Ces remarques portent sur une déclaration un peu lointaine (datant de plus d’un mois) mais comme leur objet – la contestation de la (contre)-réforme des retraites – est loin d’être obsolète, je vais y revenir quelques instants.
– Le 21 mars dernier, la veille de son interview, à 13 h, sur les chaînes nationales, Emmanuel Macron, devant les élus de son parti, a dit : « L’émeute ne l’emporte pas sur les représentants du peuple ». Par « émeute », il faisait allusion aux nombreuses manifestations (parfois accompagnées de violences et de déprédations) organisées contre sa « réforme » (en fait sabotage) des retraites.
Remarque 1. Emmanuel Macron ne serait pas président de la République (le mot est important) si, le 14 juillet 1789, le 10 août 1792, le 27 juillet 1830, le 22 février 1848, le 4 septembre 1870 (entre autres), il n’y avait pas eu « d’émeutes » (pour reprendre son terme méprisant) qui renversèrent le pouvoir monarchique du moment. Si ces « émeutes » n’avaient pas eu lieu, la France serait encore un royaume (comme en Angleterre ou en Belgique) ou un empire (comme sous Napoléon III) et le chef de l’État s’appellerait Louis XXII, Charles XV, ou Napoléon VI. Et Macron devrait se souvenir de ce qu’était le roi à l’origine : un chef de bande, un brigand de grand chemin, un peu plus fort, un peu plus rusé et un peu plus impitoyable que les autres, qui, sans état d’âme, éliminait ses concurrents.
Et, peu après et continuellement au cours des siècles, l’Église, à grand renfort d’in-folios, de références scripturaires, de citations latines, de sermons et de catéchismes justifiait le coup de force originel, en expliquant au bon peuple combien il était salutaire et bénéfique de courber la tête et d’être exploité. Ce qui était le propre de l’idéologie.
Remarque 2. Plus précisément, ce terme d’émeute m’a remis en mémoire un passage des Misérables, de Victor Hugo, au Livre dixième, intitulé Le 5 juin 1832, et sous-titré “ Le fond de la question ”. Que dit Hugo dans ce sous-chapitre ?
Il dit : « Il y a l’émeute, et il y a l’insurrection ; ce sont deux colères ; l’une a tort et l’autre a droit. Dans les États démocratiques, les seuls fondés en justice, il arrive quelquefois que la fraction usurpe ; alors le tout se lève, et la nécessaire revendication de son droit peut aller jusqu’à la prise d’armes. Dans toutes les questions qui ressortissent à la souveraineté collective, la guerre du tout contre la fraction est insurrection, l’attaque de la fraction contre le tout est émeute ; selon que les Tuileries contiennent le roi ou contiennent la Convention, elles sont justement ou injustement attaquées. » […]. Et, plus loin, il poursuit : « De là vient que, si l’insurrection, dans des cas donnés, peut-être, comme a dit Lafayette, le plus saint des devoirs, l’émeute peut aussi être le plus fatal des attentats. […]. La révolte, nous l’avons dit, est quelquefois dans le pouvoir. Polignac est un émeutier ; Camille Desmoulins est un gouvernant. Parfois, l’insurrection, c’est la résurrection. »
Remarque 3 pour l’intelligence des noms cités. Jules de Polignac fut le dernier chef de gouvernement du roi Charles X (1824-1830). En promulguant les ordonnances de Saint-Cloud, particulièrement réactionnaires, le 25 juillet 1830, il suscita la révolution connue sous le nom de Trois glorieuses (27-19 juillet 1830), qui renversa ce dernier roi de la Restauration. Camille Desmoulins fut un révolutionnaire et conventionnel montagnard, proche de Danton, guillotiné en même temps que Danton, le 5 avril 1794. Il n’eut jamais, à vrai dire, un rôle dirigeant, gouvernemental, à l’instar de Robespierre, Danton, Saint-Just, Couthon ou Carnot. Hugo joue néanmoins de ce rôle subalterne, moindre, pour en faire, paradoxalement, en le qualifiant de gouvernant, l’antithèse de Polignac.
Remarque 4. Comment ne pas faire le rapprochement entre la situation de 2023 et celle de 1830 ? Comment ne pas rapprocher le duo Macron-Borne du duo Charles X-Polignac ? En effet, dans les deux cas, nous avons l’exemple de gouvernants, représentant une minorité du pays, confrontée à la majorité des habitants du même pays. En 1830, il y avait le suffrage censitaire, qui n’accordait le droit de vote qu’aux plus riches, ce qui donnait 100 000 électeurs pour 30 millions de Français. En 2023, on se trouve dans la même situation : Macron est triplement minoritaire. D’abord, en 2022, il n’a été élu que par 20 % des inscrits. Ensuite, comme en 1830, ses électeurs sont comme ceux de Polignac : ils regroupent une majorité de classes aisées. Enfin, la contre-réforme des retraites est rejetée par plus des deux tiers des Français et 96 % des actifs. On peut donc, logiquement, appliquer à Macron la définition que Victor Hugo attribue à Polignac : en imposant la volonté d’une minorité à une majorité, il se comporte en émeutier.
Remarque 5. Le 19 mai 1968, face aux grèves et aux manifestations, De Gaulle proclamait : « La réforme, oui ! La chienlit, non ! ». Mais quelques jours après, une affiche était placardée sur les murs de Paris. On y voyait une silhouette de De Gaulle avec ses bras levés, portant l’inscription vengeresse : « La chienlit, c’est lui ». Sur ce même modèle, et en s’inspirant de l’exemple célèbre de Hugo, ne pourrait-on dire de Macron : « L’émeute, c’est lui » ?
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