par Paul Cochrane
La Russie et les États-Unis, la Turquie et l’Iran, la Chine et l’Union européenne : tous ont joué un rôle dans le conflit syrien. Mais vont-ils aider le pays à se reconstruire ?
Le conflit qui dure depuis sept ans en Syrie n’est toujours pas résolu. Des millions de Syriens vivent désormais à l’extérieur de ses frontières, souvent dans des camps de réfugiés. Les combats se poursuivent à travers le pays. Les infrastructures ont été anéanties, pour un coût cumulé estimé à 226 milliards de dollars (189 milliards d’euros) pour la Syrie.
Toutefois, de très nombreuses personnes de par le monde pensent qu’un jour ou l’autre, le gouvernement du président Bachar al-Assad et ses alliés revendiqueront leur victoire – et commenceront la reconstruction.
On s’attend à ce que les soutiens de Damas, tant en Syrie qu’à l’étranger, remportent la part du lion de ces contrats de reconstruction. Les pays voisins, tels que le Liban, en bénéficieront également, pense-t-on. Les prestataires de service, les entrepreneurs et les financiers pourraient être pardonnés de saliver sur cette manne potentielle de la reconstruction.
Mais ce n’est pas si simple. L’État syrien est financièrement brisé. On ne sait même pas comment Damas a réussi à financer la guerre pendant six ans sans soutien extérieur (l’Iran a fourni au moins 8 milliards de dollars à crédit). Le budget national pour 2017 est à peine de 5 milliards de dollars. Les réserves en devises étrangères ont plongé, passant de 21 milliards de dollars en 2010 à seulement 1 milliard de dollars en 2015.
Combien coûtera la reconstruction de la Syrie ?
La plupart des estimations vont de 100 à 350 milliards de dollars, certaines allant jusqu’à 1000 milliards de dollars. Jihad Yazigi, rédacteur en chef du journal indépendant spécialisé dans la finance Syria Report, situe la somme à l’extrémité inférieure de la fourchette. « La Banque mondiale et l’ONU estiment qu’il faudra 100 milliards de dollars pour réparer ce qui a été détruit, et qu’il en faudra plus encore pour remettre la Syrie sur les rails. »
Au début de la guerre, l’Office de secours et de travaux des Nations unies (UNRWA) estimait qu’il faudrait 30 ans à l’économie syrienne pour retrouver son niveau d’avant 2011. Ce délai a maintenant été allongé.
De combien la Syrie a–t–elle besoin ?
Le monde fait face à sa pire crise humanitaire depuis 1945 au Yémen, d’après l’ONU. La dette mondiale est estimée à 217 000 milliards de dollars, soit 327% du PIB mondial, a averti l’Institut de la finance internationale, et de nombreux pays sont encore en mode austérité. L’ONU a demandé 4,6 milliards de dollars pour son plan de réponse aux réfugiés syriens en 2017, mais il lui manque 2,8 milliards de dollars.
Face à une telle lassitude des donateurs, le désir ou la capacité de financer un énième projet de reconstruction est faible, d’autant plus que le conflit syrien fait l’objet d’une politisation au niveau international.
À la Banque mondiale, des sources expliquent à Middle East Eye que celle-ci ne sortira pas son chéquier pour la Syrie. Les gouvernements occidentaux ont signalé qu’ils ne financeraient aucune reconstruction sans une sorte de transition au sommet de l’État (en d’autres termes : la démission d’Assad).
Cela implique que les alliés de Damas, tels que la Russie, l’Iran et la Chine, pourraient payer l’addition après avoir dépensé des milliards de dollars pour la guerre – mais les retours sont incertains.
Rashad al-Kattan, chercheur non résident à l’Atlantic Council et spécialiste du secteur bancaire syrien, explique à MEE : « Seront-ils en mesure de convaincre leurs hommes d’affaires d’aller en Syrie, d’une manière transparente ? Non. Ceux-ci devront rivaliser avec les hommes d’affaires teigneux [du régime syrien] pour rester dans le coup. »
Que peut offrir la Syrie aux investisseurs ?
Pas grand-chose. Il lui manque en particulier deux éléments clés pour la rendre attractive dans l’éventualité où elle resterait sous sanctions internationales.
1. Un manque de ressources naturelles, ce qui signifie que la Syrie n’a pas les réserves de pétrole qui rendent l’Irak – quatrième exportateur de pétrole au monde – attrayant pour les fonds de reconstruction depuis 2003.
