment j’ai fait cent films à Hol­ly­wood et je n’ai jamais per­du un cen­time), en vue de per­cer. D’ailleurs, les frères Wachows­ki n’ont jamais ter­mi­né l’u­ni­ver­si­té. Lar­ry a aban­don­né l’université appe­lée Bard Col­lege, dans le nord de l’É­tat de New York, et son jeune frère Andy a quit­té l’université d’Emerson Col­lege, à Bos­ton, sans avoir obte­nu de diplôme.

Ils for­maient une drôle de paire. Lar­ry buvait du vin et col­lec­tion­nait les livres anciens. Andy, le plus tra­pu des deux, pré­fé­rait la bière et les sports pro­fes­sion­nels, et aimait s’ha­biller comme un motard. Ils écri­vaient leurs scé­na­rios ensemble, à la main, sur des blocs-notes jaunes, et se dis­pu­taient rare­ment. « À l’é­poque où je tra­vaillais avec eux, il y a peut-être eu trois posi­tions diver­gentes sur 3 856 293 ques­tions créa­tives concer­nant quatre films », déclare le concep­teur sonore Dane A. Davis, qui tra­vaille avec les frères depuis Bound et a rem­por­té un Oscar pour son tra­vail sur Matrix.

En 2000, riches du suc­cès inat­ten­du du pre­mier Matrix, Lar­ry et Thea Bloom, sa petite amie d’u­ni­ver­si­té deve­nue son épouse, ont ache­té une mai­son à 1,9 mil­lion de dol­lars sur la plage de Venice, en Cali­for­nie, avec une vue impre­nable sur l’o­céan Paci­fique. Les frères ont ins­tal­lé leur socié­té de pro­duc­tion, Anar­chos Enter­tain­ment, dans un sombre immeuble situé à quelques minutes de la mai­son de Lar­ry et Thea, avec le pro­jet vague mais ambi­tieux de pro­duire une série de films qui pré­sen­te­raient leurs visions déca­lées au monde entier.

En cours de route, les frères Wachows­ki ont délais­sé leurs manières cha­leu­reuses et se sont soi­gneu­se­ment nim­bés d’un voile de mys­tère. Ils ont don­né de moins en moins d’in­ter­views et ont fini par ne plus par­ler à la presse. « Lar­ry et Andy Wachows­ki tra­vaillent ensemble depuis trente-deux ans », peut-on lire dans l’une de leurs bio­gra­phies offi­cielles. « On ne sait pas grand-chose d’autre sur eux. »

Cepen­dant, dans un Hol­ly­wood éli­tiste, les frères appa­rais­saient comme des héros de la classe ouvrière. Les Wachows­ki fai­saient les choses à leur manière. Ils n’ont pas pro­tes­té, ni crié, ni cas­sé de meubles. Ils ont dis­tri­bué, tour­né et mon­té leurs films comme ils l’en­ten­daient. Confiants dans leur vision, ils n’en ont jamais dévié. Ils ont tra­vaillé avec la même équipe sou­dée sur les trois films Matrix et ont récom­pen­sé la loyau­té de leur équipe avec des cadeaux de vacances et même une géné­reuse part des béné­fices du jeu. « Il est impos­sible de ne pas aimer Lar­ry », déclare Davis. « Dès que la méti­cu­lo­si­té ou l’excès de sérieux vont nous pous­ser à bout [sur le pla­teau], l’hu­mour de Lar­ry crève la bulle et nous ramène à la réa­li­té de simples humains qui réa­lisent un simple film. »

Mais par­fois, l’am­biance sur le pla­teau pre­nait un ton plus sombre. « Lar­ry et Andy ont tou­jours été inté­res­sés par le concept de sup­pres­sion, de se sup­pri­mer soi-même », explique Mar­cus Chong, qui jouait Tank, le pilote du vais­seau de Mor­pheus, le Nebu­chad­nez­zar, dans le pre­mier film de Matrix. « L’un de leurs prin­ci­paux conseils de mise en scène était : Soyez stoïque, ne mon­trez jamais votre vrai visage. »

* * *

Née Karin Ingrid Wins­low en 1967 dans le Connec­ti­cut, ado­les­cente punk rocker et fugueuse dont la mère est décé­dée alors qu’elle était encore une jeune fille, Mis­tress Strix s’est pra­ti­que­ment impo­sée comme une super­star dans le monde du BDSM. En plus de diri­ger le club The Dun­geon, où elle s’est fait de nom­breux adeptes par­mi l’é­lite d’Hol­ly­wood, Ilsa a don­né des cours de pier­cing avan­cés aux aspi­rants domi­nants, ou maîtres, et a été à l’a­vant-garde d’un effort vigou­reux pour pro­pa­ger la phi­lo­so­phie du BDSM non seule­ment à Los Angeles, mais aus­si dans le monde entier, via l’in­ter­net. Un site Web qu’elle a fon­dé, Pro-domination.com, alloue une par­tie des coti­sa­tions des abon­nés à un fonds de défense juri­dique au pro­fit des domi­nants pro­fes­sion­nels qui ont maille à par­tir avec les forces de l’ordre. « Ilsa est deve­nue la bombe blonde de la domi­na­tion », déclare l’an­cienne star du por­no Porsche Lynn, qui a tra­vaillé comme domi­na­trice pen­dant de nom­breuses années à Los Angeles et à Phoe­nix. « Très res­pec­tée. Très expé­ri­men­tée. Très bien informée. »

Un pos­ter de pro­mo­tion d’Il­sa Strix.

