Par Andrew Korybko – Le 24 mars 2023
À l’approche de la visite historique du président Xi à Moscou, les États-Unis ont lancé une campagne de guerre informationnelle visant à faire croire que l’Inde est leur alliée contre la Chine. L’objectif est de faire croire au public ciblé que les relations internationales ne sont pas sur le point de se diviser entre l’Occident dirigé par les États-Unis, l’Entente sino-russe et le Sud mondial dirigé officieusement par l’Inde, mais qu’elles se divisent en « démocraties » et « dictatures« , avec les États-Unis et l’Inde d’un côté et la Chine et la Russie de l’autre, dans le cadre d’une nouvelle guerre froide.
Le premier pas dans cette direction a été fait le 14 mars lorsque le sénateur républicain Bill Hagerty a publié un communiqué de presse sur la résolution bipartisane qu’il avait coparrainée à la mi-février et qui réaffirmait la reconnaissance par les États-Unis de l’Arunachal Pradesh en tant que territoire indien et non chinois. Le lendemain, le 15 mars, l’ancien maire de Los Angeles, Eric Garcetti, a été confirmé par le Sénat pour devenir le prochain ambassadeur des États-Unis en Inde, ce qui a enfin permis de pourvoir ce poste diplomatique très important après deux ans d’absence.
Puis, le 20 mars, le jour même de l’arrivée du président Xi à Moscou, l’US News & World Report citait une source interne affirmant que les États-Unis avaient fourni des renseignements à l’Inde avant un incident frontalier avec la Chine, à la fin de l’année dernière, ce qui avait permis à Delhi de contrecarrer l’incursion présumée de Pékin. Cette séquence d’événements a sans doute été déclenchée par le rapport initial du 7 mars selon lequel le président Xi prévoyait de se rendre en Russie le 21 mars, ce que Pékin a confirmé dix jours plus tard, le 17 mars.
L’incident du ballon de début février a mis fin aux espoirs d’une « nouvelle détente » entre la Chine et les États-Unis, ce qui a durci leurs positions respectives et rendu inévitable l’intensification de leur concurrence à l’échelle mondiale. En conséquence, la Chine a décidé de consolider son entente naissante avec la Russie en envoyant le président Xi à Moscou à cette fin, tandis que les États-Unis ont cherché à tromper le monde en lui faisant croire que l’Inde s’était alliée à eux contre la République populaire.
Cette seconde réponse à la nouvelle dynamique militaro-stratégique engendrée par l’incident du ballon mérite d’être analysée plus longuement, car tout n’est pas comme on pourrait le croire. Après avoir appris, début mars, que le président Xi prévoyait de se rendre en Russie, les États-Unis ont décidé d’envoyer trois signaux séquentiels dans le but de manipuler les perceptions du public concernant le partenariat stratégique entre l’Inde et les États-Unis, d’où la série de développements décrite plus haut.
Le communiqué de presse du sénateur Hagerty sur la résolution bipartisane qu’il avait coparrainée le mois précédent n’était pas une coïncidence, mais la première salve de cette campagne de guerre de l’information. Elle a été suivie par la confirmation par le Sénat de la nomination de M. Garcetti au poste d’ambassadeur des États-Unis en Inde, qui était attendue depuis longtemps, mais qui a reçu une impulsion urgente à la suite des rapports sur la prochaine visite du président Xi à Moscou.
La troisième et plus récente étape de cette campagne, mais certainement pas la dernière, a été la décision des États-Unis de divulguer le rapport sur l’assistance de leur pays à l’Inde en matière de renseignement à la fin de l’année dernière, le jour même de l’arrivée du président Xi en Russie. Cela visait à fabriquer artificiellement le récit décrit précédemment concernant la fausse bifurcation des relations internationales en blocs « démocratiques » et « dictatoriaux » au lieu de leur trifurcation entre Occident, Entente Chine-Russie et Sud global.