Les réserves de pétrole du pays sont en chute libre depuis des années en raison de l’épuisement des réserves, atteignant seulement 375 000 barils par jour avant le conflit – soit seulement 0,2% de la production mondiale. Ses réserves de gaz sont également insignifiantes, à 0,1% de la production mondiale.
Certes, la Russie a remporté des appels d’offres pour développer des gisements de gaz offshore en Méditerranée, mais le reste des hydrocarbures syriens se trouve dans le nord-est, l’ancien bastion du groupe État islamique, où les Kurdes font maintenant campagne pour l’indépendance.
2. Des droits de douane élevés ont été imposés par Damas sur les importations occidentales. Cela rend leurs produits moins compétitifs par rapport aux importations en provenance de pays avec lesquels la Syrie a conclu des accords de libre-échange. La Syrie n’a aucun accord de libre-échange, par exemple, avec l’Union européenne (UE).
Les multinationales occidentales étaient rarement présentes avant la guerre. Aujourd’hui, la Syrie a plus que jamais besoin d’elles pour ramener les investissements directs étrangers (IDE) aux niveaux précédant le conflit, lorsqu’ils avaient bondi de 110 millions de dollars en 2001 à 2,9 milliards de dollars en 2010.
Plus d’obstacles…
3. Des sanctions multilatérales ont été imposées par les États-Unis, l’UE et les Nations unies en 2011. Les premières sanctions visaient les membres du gouvernement syrien, les institutions publiques et l’armée du pays, ainsi que les particuliers et entreprises associés.
Depuis, l’accès de la Syrie aux banques étrangères et à l’utilisation du réseau SWIFT – un système de paiement global – ont été restreints, ce qui a eu pour effet d’exclure efficacement la Syrie du secteur financier international.
Les sanctions ont été par la suite étendues. Le dernier cycle, introduit par le Trésor américain en 2016, visait les sociétés privées, y compris les intérêts de Rami Makhlouf, cousin d’Assad, telles que la compagnie aérienne Cham Wings et des sociétés de sécurité privées.
Les régulateurs occidentaux surveillent la Syrie de près, tandis que les institutions financières internationales évitent toute transaction en raison du risque de pénalités pour non-conformité.
« La Syrie a demandé que les sanctions de base soient levées, mais je doute que cela se produise de sitôt ; les sanctions seront un obstacle aux efforts de reconstruction », estime Kamal Alam, chercheur invité au Royal United Services Institute (RUSI) à Londres.
4. L’absence de stratégie gouvernementale : un comité interministériel syrien, établi en 2012, s’est réuni pour la première fois seulement en octobre 2017 pour élaborer une stratégie de reconstruction. Le comité a alloué quelque 200 millions de dollars à des projets au cours des quatre dernières années, mais, selon Yazigi, les dépenses ont été minimes.
« Ce qui est révélateur, c’est que le gouvernement syrien n’a pas de stratégie de développement économique », a-t-il déclaré. « Vont-ils se concentrer sur des secteurs spécifiques ? Vont-ils commencer dans des villes ou des zones spécifiques ? Quelles sont leurs politiques économiques et fiscales ? Nous l’ignorons. »
5. Le manque d’argent : les banques publiques syriennes et les quatorze banques privées du pays ont subi des pertes considérables pendant la guerre et n’ont pas les liquidités nécessaires pour investir sérieusement dans la reconstruction. Les dépôts dans les banques commerciales privées ont plongé à 3,5 milliards de dollars en 2016 contre 13,8 milliards de dollars en 2010, selon la Banque mondiale.
Cela a soulevé des questions sur la viabilité des partenariats public-privé (PPP) suggérés par le gouvernement dans le cadre de sa stratégie de reconstruction.
6. Pas de transparence : Selon Yazigi, de nombreux investisseurs craignent que la loi sur les PPP, adoptée en janvier 2016, puisse légaliser le transfert des actifs de l’État à des investisseurs privés proches du gouvernement.
C’est là une conclusion naturelle : Yazigi rapporte que de nombreuses lois adoptées pendant le conflit ont profité à l’élite, à l’instar de Makhlouf.