Ilsa est arri­vée à Los Angeles vers 1997, après avoir évo­lué dans les com­mu­nau­tés bon­dage de San Fran­cis­co et de New York. « J’ai com­men­cé à jouer avec le BDSM dès mes pre­mières rela­tions intimes, juste après le lycée », a‑t-elle décla­ré dans une inter­view accor­dée en 2001 au site web BDSM DickieVirgin.com. « Il m’a fal­lu attendre le début de la ving­taine pour com­prendre que le sado­ma­so­chisme fai­sait par­tie inté­grante de mon iden­ti­té et me défi­nir comme membre de la com­mu­nau­té du cuir. » Lors d’une inter­view de 1996, Ilsa a décrit un client par­ti­cu­lier : « Je lutte [avec lui]. Nous jouons des scènes tirées de vidéos de Hong Kong où des femmes balancent des hommes. »

Mis­tress Ilsa pou­vait être dure, voire cruelle. « Si son sou­mis disait : “je ne pense pas que les aiguilles m’in­té­ressent”, elle pou­vait s’ap­pro­cher et, boum, lui insé­rer quelques aiguilles sous les ongles », raconte Mis­tress Jen­na King, une domi­na­trice de Los Angeles. « Elle avait la capa­ci­té d’a­me­ner un véri­table sou­mis ou esclave à des niveaux qu’il n’au­rait jamais cru pou­voir atteindre. Elle repous­sait leurs limites et ils en étaient heu­reux. C’é­tait un échange de pou­voir. » Ilsa a réa­li­sé un cer­tain nombre de vidéos, dont Trans­sexual Extreme 2, Hell­cats in High Heels 3 (Chattes de l’enfer à hauts talons 3), Behind the Whip (Der­rière le fouet) et Queen of Pain (Reine de la dou­leur) — toutes des best-sel­lers dans le monde du BDSM, qui montrent Ilsa s’a­mu­sant avec des esclaves hommes et femmes.

Une par­tie du cahier des charges maître/esclave — une règle de conduite stricte dans cet uni­vers paral­lèle de confiance et d’a­ban­don — est le concept de limites, limi­tant la ren­contre de bon­dage uni­que­ment à une séance pré­cise. Par consé­quent, aucun rap­port sexuel n’est cen­sé avoir lieu et aucune ren­contre n’est pos­sible en dehors d’une « ses­sion ». Ilsa Strix res­pec­tait scru­pu­leu­se­ment ces règles de base, au point de se mon­trer dis­tante avec la plu­part de ses clients. « Elle atti­rait un cer­tain type d’hommes qui la consi­dé­raient comme une figure dis­tante », explique Mis­tress Nico­lette, une domi­na­trice de Los Angeles et une amie proche de l’é­poque. « Ils aiment ce côté inac­ces­sible. Elle avait ce com­por­te­ment royal et froid. »

La vie domes­tique d’Il­sa est aus­si peu conven­tion­nelle que sa vie pro­fes­sion­nelle. Elle est mariée depuis 1998 à Buck Angel, une trans­sexuelle femme-vers-homme, une femme qui a eu recours à des chi­rur­giens pour se faire enle­ver les seins et dont la poi­trine a été élar­gie, grâce à des injec­tions de tes­to­sté­rone, pour atteindre l’envergure de celle d’un homme mus­clé. En des­sous de la taille, Buck est res­tée une femme.

Buck Angel, avant/après.

Ilsa et Buck Angel par­ta­geaient une petite mai­son dans le quar­tier de Los Feliz, à l’é­poque très pauvre, de Los Angeles. Buck pas­sait ses jour­nées comme assis­tant d’Il­sa, s’oc­cu­pant de son site Web et de son mar­ke­ting, quand elle [le jour­na­liste emploie « il », mais je pré­fère employer « elle », on parle d’une femme, peu importe ses chi­rur­gies] ne diri­geait pas le don­jon ou ne s’en­traî­nait pas à la salle de sport, quatre ou cinq fois par semaine. Toutes les deux semaines, elle se fai­sait une nou­velle injec­tion de tes­to­sté­rone pour que ses muscles conti­nuent à se développer.

