« Israël » est en train de s’effondrer. Ou bien, derrière le chaos apparent, y a-t-il un plan dans la manche de quelqu’un ?
Par Alastair Crooke – Le 5 mars 2023 – Source Al Mayadeen
Mercredi soir, des dizaines de milliers de manifestants israéliens sont descendus dans les rues de « Tel Aviv » où ils ont été accueillis par des grenades assourdissantes, des canons à eau et des arrestations musclées. La classe moyenne de « Tel Aviv » a été choquée et indignée.
Le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, avait ordonné à la police de durcir le ton à l’égard des manifestants. Il a qualifié d’« anarchistes » qui avaient « franchi toutes les limites » les israéliens qui protestaient contre la « réforme judiciaire » du gouvernement. Le ministre de la sécurité a demandé à la police « d’utiliser tous les moyens à sa disposition » pour réprimer les troubles.
Il ne fait aucun doute que les nouveaux ministres de Netanyahou considèrent le Moyen-Orient comme ontologiquement manichéen : une lutte incessante entre le bien et le mal, dans laquelle, jusqu’à la victoire finale, il ne peut y avoir de paix réelle, mais seulement des « cessez-le-feu » à des fins tactiques.
Les manifestants de « Tel Aviv » , en revanche, soutiennent la poursuite du statu quo (c’est-à-dire l’occupation libérale). Le nouveau régime considère toutefois ces manifestants soit comme des simples d’esprit, soit comme des lâches qui se laissent trop volontiers tromper par la propagande de l’ennemi, soit comme des traîtres.
Pour être clair, ces manifestants israéliens largement laïques représentent l’ancienne classe dirigeante professionnelle ashkénaze qui a été destituée par la « sous-classe » mizrahi des colons extrémistes et des sionistes religieux lors des dernières élections. Ces derniers ont attendu des décennies pour accéder au pouvoir. Aujourd’hui, ils l’ont, ils s’en réjouissent et ne sont pas près de reculer.
Alors qu’une partie de la société israélienne proteste contre la répression policière, une autre partie, le mouvement des colons, s’est déchaînée. Dimanche, après que deux colons israéliens avaient été abattus en Cisjordanie, des colons lourdement armés ont pris d’assaut la ville palestinienne de Hawara, brûlant par vengeance de nombreux immeubles d’habitation et quelque 300 voitures palestiniennes.
Plus tard, le radical Bezalel Smotrich s’est montré tout à fait impénitent : « Le village de Hawara doit être anéanti. Je pense que c’est à l’État d’Israël de le faire – et non, Dieu nous en préserve, à des particuliers » , a déclaré Smotrich lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait « liké » un tweet du chef adjoint du conseil régional de Samarie, Davidi Ben Zion, qui appelait à « anéantir Hawara aujourd’hui » .
Le chef de l’opposition, Yair Lapid, a utilisé le terme chargé de « pogrom » terroriste pour décrire la prise d’assaut de Hawara par les colons.
Les forces de sécurité israéliennes et les pompiers sont restés à l’écart pendant que Hawara brûlait. Il est clair que Smotrich dirige désormais la Cisjordanie. Les pouvoirs gouvernementaux ont été confiés à un organisme dirigé par Smotrich, ce qui fait de lui le gouverneur de facto de la Cisjordanie.
L’agitation palestinienne, qui s’intensifie depuis des semaines, a éclaté mercredi à Naplouse. Lors d’une opération menée en plein jour pour arrêter des activistes, les forces israéliennes ont tué 11 Palestiniens et en ont blessé 102 autres au cours d’une confrontation armée. Peu après, le même scénario s’est reproduit : six roquettes ont été lancées depuis Gaza sur le sud d’« Israël » , ce qui a conduit à des frappes aériennes israéliennes sur l’enclave assiégée tôt jeudi matin.
Pendant ce temps, les États-Unis se tordent les mains, impuissants. La nuit où Hawara a brûlé, Blinken a appelé les parties à « désamorcer les tensions et à rétablir le calme » . Vraiment ? Comment ? Au même moment, le chef de la minorité du Parti Républicain au Sénat, Mitch McConnell, et le chef de la majorité Démocrate, Chuck Schumer, s’entretenaient cordialement avec Netanyahou.