« Une stratégie consiste à donner la priorité aux copains du régime et à l’immobilier urbain haut de gamme », a-t-il expliqué. « Mais, bien sûr, ils ne le déclarent pas. Ce qu’ils ont fait, c’est réduire les taxes et les subventions pour les secteurs industriel et agricole, détruisant ainsi la production locale. »
Les entreprises liées à la reconstruction, telles que le Syrian Metals Council, créé en 2015, sont dirigées par des personnalités puissantes telles que Mohammed Hamsho.
En mai 2015, une loi a permis aux unités administratives locales de créer des holdings à capitaux propres, ce qui a stimulé le travail dans le secteur des infrastructures. Mais ces unités ont des liens étroits avec les partisans de la présidence : par exemple, Hussein Makhlouf, le ministre de l’Administration locale, est un autre parent d’Assad et de Rami Makhlouf.
« Pour que les unités administratives locales fonctionnent, il faut une réforme complète, car tout est centralisé », précise un membre syrien de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (CESAO) à Beyrouth, qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat, n’étant pas autorisé à parler aux médias.
« L’économie est dirigée par les seigneurs de guerre, il y en a quatre grands, avec vingt à trente personnes chacun sous leurs ordres. L’économie de guerre est devenue très organisée, il n’y a pas de concurrence. Chacun a son propre secteur. Ils continueront à diriger l’économie. »
Cela vous semble familier ? C’est parce qu’en effet, cela rappelle la reconstruction du Liban après la guerre civile à la fin du XXe siècle, laquelle a profité aux politiques, chefs de guerre, banques et entrepreneurs proches de l’élite de Beyrouth.
Iran : la Syrie, pion géopolitique
Quelle sera donc la réponse internationale probable au besoin d’investissement de la Syrie ?
Téhéran, qui a eu ses propres problèmes économiques, a découvert que la Syrie n’était pas un partenaire facile. L’Iran a obtenu une licence de téléphonie mobile en janvier pour devenir le troisième fournisseur de la Syrie, en récompense pour son soutien pendant la guerre.
Or cela a pris du retard au profit de Syriatel, une société de télécommunications détenue par l’allié du gouvernement, Rami Makhlouf. Les revenus de cette dernière ont affiché une forte progression en 2017, selon Syria Report.
L’Iran a également obtenu le droit d’exploiter une mine de phosphates près de Palmyre, mais une compagnie russe a ensuite commencé à exploiter des gisements dans la même zone. La source de la CESAO de l’ONU précise : « L’Iran s’est plaint auprès du gouvernement, mais on lui a répondu : « Vous êtes tous deux nos amis » ».
« Les Iraniens n’ont pas beaucoup d’influence économique. L’Iran et la Syrie ont signé cinq protocoles d’accord depuis le début de l’année, mais combien ont été mis en œuvre ? Aucun. »
Khodro et SAIPA, deux usines de production automobile iraniennes établies à Homs et à Damas, n’ont pas bénéficié, comme elles l’avaient espéré, d’un taux d’imposition préférentiel, ce qui les a rendues moins compétitives que les marques chinoises et européennes concurrentes.
Ensuite, il y a eu le protocole d’accord avec l’Iran pour acheminer du gaz naturel vers la Syrie via l’Irak – signé en 2011 – qui ne s’est toujours pas concrétisé.
Pour Téhéran comme pour les autres alliés de Damas, l’intervention en Syrie avait moins à voir avec l’ouverture de nouveaux marchés pour les biens et les services iraniens qu’avec des objectifs stratégiques régionaux.
Emad Kiyaei, spécialiste de l’Iran et directeur du cabinet de conseil IGD à New York, explique : « L’Iran joue un jeu à long terme pour être un allié clé dans la région. La Syrie n’a jamais eu l’intention d’être une vache laitière, car elle n’a pas de ressources à traire. »
Kiyaei souligne comment, à la place, l’Iran a travaillé à la reconstruction du pays tout au long de la guerre. La branche commerciale du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI), qui a reconstruit la République islamique après la guerre dévastatrice Iran-Irak des années 1980, a joué dans cela un rôle central. « Les GRI ont de vastes capacités d’ingénierie dans la reconstruction d’après-guerre. Nous voyons un modèle similaire en Syrie. »
Il y a par ailleurs la position géopolitique de l’Iran. En dehors de la Syrie, le pays est également impliqué dans la guerre au Yémen et est aux prises avec un conflit qui va s’intensifiant avec ses rivaux régionaux, l’Arabie saoudite notamment.