En ce qui concerne la dernière étape mentionnée, ce rapport ne prouve pas en soi que l’Inde est l’alliée militaire des États-Unis contre la Chine, puisque cette grande puissance d’Asie du Sud pratique fièrement une politique de multi-alignement entre les principaux acteurs mondiaux, ce qui maximise son autonomie stratégique durement gagnée dans la nouvelle guerre froide. L’Inde évite à juste titre les alliances formelles, car elles imposeraient des limites à sa politique étrangère et la chargeraient d’obligations inconfortables, réduisant ainsi sa souveraineté.
En outre, les observateurs devraient savoir que les États-Unis ont encore envoyé de hauts diplomates à Pékin pour s’entretenir avec leurs homologues chinois dans le cadre de leur « nouvelle détente« , aujourd’hui disparue, immédiatement après le même affrontement sino-indo que leurs services de renseignement avaient aidé Delhi à préparer à l’avance. Les rapports concernant cet incident indiquent qu’il a eu lieu le 9 décembre, tandis que le ministère chinois des affaires étrangères a révélé le 12 décembre que ses diplomates et ceux des États-Unis s’étaient entretenus à Pékin au cours des deux derniers jours.
Cela prouve que les États-Unis jouaient un double jeu à l’époque. D’une part, ils auraient partagé des renseignements avec l’Inde pour l’aider à se préparer à une incursion imminente de la Chine, tout en continuant à envoyer leurs diplomates à Pékin en dépit de l’affrontement sino-indou qui s’est déroulé juste avant. Le signal envoyé à l’Inde était que les États-Unis s’opposaient tacitement à la Chine, tandis que celui envoyé à la Chine était que les États-Unis ne se souciaient pas suffisamment de l’incursion qu’ils avaient signalée contre l’Inde pour mettre fin à leurs pourparlers.
Il n’y a pas d’autre moyen de décrire cette approche que de la qualifier d’emblématique de l’agenda typique des États-Unis en matière de division et de domination de l’Eurasie. Si les États-Unis et l’Inde s’étaient réellement alliés contre la Chine, ils auraient brusquement annulé les pourparlers prévus avec la Chine en signe de protestation après l’affrontement de ces deux grandes puissances asiatiques voisines. Au lieu de cela, ils les ont tout de même poursuivies, car leurs stratèges ont calculé que les intérêts de leur pays étaient mieux servis en discutant d’un éventuel accord avec la Chine qu’en se montrant solidaires de l’Inde.
Ce qui précède ajoute un contexte crucial à la nouvelle campagne de guerre de l’information des États-Unis visant à présenter l’Inde comme leur alliée contre la Chine et discrédite de manière convaincante ce faux récit. Il est clair que si Delhi ne refusera jamais les renseignements exploitables que Washington lui communique sur les plans militaires de Pékin le long de leur frontière contestée, cela ne signifie pas pour autant que l’Inde fera le jeu des États-Unis contre la Chine, comme le prouve sa retenue constante malgré l’incident survenu à la fin de l’année dernière.
Le soft power et les intérêts stratégiques des États-Unis sont servis par la manipulation des perceptions du public sur le rôle émergent de l’Inde dans la transition systémique mondiale, tandis que le soft power et les intérêts stratégiques de ce pays sont remis en question par la dernière campagne de guerre de l’information de son partenaire. Présenter la dernière phase de la transition susmentionnée comme une phase bipolaire entre « démocraties » et « dictatures » au lieu de la phase tripolaire qu’elle est réellement met à mal les prétentions de neutralité de l’Inde dans la nouvelle guerre froide.
Elle implique également que cette grande puissance d’Asie du Sud aurait volontairement renoncé à son autonomie stratégique durement gagnée dans cette compétition mondiale sur l’orientation de la transition systémique globale pour se soumettre volontairement à devenir le plus grand État vassal des Etats Unis. Aucun de ces récits, sous-entendus dans la dernière campagne de guerre de l’information des États-Unis, n’est vrai, mais ils sont propagés afin de promouvoir les intérêts de cet hégémon unipolaire en déclin aux dépens de l’Inde.
Andrew Korybko
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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