La sagesse conventionnelle à Washington est que chercher la bagarre avec « Israël » – en particulier lors d’une année électorale – est « pire qu’un crime : c’est une erreur » .
Tout ira bien, dit-on, si Washington parvient à persuader Netanyahou de maîtriser les radicaux de son gouvernement et de faire des compromis avec l’opposition dirigée par Lapid. Cependant, les perspectives de dialogue ou de réconciliation sont quasiment inexistantes.
Les paroles apaisantes de Blinken ne suffiront pas : Ben Gvir et Smotrich n’écoutent pas Netanyahou qui est faible et dépend de ces ministres pour éviter la prison pour corruption. La situation est sur le point d’atteindre son paroxysme, d’une manière ou d’une autre.
En effet, ce qui se passe en « Israël » est une opposition antithétique structurelle et démographique qui progresse vers son explosion inévitable depuis au moins les 23 dernières années, c’est-à-dire depuis le moment où le Premier ministre Ariel Sharon a fait sa marche provocatrice vers Al-Haram al-Sharif. C’est lui qui a allumé la mèche du mouvement nationaliste radical. Vingt ans plus tard, les colons et les factions religieuses ont atteint le sommet et entendent y rester.
Au cours des deux décennies qui se sont écoulées depuis l’intrusion de Sharon, « Israël » a subi une énorme métamorphose. Sous l’administration de Netanyahou, Israël s’est fortement orienté vers la droite, tant sur le plan politique que culturel.
Pour être clair, il est certain qu’il y a un affrontement politique. Le bloc de Netanyahou s’emploie à vider le système judiciaire de sa substance. Mais « Israël » est également entré dans une guerre révolutionnaire sur le plan culturel. Smotrich déclare fièrement : « Je suis un fasciste et un homophobe, mais je ne « lapiderai pas les gays » » (du moins pour l’instant).
Les classes moyennes israéliennes sont dans la rue, mais il est peu probable qu’elles trouvent la résolution intérieure nécessaire à un combat violent. Les Mizrahi, les colons et les religieux sont prêts à en découdre, comme l’incendie de Hawara vient de le démontrer.
Car ils ont un objectif, et il n’est pas nouveau. Cela fait des années que ce projet est envisagé. Les radicaux en parlent ouvertement. Et il ne s’agit pas seulement d’un changement constitutionnel. La « réforme » judiciaire est le tremplin du grand choc démographique à venir.
Le projet consiste à transférer la majeure partie de la population palestinienne de la Cisjordanie à l’est du Jourdain (c’est-à-dire en Jordanie même) et à lier les droits des Palestiniens restant à l’ouest du Jourdain à l’entité souveraine qui succédera au Royaume hachémite (voir ici l’article d’Ali Shihabi, proche conseiller de MbS, datant de l’année dernière – « Le Royaume hachémite de Palestine »).
Comment ce « projet » sera-t-il déclenché ? Une provocation à Al-Aqsa, peut-être ? Ben Gvir monterait à Al-Aqsa en jurant de reconstruire le troisième temple à sa place, ou alors la Cisjordanie exploserait spontanément. Un prétexte est nécessaire pour déclencher ce projet, mais il faut d’abord achever la réforme judiciaire qui permet à l’État de prendre des décisions « exceptionnelles » sans contrôle judiciaire et de priver encore davantage les Palestiniens de leurs moyens d’action.
Il semble qu’Ariel Sharon ait été prévoyant : il avait prévu que des États-Unis affaiblis seraient paralysés et incapables d’agir. Il se peut qu’il ait eu raison. Mais toute menace contre Al-Aqsa provoquera des bouleversements dans le monde islamique et une certaine forme de réponse militaire. Washington ne veut peut-être pas d’un conflit régional et certainement pas d’un conflit impliquant l’Iran qui pourrait détruire « Israël » . Mais l’équipe Biden a-t-elle l’énergie ou la volonté d’arrêter les colons ? Ils sont impitoyables et fanatiques.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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