La saison III de l’Hôpital et ses fantômes, Exodus, qu’on peut voir sur Canal+ depuis le mois d’avril, se regarde toujours avec une curiosité haletante, mais n’apporte pas de surprises spectaculaires, et est même moins étoffée que les saisons I et II. Celles-ci pouvaient se lire comme des récits sotériologiques, réécriture du récit christique ou de la saga du Ring de Wagner. Cette dimension manque à la saison III ; en revanche, elle développe la satire anti-suédoise, inaugure un thème anti-Metoo, et baigne dans une nouvelle tonalité, d’une mélancolie crépusculaire.
Le nouveau co-directeur du service de neurologie, Helmer junior, est aussi fanatiquement suédois que son père ; mais tandis que celui-ci se contentait d’énumérer dévotement, comme une litanie, les noms prestigieux associés à la Suède, Ikea, Vasa, Volvo, etc, ces noms fournissent ici matière à des gags développés : Helmer Jr commande tout un mobilier chez Ikea, mais personne n’arrive à le monter convenablement, et son bureau restera délabré. De même, on apprend tout sur le navire de guerre Vasa, qui devait être le vaisseau amiral de la flotte de Gustave II Adolphe, mais qui coula, en 1628, dès sa mise à l’eau, du fait d’erreurs de construction (aujourd’hui renfloué, il n’en constitue pas moins une attraction touristique à Stockholm). Il faut aussi accorder une mention spéciale au rôle macabre joué par Tetra Pak. Surtout, la séquence du pistolet suédois Bofors rappelle à la fois l’image clean que la Suède a su se donner, et la réalité d’un pays constructeur d’armes : Alfred Nobel, le créateur du Prix de la Paix du même nom, était un fabricant d’armes, et c’est lui qui a orienté les fonderies Bofors vers l’industrie d’armement ; mais l’entreprise communique sur le fait que ses emballages sont 100% recyclables ! L’agressivité du médecin suédois s’accorde du reste on ne peut mieux avec la politique actuelle de la Suède, qui a renoncé à toute apparence de neutralité : Helmer Jr, avec le groupe des employés suédois de l’Hôpital, monte une opération de sabotage, appelée Opération Barbarossa, et assume les connotations de ce nom.
Mais l’innovation, c’est le thème Metoo : Helmer senior était poursuivi par une anesthésiste, Rigmor, qui voulait se faire épouser ; son fils est harcelé par une infirmière (Tuva Novotny) qui s’arrange pour le mettre dans des situations ambiguës afin de le poursuivre en justice et d’obtenir, grâce à la médiation d’un avocat, de juteuses indemnisations (on verra, à la fin, que son but était encore plus sombre !). LvT dénonce ce qu’on peut appeler la dérive Metoo de la justice et, encore plus, des médias, qui n’ont même pas besoin de procès : parole contre parole, c’est celle qui se plaint d’un viol qui a toutes chances de l’emporter ; la « libération de la parole » des victimes a dégénéré en un concours people de victimisme qui discrédite la cause qu’elle était censée promouvoir.
Tuva Novotny, à la fois angélique et malicieuse, est du reste la seule vraie découverte de casting d’Exodus : Bodil Jorgensen, la nouvelle vieille dame ghost buster, est émouvante, mais on regrette l’humour de Frau Drusse (Kirsten Rolffes). Et c’est derrière chaque nouvel acteur qu’on voit l’ombre de l’ancien acteur – ombre, en effet, car LvT a réuni, pour Exodus, tous les acteurs survivants des saisons I et II ; aussi, chaque fois qu’on voit un nouveau visage, on sait que l’ancien détenteur du rôle est mort (seule exception, l’avocat suédois, d’abord joué par Stellan Skarsgǻrd, toujours actif, mais qui a laissé sa place à son fils Alexandre, l’éphémère quoique très séduisant mari de Justine, dans Melancholia). Cela donne au film un aspect de danse macabre, qui se matérialise dans la farandole, souvenir du Septième Sceau, qui apparaît sur le toit de l’Hôpital, menée par la Faucheuse, ou, plutôt, dans les pays du Nord, le Faucheur. Ainsi, au fil des cinq heures de visionnage, la liste des trépassés s’allonge, ce qui est en parfaite harmonie avec le sujet : la menace de l’invasion du monde des vivants par les esprits. Si la mort des acteurs des saisons I et II a d’abord compromis la fin de l’entreprise, LvT a finalement su en tirer un excellent, et macabre, parti, et on finit par ne plus bien distinguer les vivants et les ombres.
Cette dernière saison est donc beaucoup plus sombre : l’esprit du Mal (ici représenté par Willem Dafoe, bien à sa place, puisque foe, ennemi, désigne l’Ennemi par excellence, le Diable !), et la mort gagnent de plus en plus de terrain : plus aucun espoir de salut ici, au contraire LvT semble s’ingénier à faire mourir les personnages survivants des saisons I et II des façons les plus diverses et inattendues ; c’est ainsi que le héros Ogier le Danois se réveille de son long sommeil médiéval pour exercer sa vengeance sur le médecin suédois. Mais personne n’en réchappera, et le marais originel avalera le grand hôpital si moderne, comme, dans la mythologie nordique, le loup coureur des marais, Fenrir, finit par avaler le monde et les dieux.
Exodus porte bien son nom : les personnages de L’Hôpital semblent venir faire un dernier salut avant d’être emportés par le temps (et son symbole, le paternoster de l’hôpital), en même temps, est-il suggéré, que leur créateur. Il faut toutefois espérer que ce ne sera pas le dernier mot de Lars von Trier.
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