Depuis le 19 janvier, les Français manifestent leur opposition à une nouvelle réforme des retraites. Marche après marche rassemblant des millions de citoyens, jusqu’à 3,5 millions selon les syndicats, ils n’ont toujours rien obtenu. Mieux, le gouvernement a utilisé l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer la loi sans qu’elle ne soit votée par les députés. Cela a eu pour effet immédiat d’ajouter de l’exaspération à la colère. Au-delà de cette réforme des retraites, toujours contestée par 69% des citoyens, les Français expriment un ras-le-bol global, cette nouvelle crise venant s’ajouter à toutes celles sociales, politiques et démocratiques qui ont été étouffées mais non-résolues depuis une vingtaine d’années.
Des gaulois pas réfractaires
Il est de bon ton de présenter ici et là, le peuple français comme ayant la tête trop près du bonnet, prompt à sortir les fourches à la moindre mesurette. La preuve, ils se soulèvent contre une réforme qui porte l’âge de la retraite à 64 ans alors les Européens sont majoritairement acquis à la cause des 65, 66, voire 67 ans. Sauf que l’âge légal n’est pas l’alpha et l’oméga, c’est la durée d’années de cotisation qui est importante pour obtenir une pension à taux plein. Or, avec 43 années, la France se place juste derrière l’Allemagne (45 ans) et loin devant l’Italie (35) ou l’Espagne (37,5). Une telle durée rend presque impossible un départ à la retraite à 64 ans pour un grand nombre de personnes, notamment les femmes, sauf à partir avec des pensions amputées ou à continuer de travailler jusqu’à 67 ans, voire plus. Cette réforme est la cinquième depuis le début des années 1990, si cette nouvelle loi était finalement promulguée, et en un peu plus de trente ans, les Français seraient passés d’une retraite à 60 ans avec 37,5 années de cotisations à 64/43. Les Français ont une longue histoire de lutte sociales, certes, mais ils ne gagnent pas toutes leurs batailles. Au cours des vingt dernières années, aucun mouvement pour défendre les acquis sociaux n’a remporté de victoire.
Les signaux forts
Cette suite d’échecs explique en partie la détermination qui s’exprime dans les rues actuellement, comme si cette réforme de trop rendait ce combat existentiel. Dès la première manifestation les signes de cette détermination étaient visibles. D’abord, une intersyndicale unie avec la présence massive d’organisations présentées comme « réformistes », habituées à négocier avec le pouvoir en place, comme la CFDT, mais aussi l’UNSA ou encore la Confédération Générale des Cadres (CGC). L’autre surprise était de constater la fin des querelles de chapelles avec des gens marchant indifféremment sous une bannière ou sous une autre au gré du parcours. Comme si les manifestants n’avaient désormais plus qu’un adversaire, symbolisé par une seule figure, celle d’Emmanuel Macron. Autre fait d’importance, les cortèges imposants dans des communes rurales, dans des sous-préfectures peu habituées à vivre ce genre d’événements. Les Gilets jaunes, dont la lutte n’avait pas été soutenue par les syndicats, ont commencé par faire des apparitions timides, puis au fil des semaines, ils sont devenus de plus en plus nombreux.
Le terreau fertile
Autant de signaux qui auraient dû alerter le gouvernement sur la forme et l’ampleur du conflit qu’il allait devoir affronter. D’autant que cette révolte se déroule dans un pays inquiet. Selon un récent sondage, seuls 16% des femmes et 28% des hommes interrogés se déclarent confiants dans l’avenir économique du pays. La majorité de la population encaisse une baisse de son niveau de vie. La désindustrialisation au cours des deux dernières décennies, le chômage, l’inflation, la flambée du prix des énergies ont eu raison du moral des Français.
A cela s’ajoute, la gestion de la crise sanitaire qui a fracturé le pays en deux camps entre ceux qui ont accepté les vaccins et le pass sanitaire et les antis. Ces derniers qui se sont opposés à la suspension des soignants, qui ne voulaient pas être vaccinés, et aux mesures liberticides mises en place par le gouvernement ont manifesté tous les samedis pendant des mois, parfois même sur leur lieu de vacances. Du jamais vu. L’affaire a été mise sous le tapis mais elle a laissé des traces, de la colère et de l’amertume. Idem pour les Gilets Jaunes qui ont réussi à obtenir quelques miettes au début de leur combat, mais qui au final, ont beaucoup perdu. Le bilan de la répression de leur mouvement est lourd, 24 personnes ont perdu un œil et cinq ont eu une main arrachée. Ce tableau sombre représente une superposition de couches de mécontentements, de ressentiments, de brûlures. C’est un chaudron bouillonnant que l’élection présidentielle de mai 2022, un match joué d’avance entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, n’a pas refroidi. La campagne électorale a été une succession de buzz où les grands sujets : politique industrielle, énergétique, internationale, contrat social, n’ont été abordés que superficiellement, voire pas du tout.
Et maintenant ?
Certains commentateurs croient voir un essoufflement du conflit, pourtant rien n’est moins sûr. La jeunesse se sentant peu concernée par les retraites a pris le train en marche après que la Première ministre, Elisabeth Borne ait usé de l’arme du 49.3. Les étudiants ont alors hurlé au déni de démocratie et ont rejoint les cortèges. En prime, à cette réforme s’est ajouté le sujet des violences policières. Comme avec les Gilets jaunes, le président français mise sur la répression de la contestation, sur la peur afin de dissuader la population de rejoindre les manifestations. Comme d’autres avant lui, il tente de jouer le parti de l’ordre, avec assez peu de succès pour l’instant. A l’instar du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, au Mali lors des événements de 2020, Emmanuel Macron ne prend jamais la bonne décision dans le bon tempo. Toutes ses tentatives, initiatives, attisent la colère au lieu de l’apaiser. Les vidéos des manifestants bastonnés font le tour du monde. Elles renvoient l’image de son pouvoir et celle d’un pays des Droits de l’Homme malade. Si, par quelques tours de passe-passe, de petits arrangements politiques, le gouvernement parvenait à étouffer la révolte, la France resterait un volcan prêt à entrer en éruption à n’importe quel moment.
Leslie Varenne
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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