Jeune fille, Buck ne s’est jamais sen­tie comme telle. Au lieu d’être obsé­dée par les vête­ments et le maquillage, elle traî­nait avec des gar­çons, buvait de la bière et tra­vaillait sur des voi­tures. Ilsa et Buck se sont mariés deux ans après que Buck, alors âgé d’une ving­taine d’an­nées, a subi les opé­ra­tions chi­rur­gi­cales de 6 000 dol­lars qui l’ont trans­for­mée. Ses avant-bras sont mas­sifs, son crâne chauve, tout son corps est cou­vert de tatouages. Éga­le­ment un « joueur » [une joueuse] enthou­siaste de l’un­der­ground S&M (sado­ma­so­chiste), Buck aime les vestes en cuir, les cha­peaux de cow-boy, les lunettes de soleil d’a­via­teur et les bons cigares.

« Ilsa n’a jamais été enthou­sias­mée par ses clients », explique Buck. « Elle voyait des poli­ti­ciens et des hommes puis­sants, mais elle n’en fai­sait jamais une mon­tagne ; c’é­tait juste un tra­vail. Mais un soir, elle a dit : “Oh, mon Dieu, tu ne vas pas croire qui se trouve dans cette pièce : le réa­li­sa­teur de Matrix !” »

Fan du pre­mier film Matrix, Buck est entré dans la pièce et a échan­gé quelques mots avec le coréa­li­sa­teur et le scé­na­riste. « J’ai vu Lar­ry vêtu d’une culotte, de bas nylon et d’une per­ruque, entiè­re­ment maquillé », se sou­vient Buck. « Il était allon­gé là, tran­quille, avec l’air très, très heureux. »

« Au début, je ne consi­dé­rais pas la rela­tion entre Ilsa et Lar­ry comme sexuelle, parce que je com­pre­nais la dyna­mique qui y régnait », affirme-t-elle. « Lar­ry est un tra­ves­ti et sa femme n’é­tait pas à l’aise avec le fait qu’il s’ha­bille en femme. Je pen­sais sim­ple­ment que Lar­ry était un client, et qu’Ilsa était la domi­na­trice. » Selon des sources de la com­mu­nau­té BDSM de Los Angeles, Ilsa Strix n’é­tait pas la pre­mière « pro dom » à laquelle Lar­ry Wachows­ki ren­dait visite.

Les psy­chiatres ne s’ac­cordent pas sur les forces en jeu chez les hommes qui se tra­ves­tissent et fran­chissent l’é­tape ultime de la chi­rur­gie de « réas­si­gna­tion sexuelle ». Un camp consi­dère que les hommes de ce type souffrent d’un « trouble de l’i­den­ti­té de genre », qu’ils sont des « femmes pié­gées dans des corps d’hommes » [une idée com­plè­te­ment sexiste : comme si le fait d’avoir des pen­chants pour les attri­buts de la fémi­ni­té fabri­quée par la socié­té patriar­cale signi­fiait que des hommes étaient en réa­li­té des femmes, comme si une atti­rance pour les attri­buts de la fémi­ni­té fabri­quée par la socié­té patriar­cale, une envie d’être sou­mise sexuel­le­ment, et fouet­tée, etc., c’était ce qui fai­sait d’une per­sonne une femme]. Un autre groupe de méde­cins qua­li­fient les hommes qui mani­festent ces ten­dances d’« auto­gy­né­philes » — des hommes hété­ro­sexuels qui sont essen­tiel­le­ment des féti­chistes sexuels, exci­tés par la pen­sée ou l’i­mage d’eux-mêmes en tant que femmes.

Pour en savoir plus sur l’au­to­gy­né­phi­lie, cli­quez sur l’image.

J. Michael Bai­ley, pro­fes­seur de psy­cho­lo­gie à l’u­ni­ver­si­té Nor­th­wes­tern, dans l’Illinois, et auteur de The Man Who Would Be Queen : The Science of Gen­der-Ben­ding and Trans­sexua­lism (« L’homme qui serait reine : la science du gen­der-ben­ding et du trans­sexua­lisme »), défend la thèse de l’au­to­gy­né­phi­lie. Bien qu’il ait refu­sé de s’ex­pri­mer concer­nant Lar­ry Wachows­ki, il a décrit des com­por­te­ments auto­gy­né­philes typiques. « Les auto­gy­né­philes men­tionnent sou­vent un désir d’être une fille qui remonte à l’en­fance », explique Bai­ley. « Mais la pre­mière mani­fes­ta­tion exté­rieure de ce désir appa­raît géné­ra­le­ment au début de l’a­do­les­cence, lors­qu’ils découvrent que le port de vête­ments fémi­nins les excite. En revanche, et mal­gré les fré­quentes affir­ma­tions du contraire, rien n’indique que ces per­sonnes étaient par­ti­cu­liè­re­ment fémi­nines dans leur enfance. »