« Pour l’Iran, le retour sur investissement ne se calcule pas seulement en termes de capital, mais d’influence stratégique en vue d’un ancrage plus permanent », souligne Kiyaei. « Certes, certains protocoles d’accord n’ont pas fonctionné cette fois-ci et, avant le conflit, des accords ont également échoué, mais l’Iran a aujourd’hui en Syrie une présence qu’il n’a jamais eue auparavant. »
Le plan Marshall, présenté par les États-Unis après la Seconde Guerre mondiale pour empêcher l’Europe occidentale de passer sous le contrôle de l’Union soviétique, est considéré par la communauté internationale comme un modèle par défaut pour toute reconstruction d’après-guerre.
Beaucoup pensent que l’Iran pourrait être en train d’essayer cette approche en Syrie. Si quelque chose de similaire devait s’y produire, cela se ferait sous l’impulsion de l’intérêt iranien de contrer l’Arabie saoudite.
« L’Iran veut éloigner l’Arabie saoudite de la Syrie », note Kiyaei. « En l’état actuel des choses, les Saoudiens ne seront pas en mesure de s’immiscer à nouveau en Syrie pendant plusieurs années. Et ça, pour l’Iran, cela vaut chaque milliard dépensé en Syrie ».
Russie : utilisation du modèle ukrainien
La Russie vient juste de réussir avec peine à sortir de la récession. Elle a joué un rôle central dans le conflit syrien, apportant d’abord un soutien diplomatique puis, à partir de septembre 2015, en intervenant directement sur le plan militaire. Moscou a dépensé, selon les estimations, 3 à 4 millions de dollars par jour dans cette guerre. Toutefois, le commerce bilatéral Russie-Syrie s’est effondré à 210 millions de dollars en 2015 – un peu plus d’un dixième des 1,8 milliard de dollars d’affaires réalisés en 2011.
Pourtant, elle a mieux réussi que Téhéran à profiter du butin de guerre. La Russie s’est concentrée sur l’énergie : son manque de diversification économique globale signifie qu’elle possède des biens et des services limités à exporter en Syrie. « Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de négociations, mais jusqu’à présent, les Russes semblent obtenir davantage que les Iraniens », relève Yazigi.
En octobre 2017, il a été annoncé que Moscou devait financer certains projets dans le secteur de l’électricité – le premier cas de financement direct de Moscou depuis de nombreuses années, selon le Syria Report.
Toutefois, la reconstruction de la Russie sera sélective afin de souligner que celle-ci fait partie de la mission humanitaire de Moscou, prévient Andrew Bowen, spécialiste de la Russie et chercheur associé à l’Initiative for the Study of Emerging Threats à l’Université de New York.
« Il s’agit d’offrir une image plus douce de la Russie au Moyen-Orient. S’ils investissent, la majeure partie sera un coup de pub. Ils veulent faire sortir les équipes de télévision pour vendre une image de la Russie comme d’un pays en train de reconstruire la Syrie. »
Bowen s’attend à ce que la Russie suive le modèle utilisé dans son autre théâtre de conflit actuel : l’Ukraine.
« Des projets en Crimée ont été confiés à des entreprises directement ou indirectement liées aux oligarques proches du régime. On leur dit d’investir dans certains secteurs : construisez dix hôpitaux, vingt écoles, et vous le ferez pour nous faire une faveur. Il est difficile de voir un retour commercial légitime pour ces investissements. »
Liban : vous devez passer par le Hezbollah
Le Hezbollah, basé au Liban et allié de l’Iran, s’est battu aux côtés de l’armée syrienne. Il veut maintenant que la reconstruction profite à ses intérêts commerciaux, à ses affiliés et à ses partisans.
Il faudra compter avec l’obstacle de la Loi sur la prévention du financement international du Hezbollah (Hezbollah International Financing Prevention Act, HIFPA). La législation américaine a empêché les membres du groupe et les entreprises et particuliers associés qui sont inscrits sur la liste noire d’accéder au système financier mondial – y compris au Liban même.
Certains à Beyrouth croient que la Chine pourrait offrir plus d’espoir de récompenses. Le Liban a essayé de persuader Pékin d’investir dans le port septentrional de Tripoli, qui est promu comme un centre logistique potentiel pour l’entrée de marchandises et de matériaux en Syrie.
