par Gideon Levy
Le rêve du mouvement BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) se concrétise rapidement. Un gestionnaire clé dans l’une des sociétés d’investissement israéliennes m’a dit cette semaine que le montant d’argent quittant son bureau et allant à l’étranger est actuellement de 10 millions de shekels [=2,6 millions d’€] par jour, et ça ne fait qu’augmenter.
Cette personne, qui s’est toujours tenue à l’écart de la politique et de l’actualité, est maintenant découragée. La politique a envahi son bureau. Tous ceux qui, comme moi, pensaient que tout cela n’était que des paroles et de l’alarmisme, ont eu tort. Ce qui se passe maintenant est exactement ce que le mouvement international prônant le boycott d’Israël voulait obtenir, mais pour une autre cause. Ce qui se passe pourrait prouver que le mouvement BDS avait raison depuis le début : ce n’est que par l’argent qu’il sera possible de changer la politique d’Israël. Frappez au porte-monnaie : l’arme BDS est la plus efficace.
À ce jour, la plus grande réussite du mouvement de protestation contre le bouleversement judiciaire est d’avoir réussi à intimider et à pousser à l’action une proportion substantielle d’Israéliens, ainsi que la majeure partie du reste du monde. Ce que le mouvement BDS et les organisations des droits humains n’ont pas réussi à faire en invoquant des crimes et des méfaits, le mouvement de protestation a réussi à le faire au nom de la lutte contre ce qu’il appelle la fin de la démocratie. Ça a pris comme une traînée de poudre. Ce ne sont pas les intifada et les guerres, les descriptions des horreurs et les lamentations, pas les résolutions des institutions internationales ou des USA qui ont réussi à susciter une telle tempête. Un mois et demi de préliminaires législatifs ont fait l’affaire.
C’est ainsi que les partisans du boycott d’Israël voulaient que les choses se déroulent : retrait des investissements en Israël, boycott de l’économie israélienne culminant dans l’opposition internationale, jusqu’à l’imposition de sanctions. Cela n’a pas fonctionné contre l’occupation. Le mouvement BDS a réussi à faire évoluer les mentalités. C’était le seul choix possible, le seul mouvement qui ne se contentait pas de condamnations vides, appelant au contraire à des actions concrètes contre un État d’apartheid. Cependant, ses réalisations économiques ont été minuscules, un chanteur annulant un spectacle ici, un fonds de pension bricolant un retrait là, Israël continuant à s’épanouir et à prospérer sans entrave, au grand dam des défenseurs des droits humains. Aucun prix n’a été payé pour les crimes de l’occupation ou pour le pied de nez arrogant et insolent du pays au droit international.
Et pourtant, chacun savait que sans mesures concrètes, l’occupation ne prendrait jamais fin. Si les Israéliens ne payaient pas le prix de l’occupation et de ses crimes, en tant qu’individus et en tant que collectivité, rien ne les inciterait à y mettre fin. Jusqu’à il y a quelques semaines, il semblait que cela n’arriverait jamais.
Et maintenant, voilà que ça se produit, même si c’est pour de mauvaises raisons. Même si c’est pour des raisons involontaires, un peu de bien peut en sortir. Il est surprenant que l’affaiblissement du système judiciaire, dont les caractéristiques étaient favorables à l’apartheid, soit le facteur qui a poussé le monde et certains Israéliens à se réveiller. Mais il est désormais clair que la seule chose qui pourrait arrêter le bordel législatif est le préjudice économique subi par le pays. Le fait que les Israéliens retirent leur argent et que les acteurs internationaux n’investissent pas ici change la donne. Les manifestations, aussi bruyantes et tonitruantes qu’elles puissent être, se dissiperont rapidement et suivront le chemin de toutes les protestations. Les pétitions et les lettres s’estomperont. Seuls les dommages économiques s’accumuleront. C’est la seule chose qui puisse arrêter l’érosion. C’est ce qui s’est passé en Afrique du Sud, lorsque les dirigeants de la communauté des affaires ont dit au gouvernement qu’ils ne pouvaient plus continuer, et c’est ce qui va se passer ici avec la révolution judiciaire. Uniquement par l’argent.
Il ne faut évidemment pas se laisser bercer par les illusions. Le lien entre les protestations et la lutte contre l’apartheid est ténu. La plupart des manifestants se contenteront de l’annulation de la clause permettant à la Knesset de passer outre les décisions de justice et de l’ajout de représentants du public au comité de nomination des juges, et seront pleinement satisfaits lorsque Benjamin Netanyahou quittera le pouvoir. En ce qui les concerne, l’apartheid peut continuer.
Mais on peut espérer que la convulsion ne pourra pas s’arrêter au statu quo ante. La tempête peut rebattre de nombreuses cartes sur son passage. Lorsque les Israéliens commenceront à payer pour les folies de leurs dirigeants, ils trouveront peut-être le temps de reconsidérer la plus grande folie de toutes : l’État d’apartheid dans lequel ils vivent, qu’ils paient du sang de leurs fils et de l’image de leur pays. Ce n’est qu’alors qu’une nouvelle aube se lèvera.
source : Haaretz via Tlaxcala
Adblock test (Why?)
Source : Lire l'article complet par Réseau International
Source: Lire l'article complet de Réseau International