Cer­tains experts estiment que les hommes qui veulent deve­nir des femmes ont éga­le­ment ten­dance à être ce que Lar­ry Wachows­ki semble être : un homme pas­sion­né par la tech­no­lo­gie [autre­ment dit, ils ont ten­dance à être d’ardents tech­no­philes, ce qui cor­ro­bore le dis­cours que tient « San­dy » Stone, un célèbre mili­tant trans états-unien, qui affirme que le trans­gen­risme est lié au déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, Cf. son livre inti­tu­lé The War of Desire and Tech­no­lo­gy at the Close of the Mecha­ni­cal Age, soit « La guerre du désir et de la tech­no­lo­gie à la fin de l’ère méca­nique », paru en 1995]. En 1974, Donald Laub, chi­rur­gien plas­ti­cien, et Nor­man Fisk, psy­chiatre, ont mené une étude à la facul­té de méde­cine de l’u­ni­ver­si­té de Stan­ford sur 769 patients envi­sa­geant un chan­ge­ment de sexe. Par­mi les patients de sexe mas­cu­lin, Laub et Fisk ont décou­vert une pré­dis­po­si­tion inté­res­sante : « L’ob­ser­va­tion du groupe des hommes deve­nus femmes a mon­tré […] qu’ils s’in­té­res­saient aux mathé­ma­tiques et à l’informatique. »

Lar­ry envoyait à Ilsa des bou­quets de fleurs très éla­bo­rés et lui ache­tait des livres, des vête­ments et des chaus­sures. Ilsa res­tait debout tard dans la nuit, à scru­ter l’his­toire de Lar­ry sur Inter­net. Selon Buck, Ilsa offrait à Lar­ry des séances de bon­dage gra­tuites qui duraient par­fois toute la nuit, renon­çant ain­si à des mil­liers de dol­lars de reve­nus et éveillant l’ire et les soup­çons de Buck. Selon ses ami·es, Deux semaines après avoir ren­con­tré Lar­ry, Ilsa sem­blait avoir changé.

Par la suite, elle s’est envo­lée pour l’Aus­tra­lie, en pre­mière classe, pour accom­pa­gner Lar­ry sur les lieux de tour­nage des deux suites de Matrix, pen­dant plu­sieurs semaines d’af­fi­lée. Lar­ry venait la cher­cher à l’aé­ro­port habillé en « Lana », se sou­vient un ami. « Il deve­nait dépri­mé et de mau­vaise humeur lors­qu’il devait se rendre sur le pla­teau habillé en homme. »

Dans le milieu du bon­dage de Los Angeles, la nou­velle de la rela­tion entre Lar­ry Wachows­ki et Ilsa Strix s’est rapi­de­ment répan­due. Selon les cyniques, Ilsa, en femme d’af­faires intel­li­gente qu’elle était, n’a­vait cer­tai­ne­ment fré­quen­té Lar­ry que pour son argent. Pour elle, Lar­ry devait repré­sen­ter l’ul­time « sugar dad­dy ». Sinon, pour­quoi Ilsa avait-elle sou­dai­ne­ment déci­dé de ne pas res­pec­ter les règles du BDSM ? Tout le monde dans la com­mu­nau­té l’ap­pe­lait la « ses­sion à six mil­lions de dol­lars », raconte la maî­tresse Jen­na King. « Les gens en plaisantaient. »

Lorsque Lar­ry et Ilsa sont appa­rus pour la pre­mière fois en public, lors de la pre­mière de Matrix Reloa­ded à Los Angeles en 2003, les frères Wachows­ki ont essuyé le pre­mier revers cri­tique de leur car­rière. Bien que Reloa­ded ait été l’un des films les plus ren­tables de 2003, avec 281 mil­lions de dol­lars de recettes, il a coû­té 150 mil­lions de dol­lars à réa­li­ser et contient l’une des séquences les plus cri­ti­quées de l’his­toire récente du ciné­ma, la scène dite de la rave, dans laquelle des cen­taines de dan­seurs se contor­sionnent inter­mi­na­ble­ment, comme dans un film por­no soft-core, et dans laquelle Kea­nu Reeves se dénude. Matrix Revo­lu­tions, qui a éga­le­ment coû­té 150 mil­lions de dol­lars, n’a rap­por­té que 138 mil­lions de dol­lars et a sacri­fié des scènes de com­bat crous­tillantes au pro­fit d’ef­fets de syn­thèse exa­gé­rés et d’une reli­gio­si­té sen­ti­men­tale. Manoh­la Dar­gis a écrit dans le Los Angeles Times : « Neo a quit­té la Matrice pour atter­rir dans un épi­sode de Tou­ched by an Angel. Com­ment quelque chose de si cool au départ a‑t-il pu deve­nir si ringard ? »

Lar­ry Wachows­ki et Ilsa Strix lors de la pre­mière de Matrix Reloa­ded à Los Angeles, le 7 mai 2003.

Cer­tains, à Hol­ly­wood, ont mis cela sur le compte d’une baisse de régime. D’autres y voient autre chose : Lar­ry Wachows­ki avait l’es­prit ailleurs. Selon une source du monde du bon­dage, « Lar­ry était tota­le­ment concen­tré sur Ilsa ».

* * *

D’a­bord dans le déni, Buck Angel a exi­gé des réponses. Ilsa s’est arran­gée pour que Lar­ry et elle ren­contrent Buck dans un club trans­sexuel sur le bou­le­vard San­ta Moni­ca, un ven­dre­di soir du début de l’an­née 2001, afin de dis­cu­ter de la situa­tion. À minuit, deux grandes blondes por­tant des per­ruques presque iden­tiques, des vestes en four­rure et des chaus­sures à talons hauts sont entrées. C’é­tait Lar­ry et Ilsa, mais Lar­ry était pra­ti­que­ment méconnaissable.