« Cela place le Liban dans une position très stratégique pour ce qui est de la chasse aux opportunités dans la Syrie d’après-guerre », a déclaré une source politique libanaise au Financial Times en juillet. « Nous parlons de milliards et de milliards de dollars. »
Néanmoins, Wang Kejian, ambassadeur de Chine au Liban, a expliqué à l’Institut Issam Fares à Beyrouth en septembre : « Les compagnies maritimes chinoises ont des relations limitées avec le Liban et ne prennent pas encore Tripoli en considération pour des raisons économiques. Peut-être qu’après la fin de la crise syrienne, il y aura des liens entre le Liban et la région, et pour un réseau de transport. »
Chine : des intérêts en matière de sécurité
Pékin a soutenu Damas à l’ONU, et lui a envoyé des troupes et de l’aide humanitaire.
Il a également une certaine expérience en ce qui concerne la reconstruction à l’étranger. Par exemple, Pékin s’est fortement impliquée en Angola lorsque la guerre civile dans le pays qui durait depuis 27 ans s’est achevée en 2002, dans le cadre de la stratégie globale de Beijing, « Ressources pour Infrastructures ».
Plus de 50 entreprises d’État et plus de 400 entreprises privées chinoises ont participé aux appels d’offres et ont été récompensées en recevant une part des 25 milliards de dollars annuels d’exportations de pétrole angolais. Mais en dépit des ouvertures de Damas envers Pékin, la Chine n’a pas encore donné suite. Cela s’explique par ce que l’Angola, comme l’Irak, pourrait offrir mais que la Syrie n’a pas : du pétrole.
Si la Syrie fait partie de la « Belt and Road Initiative » (BRI) – une stratégie chinoise de développement des infrastructures terrestres et maritimes couvrant soixante pays dont une grande partie de l’Eurasie pour un budget de 1000 milliards de dollars –, elle n’est cependant pas membre de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), soutenue par Pékin, et ne peut donc pas demander de fonds malgré l’importance stratégique du pays pour la Chine au Moyen-Orient.
« Les transactions financières concernant la Syrie et la Chine sont affectées par le manque de ressources [syriennes] », explique Alam. Le véritable intérêt de la Syrie pour la Chine est la sécurité, et non l’économie.
Pékin craint la radicalisation des musulmans ouïghours dans sa province instable du Xinjiang par certains des plus de 4000 combattants ouïghours chinois qui reviennent de Syrie et d’Irak, où ils ont soutenu des organisations comme l’État islamique.
La Turquie a toujours été un partisan des Ouïghours, au grand dam de Pékin, ce qui renforce le besoin de la Chine de disposer de renseignements fiables au Moyen-Orient.
« Les Turcs n’ont jamais été des alliés fiables quand il s’agit de capturer des Ouïghours, la Syrie est par conséquent un agent de surveillance de la situation locale », souligne Alam. « Si cela implique des investissements économiques sur le terrain [en Syrie], soit, ils peuvent le faire, mais pas comme en Afrique ou dans d’autres pays où la Chine investit. »
Les appels syriens en faveur d’un investissement plus conséquent semblent avoir échoué, en dehors d’initiatives privées telles que l’accord de fabrication locale de la marque chinoise Dongfeng Motor DFM à Homs.
Plus tôt cette année, Pékin a refusé de délivrer des visas à des responsables syriens, bien qu’elle ait bel et bien accordé des autorisations à des hommes d’affaires privés, selon la source de la CESAO. Cela fait écho à la façon dont Assad a été snobé lors de sa première visite en Chine en 2004, qui a été brusquement interrompue, selon Andrew Tabler, auteur d’In the Lion’s Den, parce que Pékin souhaitait donner la préférence à une visite du ministre israélien du Commerce de l’époque.
Imad Moustapha, l’ambassadeur syrien en Chine, a essayé d’obtenir un plus grand soutien de la part de Pékin.
Mais Kattan met en garde : « La Chine n’a pas fait montre d’une réelle confiance pour ce qui est d’investir en Syrie, et ce, pas seulement à cause du régime. Ils savent que les investissements vont partir en fumée en raison du népotisme et de la corruption. Peut-être qu’ils ont appris la leçon qu’il n’y a pas de moyen de pression sur le gouvernement [syrien]. »
États–Unis : le chéquier est bien fermé
Il est peu probable que Washington finance les efforts de reconstruction, même s’il a soutenu des groupes de l’opposition pendant la guerre. Si après l’invasion de l’Irak en 2003, une certaine pression pesait sur les États-Unis afin qu’ils « paient pour ce qu’ils [avaient] cassé », la situation est différente en Syrie.
