Les trahisons innombrables de la gauche, de Hollande au PCF, les lâchetés et les indécisions successives de la FI-NUPES, ont créé faute d’espoir et de perspectives, un no man’s land idéologique que le covid et le conflit ukrainien ont fini par transformer en territoire de désolation et d’angoisse. Mais au beau milieu de la lande brûlée et des vestiges fumants où errent les déçus de la gauche, légèrement sur la droite, là-bas, on entend une musique pas très lointaine jouant un air entraînant : celui d’un nouvel ennemi mortel à combattre.
Derrière une clairvoyance qui a parfois l’évidence de l’eau qui mouille et dont elles croient être les seules détentrices, certaines voix d’une « gauche » hybride et confusionniste, apparues dans l’atmosphère brumeuse et chaotique de fin du monde propre à la pandémie de covid, reprennent cette ritournelle et dévoilent de plus en plus clairement leur perméabilité aux antiennes de l’extrême-droite.
Des idées importées d’Outre-Atlantique et incarnées par une alt-right très visible sur la toile et les réseaux sociaux envahissent les débats de gauche. Des personnalités telles que la sainte trinité médiatique Tucker Carlson, Jordan Peterson et Ben Shapiro deviennent les nouvelles idoles d’une pensée, alternative en surface, révolutionnaire en apparence, mais en réalité profondément réactionnaire. Elles ont pour cheval de bataille la guerre contre le « wokisme », ce concept creux qu’elles ont elles-même sinon créé (1) du moins entretenu, choyé, qui cache au premier chef une lutte à mort contre le féminisme et la transidentité qu’elles considèrent comme des menaces existentielles pour la masculinité et les bonnes vieilles valeurs de la famille traditionnelle judéo-chrétienne. Et comme le fond de commerce de ces trois pieds-nickelés de la droite extrême américaine repose essentiellement sur l’existence même du « wokisme », on ne peut se défaire de l’impression qu’ils ont probablement un peu intérêt à en exagérer l’importance et les effets réels. Ce qui n’est pas difficile dans un pays où la démesure est en tout une seconde nature.
Tucker Carlson, journaliste sur Fox News, n’est ni plus ni moins que le Zemmour made in America. D’ailleurs, la chaîne CNews de Vincent Bolloré, sur laquelle sévissait le polémiste français, ne s’en est jamais cachée : elle aspirait à être un « Fox News à la française ». On serait cependant plus proche de la vérité en disant qu’Éric Zemmour s’est peut-être inspiré de son alter ego amerloque pour construire sa personnalité médiatique, véritable machine à punchlines et à buzz.
Jordan Peterson est un ex-enseignant de psychologie canadien reconverti dans le coaching lucratif pour mâles blancs fragiles qui n’aime rien tant que de s’ajouter de nouvelles compétences, hélas inventées (une autre tendance importée chez nous des USA) et qui est un grand amoureux de George Orwell, [description autocensurée].
Ben Shapiro, journaliste et influenceur ultra-conservateur, ne sort jamais sans sa kippa et ses nombreuses interventions disponibles en ligne ont été retrouvées en tête de l’historique de navigation d’Alexander Bissonnette, l’auteur de la tuerie de masse contre une mosquée de Québec en 2017. Les chiens ne font pas des chats…
Alors, oui, certes, cette « gauche » confusionniste dont je parlais au début combat l’Amérique hégémonique. Mais elle nous en vend une autre. Aussi pire.
Oui, oui, cette gauche-là, c’est vrai, soutient la Russie de Poutine dans son bras de fer avec l’OTAN (alors que même le PCF en est incapable, un comble), mais elle le fait à la manière de l’extrême-droite, en faisant du président russe une figure quasi-mythologique, un héros viril, ultime défenseur d’une Europe chrétienne contre le tsunami des déviances sexuelles qui menace de la submerger, d’emporter ses enfants dans la luxure, le stupre, pire encore, de transformer les petits garçons en petites filles, l’inverse étant moins emmerdant semble-t-il. Avec un nouvel ennemi viennent de nouvelles angoisses. Et vice versa. Pourtant, certains semblent oublier que la décadence des valeurs chrétiennes européennes ne vient pas de la théorie du genre, du mariage gay ou de la PMA. Non, le ver était dans le fruit depuis bien plus longtemps que cela. Ce ne sont pas les homosexuels ou les trans qui ont violé au bas mot des centaines de mômes pendant des décennies en France (et combien en Afrique ?), ce sont des prêtres avec la complicité tacite du Vatican. Ce ne sont pas les homosexuels et les trans qui ont collaboré avec le régime nazi pour dénoncer les Juifs – ils les ont accompagnés dans les camps de la mort – c’est l’Église catholique avec la complicité tacite du Vatican. Ce ne sont pas les homosexuels et les trans qui ont proscrit l’usage du préservatif en pleine pandémie de SIDA – eux en sont morts – c’est l’Église catholique par la voix du pape Jean-Paul II, empirant ainsi et sans le moindre scrupule, particulièrement sur le continent africain, la mortalité, mais aussi la misère et la famine. L’Église catholique a toujours été une alliée du capitalisme, de la prédation coloniale et du bloc bourgeois, une ennemie mortelle des peuples et des Communistes. D’ailleurs, si c’était l’URSS qui était entrée en Ukraine sans invitation, les choeurs d’extrême-droite, en général indifférents à l’atlantisme ou à toute autre forme d’impérialisme du moment qu’il ne menace pas leurs intérêts de classe, chanteraient une mélodie un peu moins russophile.