Buck Angel se rafraî­chis­sait au bar pen­dant que son épouse et Lar­ry Wachows­ki se lan­çaient à leur tour sur la piste de danse. « Lors­qu’ils se sont appro­chés de moi, Lar­ry n’a pas vou­lu me regar­der dans les yeux », se sou­vient Buck. « Dans ses chaus­sures, il fait envi­ron 1,80 m, une grande drag queen. J’ai essayé de par­ler à Lar­ry, mais il ne vou­lait pas me par­ler. Sa per­ruque lui cou­vrait les yeux et je lui ai dit : “Mec, tu devrais remon­ter ta per­ruque, parce que tu res­sembles à un mec en robe”. »

Peu après, Buck a mis Ilsa à la porte de la mai­son qu’ils par­ta­geaient sur Ken­more Ave­nue et a deman­dé le divorce. Elle lui a dit : « Que Lar­ry s’oc­cupe de toi. » Lors du par­tage de leurs maigres biens, Ilsa a récu­pé­ré la PlayS­ta­tion et l’ar­gen­te­rie, tan­dis que Buck a obte­nu la grille à gaz, une gra­vure de Cape Cod et « toutes les four­ni­tures de cui­sine res­tantes ». Un four­gon Ford, pour lequel le couple devait encore payer 17 000 dol­lars, est retour­né chez le conces­sion­naire. Buck Angel a quit­té Los Angeles pour la Nouvelle-Orléans.

Thea Bloom, furieuse, en avait éga­le­ment assez. En juillet 2002, elle s’est sépa­rée de Lar­ry et a cher­ché à mettre fin à leurs neuf années de mariage. Thea Bloom ayant accu­sé Lar­ry d’a­voir dis­si­mu­lé des mil­lions de dol­lars gagnés sur divers pro­jets Matrix, un juge de la Cour supé­rieure de Los Angeles a ordon­né, en mai 2003, le gel des biens consi­dé­rables de Lar­ry, au moment même où Matrix Reloa­ded sor­tait sur les écrans. « Lar­ry a été extrê­me­ment mal­hon­nête avec moi dans notre vie per­son­nelle, et je crois qu’il me cache des infor­ma­tions concer­nant nos affaires finan­cières », a décla­ré Bloom dans une décla­ra­tion sous ser­ment. La sépa­ra­tion, a‑t-elle ajou­té, était « basée sur des cir­cons­tances très intimes, sur les­quelles je ne m’é­ten­drai pas pour l’ins­tant, pour des rai­sons de res­pect de sa vie privée ».

Les docu­ments dépo­sés par Bloom four­nissent tou­te­fois un aper­çu du monde secret de Lar­ry Wachows­ki. Bloom affirme que les frères Wachows­ki ont reçu 16 mil­lions de dol­lars pour les seuls films Reloa­ded et Revi­si­ted, dont 5 mil­lions pour les scé­na­rios, 2,2 mil­lions pour les ser­vices de pré­pro­duc­tion et 6,6 mil­lions à débour­ser pen­dant que la pho­to­gra­phie prin­ci­pale était en cours. En plus de la moi­tié de l’argent de Lar­ry, elle a deman­dé 29 819 dol­lars par mois pour ses dépenses. [La pro­cé­dure de divorce a fini par abou­tir, en 2009].

Au Fes­ti­val de Cannes, cette année-là, lorsque Lar­ry et Ilsa sont appa­rus ensemble sur le tapis rouge, Ilsa était éblouis­sante, telle une star de ciné­ma — peau par­faite, che­veux blonds tom­bant sur ses épaules, dents blanches étin­ce­lantes. Lar­ry Wachows­ki ne res­sem­blait pas à Lar­ry Wachows­ki. Son visage était fémi­ni­sé ; ses sour­cils étaient épi­lés, il por­tait de grandes boucles d’o­reilles en forme de goutte d’eau et un bon­net en tri­cot cou­vrait sa tête. Ses ongles étaient manu­cu­rés. Lar­ry et Ilsa sem­blaient ravis. La presse, y com­pris la chro­ni­queuse Liz Smith, s’est deman­dée si Lar­ry pre­nait des hor­mones fémi­nines en pré­vi­sion d’une opé­ra­tion de chan­ge­ment de sexe. Ilsa et lui ont déci­dé de quit­ter Los Angeles et d’emménager dans une mai­son valant 2,7 mil­lions de dol­lars à San Fran­cis­co, sur une col­line escar­pée du quar­tier de Cas­tro, avec une vue impre­nable sur la baie. (Le mois der­nier, les tra­vaux d’a­gran­dis­se­ment de la mai­son, très coû­teux, étaient tou­jours en cours et une Lexus rouge étin­ce­lante était garée dans le garage intérieur).