« Le financement des Américains est hors de question », affirme la source de la CESAO.
Les administrations Obama et Trump ont toutes deux déclaré qu’Assad devait partir, et elles n’effectueront pas de volte-face politique.
Suite aux scandales de détournements de fonds en Irak et en Afghanistan, il y a peu d’appétit pour le financement de la reconstruction. Une commission du Congrès américain a estimé qu’entre 31 et 60 milliards de dollars sur un total de 160 milliards avaient été perdus en raison de la fraude et du gaspillage.
En 2013, Washington avait alloué à la reconstruction de l’Irak quelque 60 milliards de dollars de subventions, tandis que des investissements supplémentaires avaient été générés par la libération de fonds irakiens gelés à l’époque de Saddam Hussein.
En dépit de problèmes de sécurité persistants, Bagdad était encore capable de lever des fonds de reconstruction en puisant dans ses énormes réserves de pétrole. En 2016, l’Irak a produit environ 3,6 millions de barils par jour (bpj) pour financer son budget annuel de près de 100 milliards de dollars.
En comparaison, la Syrie produisait 375 000 bpj en 2010, les derniers chiffres disponibles avant le conflit, soit seulement 0,2% environ du total mondial. Ce chiffre a désormais chuté : le budget de Damas n’était que de 5 milliards de dollars en 2016.
L’Égypte a ses propres problèmes
La relation du Caire avec la Syrie a été tumultueuse ces dernières années.
Les relations se sont détériorées en 2013 lorsque l’Égypte a soutenu l’opposition syrienne, fermé l’ambassade de Syrie au Caire, rappelé son propre chargé d’affaires à Damas et tenté de lever des fonds pour les rebelles.
Les liens se sont améliorés lorsque le président Mohamed Morsi a été destitué en 2013 et qu’Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir.
Depuis, le Caire a dû faire preuve d’équilibre, pris entre Damas et ses alliés, y compris les États-Unis et le Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui compte parmi ses membres l’Arabie saoudite et les EAU.
L’Égypte a envoyé des délégations d’hommes d’affaires en Syrie en août 2017 et aimerait normaliser les relations, ce qui aiderait Damas. Toutefois endettée comme elle l’est, affligée par une économie en berne, l’Égypte ne peut offrir qu’un soutien symbolique ainsi que les investissements du secteur privé.
Le Caire lui-même a tenté en vain d’attirer des investisseurs suite au soulèvement de 2011, malgré le soutien du FMI et du Conseil de coopération du Golfe (CCG). En 2015, il a organisé la Conférence sur le développement économique en Égypte à Charm el-Cheikh, présentée comme le plan Marshall de l’Égypte. Elle s’est révélée être un pétard mouillé.
Kattan explique que ce rassemblement lui a fait penser à ce qui pourrait arriver à présent en Syrie : « Ils ont invité toutes ces multinationales, et les EAU et l’Arabie saoudite les ont soutenus. Des milliards de dollars d’investissements ont été annoncés, mais pas grand-chose ne s’est matérialisé.
« Même si la Syrie arrive à ce stade, avec une conférence sur le développement en avril 2018, nous entendrons que des milliards ont été promis, mais regardez l’historique. Peut-être que seulement 20 à 30% se matérialisent. »
Le reste du monde arabe : nous voulons le changement d’abord
La Turquie et les membres du CCG veulent depuis longtemps la destitution de Assad. S’il avait quitté le pouvoir, ces nations et l’Occident auraient peut-être alors été disposés à financer la nouvelle Syrie. Mais il n’est pas parti. Et ils ne débourseront rien.
« Il ne reste plus que le CCG, qui peut offrir entre 10 et 15 milliards de dollars s’il y a une transition politique appropriée et que tous acceptent qu’Assad reste », estime la source de la CESAO.
Mais cette dernière ajoute qu’il n’y a « absolument pas moyen » que le CCG octroie des contrats et une aide financière à toute entité ayant des liens étroits avec des acteurs chiites tels que le Hezbollah et l’Iran – à l’image du gouvernement syrien.
