«La liberté, ce n’est pas l’abandon, mais la maîtrise.» – P. Vadeboncœur
Tout au long de cette année, j’ai fait l’exercice de noter chacune de mes lectures. Cette liste me rappelle tous ces livres à la mémoire, avec leurs couleurs propres. Je n’avais pas conscience d’avoir traversé tant d’univers de papier. Parmi les inédits, je retrouve quelques bandes dessinées, deux livres illustrés de Dany Laferrière et un peu de poésie, mais c’est surtout l’essai québécois qui semble se démarquer.
Plus précisément, trois essais sont arrivés sur les rayons aux alentours de la saison chaude. J’ai eu l’occasion d’écrire déjà sur le parcours de Mathieu Bélisle, à la parution de son troisième ouvrage large publique, Ce qui meurt en nous.
C’était au printemps et, déjà, à l’automne, paraissait un autre essai québécois qui abordait également (mais fort différemment) la question de la mort, celui de Dominique Fortier, Quand viendra l’aube. D’une certaine façon, il venait s’emboiter avec son roman Les Ombres blanches, paru seulement quelques mois plus tôt.
Une source intarissable
Un troisième essai a marqué mon année. Il s’agit de Géographie du pays proche. Poète et citoyen dans un Québec pluriel de Pierre Nepveu. L’auteur est poète et professeur émérite au département de littérature de l’UdeM. Son livre apparait comme le bilan d’une vie de réflexion, une synthèse de son parcours de chercheur, d’écrivain et de citoyen.
Ce qu’il y a de fascinant, de beau et d’unique est certainement le témoignage et l’hommage que Nepveu rend à son héritage catholique: «ce « Dieu » qui n’existe plus à mes yeux et pour un grand nombre, son verbe et sa lumière m’atteignent encore» (p.40).
Il s’agit d’un héritage profondément enraciné au sujet duquel il écrit encore «j’y trouve […] une source que ne saurait tarir aucun jugement indigné […]» (p.37). Ce point de vue n’a effectivement rien de convenu.
Un système cohérent et global
Vous remarquerez que Nepveu ne se contente pas de saluer de loin ses racines judéo-chrétiennes: il nous dit qu’elles ont façonné l’homme qu’il est devenu et qu’elles continuent de nourrir sa vision du monde.
En effet, pour Nepveu, l’héritage chrétien est une expérience plénière:
«Tout un monde de rituels soigneusement accomplis, de gestes ordonnés, codés, solennels, hautement symboliques, beaux de ne pas avoir de finalité pratique et d’être reliés entre eux par une cohérence globale. Un monde où fusionnent l’esthétique et l’éthique, l’art et la justice, le respect des formes et la hauteur morale des contenus» (p.36-37).
Donner sens à la nation
Il n’est donc pas étonnant que Nepveu propose cette source pour insuffler corps et vie à l’identité québécoise aujourd’hui. Selon lui, l’altruisme doit guider la façon d’être citoyen.
Plus précisément, c’est dans une attitude de générosité tournée vers autrui, telle que léguée par le christianisme, que serait la clé de l’identité québécoise:
L’héritage éthique et symbolique d’un catholicisme du devoir quotidien et de l’amour des êtres, une éthique qui trouve son âme dans la conviction que, quelque part, le cri d’horreur peut être transcendé par un chant et, qui sait, par un alléluia».
Pierre Nepveu, Géographies du pays proche, p. 52
À la fin de l’essai, il écrit:
«La nation est d’abord le nom que l’on donne à notre souci et à notre amour d’un monde habitable situé dans une histoire: elle est notre point de vue et notre médiation vers l’universel, mais à l’inverse, elle doit présupposer le point de vue de l’universelle humanité, la possibilité constante et sans limite de l’autre comme mon semblable […]» (p.243).
C’est une question d’amour, nous dit Nepveu.
Retrouver l’espace spirituel
En outre, l’écrivain observe que l’idée de l’indépendance du Québec est souvent liée à la finalité du progrès qui, malheureusement, ne «suffit pas à nourrir l’âme» (p.44). Il regrette que certains défendent une identité québécoise pauvre en contenu, sans transcendance.
À ce sujet, il m’apparait incontournable de faire intervenir un quatrième essayiste qui figure de fait sur ma liste de 2022. Il s’agit du défunt Pierre Vadeboncœur, dont Les Deux royaumes, d’abord paru en 1978, a été réédité cette année. Vadeboncœur y parlait de son malaise devant la liquidation de l’héritage passé et, par le fait même, de toute vie intérieure et supérieure:
Nous bénéficiions d’une dimension qui n’était pas la nôtre propre mais celle de la grande tradition spirituelle. À la figure d’un espace indépendant de nous répondait en nous l’espace de notre propre esprit. Mais le premier aboli, le second en a souffert.
Pierre Vadeboncœur, Les Deux royaumes, p.18
Mes essayistes de 2022 s’inscrivent dans cette même visée, dans un effort similaire pour ranimer ce monde de l’invisible. Ainsi, un doux et puissant motif semble s’être formé dans mes lectures, le motif d’une quête intérieure qui tente de se communiquer.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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