Sur l’acte de trans­fert de la mai­son, le nom de Lau­rence Wachows­ki n’ap­pa­raît pas. Il s’a­git plu­tôt de « Lau­ren­ca » Wachows­ki. Et dans une ordon­nance du juge, dépo­sée dans le cadre de la pro­cé­dure de divorce, il est éga­le­ment iden­ti­fié comme Lau­rence Wachows­ki, alias Lau­ren­ca Wachowski.

La même année, Lar­ry et son frère se sont pré­sen­tés à contre­cœur au bâti­ment de la Screen Actors Guild (SAG, un syn­di­cat pro­fes­sion­nel états-unien repré­sen­tant plus de 160 000 acteurs, figu­rants, et pro­fes­sion­nels des médias du monde entier, tra­vaillant pour le ciné­ma, la télé­vi­sion, la publi­ci­té, les jeux vidéo, la radio, la musique, etc.) sur Wil­shire Bou­le­vard pour témoi­gner lors d’une audience d’ar­bi­trage de la SAG. Mar­cus Chong, dont le per­son­nage de Tank avait été éli­mi­né des suites de Matrix après une âpre dis­pute au sujet de l’argent, affir­mait avoir été trai­té injus­te­ment lors des négo­cia­tions sala­riales.

Pour l’au­dience, Lar­ry s’était habillé entiè­re­ment en noir et a été constam­ment sui­vi par une équipe de quatre gardes du corps cos­tauds, au visage de pierre et vêtus de noir, parce que Chong aurait pro­fé­ré des menaces à l’en­contre des frères. Le Lar­ry Wachows­ki qui appa­raît ce jour-là choque Chong : c’est un homme à l’al­lure réso­lu­ment fémi­nine, à la peau lis­sée et aux joues roses, bien loin de l’homme chauve et viril d’un mètre quatre-vingt-dix ori­gi­naire de Chi­ca­go qu’il avait connu sur les pla­teaux de tour­nage en Aus­tra­lie. « Son visage avait l’air de fondre, raconte Chong, et il avait une che­ve­lure à la Raquel Welch. » Notant les fré­quents allers-retours de Lar­ry aux toi­lettes, l’a­vo­cat de Chong, Sean Erens­toft, a deman­dé aux Wachows­ki s’ils étaient sous l’in­fluence de drogues. Lar­ry a nié sous serment.

Lar­ry a témoi­gné pen­dant quatre heures. « Par­fois, il par­lait fort et était impo­li », explique Erens­toft. « Par­fois, il était clair et direct, d’autres fois, il était amorphe et nébu­leux. » Wachows­ki a quit­té le bâti­ment de la SAG avec son escouade d’hommes de main et a dis­pa­ru à nou­veau. L’is­sue de l’au­dience n’a jamais été ren­due publique.

* * *

Un com­plexe d’ap­par­te­ments ano­nyme, dans un quar­tier ouvrier de Sher­man Oaks, en Cali­for­nie, par un après-midi étouf­fant de la fin du mois d’août — le crâne chauve et trans­pi­rant, Tom Moore ouvre la porte du don­jon exploi­té par sa par­te­naire, Mis­tress Nico­lette. Tom Moore, ancien domi­na­teur (BDSM) pro­fes­sion­nel, tourne aujourd’­hui des films por­no­gra­phiques trans­sexuels, tan­dis que Nico­lette par­court le monde pour ren­con­trer des clients enthou­siastes. Ils connais­saient Ilsa Strix depuis des années et estiment qu’elle a tra­hi la com­mu­nau­té BDSM pour être avec Lar­ry Wachowski.

« Ilsa fuyait tout ce qui ne lui rap­por­tait pas d’argent », explique Nico­lette, une blonde aux courbes arron­dies, au corps tonique, une domi­na­trice qui pra­tique éga­le­ment le BDSM dans sa vie pri­vée. Nico­lette prend un fouet et, d’un coup de poi­gnet, trace une ligne nette sur un Post-It jaune col­lé au dos de la porte d’en­trée. Entraî­ne­ment au tir.

« Lar­ry a déci­dé de vivre sa vie à plein temps, et il pos­sé­dait des mil­lions, alors elle a lais­sé tom­ber son mari [son épouse, Buck Angel] comme une patate chaude », explique Moore, qui tourne éga­le­ment des films por­no­gra­phiques gays dans une petite pièce à côté du don­jon de Nico­lette. « Elle a sup­pri­mé son site web et a fait com­prendre à tout le monde qu’elle n’é­tait plus dans le coup. Après avoir trou­vé Lar­ry, Ilsa a fou­tu le camp. » Nico­lette et lui ont essayé, en vain, de joindre le numé­ro pri­vé de la jeune femme à San Francisco.

Andy, Larry/Lana Wachows­ki et Tom Tyk­wer lors de la sor­tie de Cloud Atlas en 2012.