Selon Alam, le contre-argument est que le CCG pourrait, à contrecœur, fournir des fonds et des investissements privés pour contrer l’influence de Téhéran et des chiites en Syrie. Mais si cela devait arriver, le CCG devrait alors opérer un demi-tour concernant sa position sur Assad.
Il en irait de même pour Ankara, qui s’est opposée à Damas et a déboursé 12,5 milliards de dollars durant le conflit pour accueillir 3,2 millions de réfugiés syriens à l’intérieur de ses propres frontières.
D’après Atilla Yesilada, analyste chez Global Source Partners, un service de conseil aux entreprises internationales basé à Istanbul, si la Turquie est un choix naturel pour mener la reconstruction économique, les obstacles politiques demeurent.
« La Turquie n’a aucun intérêt à mettre fin à la guerre en Syrie et fera de son mieux ou de son pire afin que celle-ci continue, par procuration ou par intervention directe, pour trouver une solution. » Mais là aussi, Ankara est relativement pragmatique quand il s’agit d’intérêts commerciaux, surtout s’il y a un gouvernement de transition en Syrie, ce qui serait plus acceptable aux yeux du monde. »
Europe : les réfugiés comme levier
L’UE est désireuse de contenir le flux de réfugiés en direction de l’Europe et des voisins de la Syrie. À l’heure actuelle, plus de 970 000 demandeurs d’asile syriens se trouvent dans des pays de l’UE.
L’UE est également un partenaire commercial clé pour la Syrie. En 2016, les échanges de l’UE avec la Syrie se sont élevés à 500 millions de dollars, soit un peu moins de 7% de ce qu’ils étaient avant la guerre en 2010, à 7,2 milliards de dollars.
Un vaste programme de reconstruction encouragerait-il les plus de cinq millions de réfugiés qui ont quitté la Syrie à rentrer chez eux ?
Pour Kattan, « Damas a deux cartes sur la table : les réfugiés, dans la mesure où un certain nombre de pays de l’UE voudraient les renvoyer chez eux – la raison pour laquelle l’Allemagne dépense beaucoup pour l’aide humanitaire –, et le partage de renseignements sur les groupes terroristes, comme cela s’est produit après le 11 septembre 2001. Certains gouvernements occidentaux se sont rendus à Damas pour relancer ces relations de manière bilatérale en dehors du cadre de l’UE. C’est opportuniste mais important pour le gouvernement. »
L’UE a déclaré qu’elle souhaitait contribuer à la « stabilisation et à la remise en état rapide des zones où la violence a diminué ».
« ‘‘Remise en état rapide’’, dans mon esprit, cela signifie reconstruction et développement », observe Kattan.
Mais il y a une mise en garde : l’UE est l’une des parties voulant une transition politique – c’est-à-dire qu’Assad renonce au pouvoir. Cela a conduit Moscou à accuser Bruxelles de « politiser l’aide ».
Les mêmes conditions ont également été stipulées par les organisations humanitaires occidentales, qui se sont réunies à Bruxelles en avril 2017. Dans une déclaration conjointe, CARE International, l’International Rescue Committee, le Conseil norvégien pour les réfugiés, Oxfam et Save the Children ont déclaré : « Le soutien international devrait être subordonné à la conclusion d’une solution politique, au respect des droits de l’homme et à la protection d’une société civile indépendante. En l’absence de ces conditions, toute initiative d’aide à la reconstruction risque de faire plus de mal que de bien. »
De même, Assad a déclaré que l’UE n’avait aucun rôle à jouer dans la reconstruction de la Syrie.
En l’état actuel des choses, les investissements à plus petite échelle en provenance d’Europe semblent être le plus grand espoir. En octobre, le ministère syrien des Finances a annoncé qu’il se préparait à relancer des conseils d’affaires bilatéraux avec plusieurs pays qu’il considère comme « amicaux », notamment la République tchèque.
« La Syrie n’a pas besoin de quantités massives venant de l’extérieur, comme le prédisent certains. Ils peuvent se débrouiller avec de petits projets d’infrastructure venant de l’extérieur et faire le reste eux-mêmes », note Alam.
« L’Indonésie a fait don de quelques hôpitaux et ambulances, et les Malais ont fait de même. C’est ce genre d’activités économiques de petite envergure qui conservent au gouvernement sa pertinence. La France et l’Europe se trompent si elles pensent pouvoir faire chanter la Syrie selon leurs conditions ».