« Je sais qu’elle était heu­reuse », dit Nico­lette. Juste avant d’al­ler au Fes­ti­val de Cannes, elle m’a appe­lée et m’a dit : « J’ai mon propre appar­te­ment. Je me sens dif­fé­rente. Je me sens renou­ve­lée. Je fais à nou­veau de l’exer­cice, je fais du yoga, je suis en bonne santé. »

Plus tard, j’ai rap­pe­lé Buck Angel à la Nou­velle-Orléans, quelques jours avant que les inon­da­tions ne ravagent la ville et ne l’o­bligent à fuir son appar­te­ment du quar­tier fran­çais. « Ilsa m’a dit qu’elle était tom­bée amou­reuse de Lar­ry, et qu’il était tom­bé amou­reux d’elle — je n’y crois pas », a décla­ré Buck. « Je pense qu’elle a trou­vé un moyen d’é­chap­per à la domi­na­tion pro­fes­sion­nelle, et un moyen d’être prise en charge. Et Lar­ry était prêt à tout ris­quer pour ça. »

À la Nou­velle-Orléans, après sa rup­ture amère avec Ilsa, Buck Angel a épou­sé une artiste pion­nière du per­çage cor­po­rel, Elayne Angel — qui a per­cé la narine et les mame­lons de Len­ny Kra­vitz — et s’est taillé un cré­neau spé­ci­fique dans le por­no. Buck joue dans des films trans­sexuels, ayant prin­ci­pa­le­ment des rela­tions sexuelles avec des femmes et des hommes gays, et gère un site web, buckangel.com. En février, dans le cadre d’un contrat de douze films, il a sor­ti un film inti­tu­lé Buck’s Bea­ver. En août, il est entré dans l’his­toire du por­no en fil­mant une scène dans laquelle il a des rap­ports sexuels avec un trans­sexuel homme-vers-femme (mtf) — ce qui repré­sen­te­rait le pre­mier coït de ce type à l’écran.

De nom­breux amis d’Il­sa et de Lar­ry refusent de par­ler d’eux. « Ils veulent que leur vie pri­vée soit res­pec­tée », déclare Sabri­na Bel­la­don­na, une grande domi­na­trice de Los Angeles qui a connu Karin Wins­low pen­dant des années, avant de rac­cro­cher le télé­phone. « Autre­ment, ils s’exprimeraient publi­que­ment, non ? »

Voi­là deux ans que les Wachows­ki n’ont pas fait par­ler d’eux. Et c’est tou­jours le cas cepen­dant que War­ner Bros. pré­pare la sor­tie de V pour Ven­det­ta, réa­li­sé par leur pro­té­gé, James McTeigue, assis­tant réa­li­sa­teur sur les films de Matrix. Pour­quoi les Wachows­ki ne sont-ils pas res­tés der­rière la camé­ra ? « Ils ont tou­jours réa­li­sé leurs propres scé­na­rios, et il s’a­gis­sait d’une adap­ta­tion du tra­vail de quel­qu’un d’autre », affirme un ini­tié de Ven­det­ta. « Ils ne voyaient pas ce film comme un film des frères Wachows­ki, qui sui­vrait la tri­lo­gie Matrix, même s’ils sont très impli­qués dedans. »

Dans ce vide, d’autres rumeurs cir­culent. « Ilsa l’a emme­né à une fête il y a envi­ron un an, habillé en femme, et il était éblouis­sant jus­qu’au cou », rap­porte Paul Bar­re­si, réa­li­sa­teur de films por­no­gra­phiques et détec­tive pri­vé auto­pro­cla­mé, qui a de nom­breux contacts dans le milieu sexuel under­ground de Los Angeles. « Lar­ry avait une cagoule sur la tête, donc per­sonne ne savait qui il était. »

D’autres sources de la com­mu­nau­té BDSM de Los Angeles ne semblent pas s’ac­cor­der sur ce qu’il est adve­nu d’Il­sa Strix et de Lar­ry Wachows­ki. L’une d’entre elles jure que Lar­ry a récem­ment lar­gué Ilsa. Une autre indique que le couple passe désor­mais le plus clair de son temps à Londres. Le groupe sou­dé des Wachows­ki reste pro­tec­teur. Le concep­teur sonore Davis déclare : « Rien de ce qui concerne leur vie pri­vée ne regarde per­sonne d’autre. Leurs tra­vail et rela­tions de tra­vail ne sont pas du tout affec­tées, si ce n’est par la dis­trac­tion et la décep­tion de notre espèce. »

Cer­tains, à Hol­ly­wood, semblent consi­dé­rer les frères comme has-been. « Ils ne sont pas très inté­res­sés par le ciné­ma actuel », déclare Eric Feig, avo­cat spé­cia­li­sé dans le diver­tis­se­ment à Los Angeles. « V for Ven­det­ta a été réa­li­sé avant Matrix. Ils se concentrent exclu­si­ve­ment sur les bandes des­si­nées et les jeux vidéo. » D’a­près les docu­ments dépo­sés par Lar­ry dans le cadre de son divorce avec Thea Bloom, aucun nou­veau scé­na­rio des frères Wachows­ki n’est en cours de pré­pa­ra­tion. Une autre source de l’in­dus­trie affirme cepen­dant que l’immense répu­ta­tion des Wachows­ki demeure inchan­gée : « Ils seraient embau­chés demain par n’im­porte qui. »

Quoi qu’il advienne de Ven­det­ta, Lar­ry Wachows­ki a une nou­velle fois démon­tré sa volon­té de prendre des risques, de réa­li­ser des films aus­si dan­ge­reux et trans­gres­sifs que sa vie. V, le héros du film, n’est pas un jus­ti­cier en croi­sade. C’est un ter­ro­riste. Il fait explo­ser des métros et des immeubles. Tou­jours héros de la classe ouvrière, les Wachows­ki conti­nuent de défier le système.

Mais tant que Lar­ry Wachows­ki ne sor­ti­ra pas de l’exil qu’il s’est impo­sé, s’il le fait un jour, per­sonne ne sau­ra jus­qu’à quel point le réa­li­sa­teur s’est enfon­cé dans sa Matrix (Matrice) per­son­nelle. « Pour autant que je sache, dit Porsche Lynn, qui reste en contact avec Karin Wins­low, ils vivent heureux. »

Peter Wil­kin­son

12 jan­vier 2006

Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

***

Adden­dum : entre-temps, Lar­ry Wachows­ki est (offi­ciel­le­ment) deve­nu « Lana » (en 2012), et Andy est deve­nu « Lil­ly » (en 2016). Ces deux hommes pré­tendent désor­mais être des « femmes » (« femmes trans »).

Les frères Wachows­ki aujourd’­hui (à gauche Andy deve­nu Lil­ly et à droite Lar­ry deve­nu Lana).

Dans une émis­sion de télé­vi­sion dif­fu­sée en août 2019 sur la chaîne de la Natio­nal Aca­de­my of Tele­vi­sion Arts and Sciences, et copro­duite par Walt Dis­ney Tele­vi­sion, Lil­ly (ex-« Andy ») Wachows­ki, explique que ce qui l’a nota­ble­ment influen­cé, c’est de regar­der du por­no trans­genre, du por­no avec des « femmes trans­genres », autre­ment dit du por­no avec des hommes qui se disent femmes.

Il n’est pas la seule célé­bri­té (le seul homme célèbre) à ouver­te­ment affir­mer que sa tran­si­den­ti­té est le pro­duit de sa consom­ma­tion de por­no­gra­phie. Le jour­na­liste du pres­ti­gieux New York Maga­zine Andrea (autre­fois Andrew) Long Chu, qui a récem­ment reçu le prix Pulit­zer (une véri­table insulte pour les femmes), affirme ouver­te­ment, dans un livre paru en fran­çais sous le titre Femelles, que « le por­no sis­sy » — un type de por­no­gra­phie des­ti­né aux hommes que l’on peut trou­ver en ligne sous trois formes prin­ci­pales, vidéos por­no­gra­phiques, fichiers audio et images avec texte, qui met géné­ra­le­ment en scène des hommes por­tant de la lin­ge­rie et se livrant à une « fémi­ni­sa­tion for­cée » : il s’agit d’une éro­ti­sa­tion de l’idée de « deve­nir une femme » par l’habillement, le maquillage et la sou­mis­sion sexuelle, et d’une féti­chi­sa­tion de l’humiliation qui en résulte, « sis­sy » signi­fiant « fillette » — l’a « ren­du trans ».

Ces gens en sont fiers, trouvent ça cool, progressiste.

Les liens entre por­no­gra­phie et trans­gen­risme sont nom­breux et fran­che­ment glauques, mais per­sonne n’en parle parce qu’il ne faut sur­tout pas par­ler des nom­breux aspects glauques, mal­sains, délé­tères, miso­gynes, homo­phobes, etc., du trans­gen­risme. La seule chose auto­ri­sée, dans les médias et les ins­ti­tu­tions, c’est célé­brer la tran­si­den­ti­té, dire que c’est génial et éman­ci­pa­teur, affir­mer que les mal­heu­reuses « per­sonnes trans » sont les plus oppri­mées du monde et méritent qu’on accède à toutes leurs demandes, etc., ce genre de choses.

Selon les méta­don­nées de Porn­hub, les recherches de por­no « trans » et « trans­genre » ont plus que qua­dru­plé au cours des trois années entre 2014 et 2017 et, en 2018, le mot « trans » était le cin­quième terme de recherche le plus cou­rant de l’année. [Un article plus récent nous apprend : « En 2022, la popu­la­ri­té du por­no “trans­genre” a aug­men­té de 75 % pour deve­nir la 7e caté­go­rie la plus popu­laire au monde et la 3e aux États-Unis, selon le der­nier rap­port [du site Pornhub]. »

Si vous vou­lez en savoir plus sur la rela­tion entre tran­si­den­ti­té et por­no­gra­phie, vous pou­vez lire cet article (paru en 2020) de la jour­na­liste Gene­vieve Gluck :

Pour­quoi per­sonne ne parle du rôle du por­no dans l’essor du mou­ve­ment trans ? (par Gene­vieve Gluck)

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À propos de l'auteur Le Partage

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