Multinationales : dissuadées par les droits de douane
Le pouvoir d’achat des consommateurs syriens est, sans surprise, faible après six années de conflit.
En 2016, le PIB était seulement de 15 milliards de dollars – un quart de ce qu’il était en 2010. Plus de 80% des Syriens vivent en dessous du seuil de pauvreté, selon l’ONU. Même avant le conflit, le marché était axé sur les grandes quantités. Un faible pouvoir d’achat signifie des marges bénéficiaires faibles pour les entreprises.
Cela l’a rendue au moins attrayante pour les pays du commerce international de deuxième et troisième catégories, tels que le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud, la Malaisie, l’Algérie et l’Égypte.
« Le succès du gouvernement syrien avant la guerre a consisté à ouvrir l’économie à des pays qui ne faisaient pas beaucoup de commerce. Ils [Damas] ne font que raviver ce qu’ils avaient déjà – rien de bouleversant, mais tout cela s’additionne », remarque Alam.
Kattan cite les tarifs douaniers et les difficultés à opérer en Syrie comme des obstacles pour les IDE occidentaux. « Sur le plan commercial, regardez les perspectives économiques d’avant 2011. Pourquoi n’y avait-il pas d’entreprises occidentales présentes, hormis celles de l’énergie ? Ou celles du Golfe, qui étaient affiliées au régime lorsque les choses allaient bien ?
« Maintenant, ils doivent convaincre les multinationales de venir faire de l’argent. Mais le gouvernement pourrait s’approprier des investissements ou des droits de propriété. »
La domination omniprésente des seigneurs de guerre et des copains de la présidence est également dissuasive, tout comme les sanctions internationales.
Les Syriens de l’étranger sont–ils les bienvenus ?
La Syrian International Business Association (SIBA) a été créée en juillet à Marseille. Parrainée par la Banque mondiale, cette initiative vise à encourager les hommes d’affaires syriens expatriés à investir dans la reconstruction.
Riad al-Khouri, directeur (Moyen-Orient) de GeoEconomica, un cabinet de conseil en risque politique basé à Amman, assure qu’il y a du potentiel.
« Il y a près de 100 milliards de dollars d’argent syrien à l’extérieur du pays », affirme-t-il. « Une grande partie de cet argent reviendra, car le gouvernement a besoin de la diaspora beaucoup plus qu’auparavant, il y a donc une opportunité. Les fonds viendront beaucoup plus vite que ce à quoi beaucoup s’attendent. »
Un tel investissement s’inscrirait dans la stratégie apparente de Damas consistant à demander de petits investissements de la part de multiples acteurs. Cependant, le pays envoie des messages contradictoires, selon Yazigi.
Alors que certains membres du gouvernement ont fait appel aux expatriés pour qu’ils réinvestissent, et ont offert des incitations, comme aux industriels en Égypte, la presse d’État locale a accusé les hommes d’affaires ayant fui la Syrie d’être des traîtres. « Il y a beaucoup d’intérêts contradictoires », constate Yazigi.
En octobre, Damas a gelé les avoirs d’Imad Ghreiwati, un homme d’affaires qui a fait fortune grâce à ses liens avec le gouvernement, mais qui est parti pour les Émirats arabes unis quand le conflit a éclaté. « C’est un message envoyé aux investisseurs : quiconque ne nous soutient pas ne peut pas jouer avec nous », souligne Yazigi.
Alors, quelles perspectives pour la reconstruction de la Syrie ?
À moins que l’on assiste à des changements de direction majeurs dans la politique de l’Union européenne, des États-Unis et de la Turquie vis-à-vis du gouvernement Assad, la Syrie n’obtiendra pas les dizaines de milliards de dollars nécessaires pour remettre le pays sur pieds. « Dire que des milliards [de dollars] arriveront est un vœu pieux », assure Kattan.
Pour réussir, la Syrie devra plutôt compter sur des investissements à petite échelle et des projets de développement des infrastructures. La reconstruction ne sera qu’un projet à long terme – et ce, à la condition que Damas finisse par développer une stratégie.
« Ce seront de petits investissements et une régénération progressive des entreprises. Rien de fondamental, mais cela permettra à l’économie locale de se maintenir à flot », conclut Alam.
source : Middle East Eye
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