Si l’activisme woke, tout en excès bien réels, notamment dans les milieux artistico-culturels (2) et universitaires américains, reste anecdotique en France, il ne l’est pas pour tout le monde. Car afin de régénérer un Grand Méchant covid moribond, il leur devient nécessaire, urgent même, par crainte que leurs prophéties ne s’éteignent, de lui adjoindre d’autres « fléaux », en y superposant une imagerie biblique dans laquelle le Covidisme, le Wokisme, le Mondialisme et le Transhumanisme sont les nouveaux Cavaliers de l’Apocalypse. Ces ismes sont interchangeables avec d’autres.
Force est de constater qu’aujourd’hui, des passerelles vers ce qui reste de la vraie gauche, celle qui défend les humbles, quelles que soient leurs origines ou leur orientation sexuelle, celle de Che Guevara, de Fidel Castro, d’Hugo Chavez et de Nicolás Maduro, sont aujourd’hui de plus en plus fréquemment tendues avec un public se disant toujours « de gauche » malgré tout mais reprenant à son compte certaines de ces chimères néo-réactionnaires et fixettes d’extrême-droite dont on sait pourtant avec certitude qu’elles évitent soigneusement de désigner les vrais coupables. Toujours.
Reste à savoir si c’est assumé.
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« Je dois vous dire, la façon dont les femmes blanches ont détourné le mouvement woke… Les généraux du monde entier devraient analyser ça. Le mouvement woke était censé concerner les gens de couleur, et ça a été le cas pendant environ 8 secondes. Et puis, je ne sais pas comment, les femmes blanches ont enjambé la barrière de l’oppression avec leurs bottes Gucci et se sont mises en tête de cortège. » Bill Burr, humoriste américain
Le « wokisme » est devenu à la fois champ de bataille et partie prenante des luttes de pouvoir en cours aux États-Unis, entre les progressistes et les défenseurs des valeurs conservatrices et religieuses. Malgré le danger qu’il paraît qu’il représente, ses conquêtes font pourtant pâle figure en face de la récente victoire réactionnaire qui a fait reculer le droit à l’avortement à la Cour Suprême des États-Unis. Rien d’étonnant alors à ce que l’extrême-droite française (3) veuille étendre à la France et à sa compréhension du monde ce « combat des valeurs ». C’est donc ainsi ce signifiant vide, énième arnaque américaine, qu’elle tente de toutes ses forces de brandir comme un épouvantail qui a le double avantage de discréditer les vieilles luttes du féminisme et de l’antiracisme, comme les plus récentes sur les droits LGBT et de monopoliser une attention alors détournée des vrais problèmes. Cette désignation d’un ennemi factice a fonctionné à plein sur les orphelins post-covid de la gauche, hagards et perdus. Résultats encourageants : avec l’aide de médias compatissants, on voit jusqu’à des femmes de gauche se plaindre d’un féminisme trop remuant et prendre pitié pour une masculinité en crise imaginaire, il y a un retour en grâce de l’homophobie et quatre-vingt huit députés Rassemblement National (4) sur les bancs de l’Assemblée parmi lesquels on en trouvera toujours un qui, pris d’une grosse envie, ne pourra retenir une flatulence verbale du genre « Qu’il retourne en Afrique ! » après l’intervention d’un député noir.
À qui profite le crime ? Pas aux ouvriers, ni aux retraités ou aux chômeurs, à qui on s’efforce de faire oublier le recul de leurs droits et de leur niveau de vie en hurlant le doigt pointé derrière eux : « woooke ! »
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Repérer le « wokisme » dans le cinéma américain antérieur à la naissance proprement dite du concept woke datée de 2014, et contemporaine au mouvement américain Black Lives Matter, déchiffrer des traces de pré-wokisme en quelque sorte, est un jeu amusant, je trouve : récemment je reregardais Django Unchained de Quentin Tarantino, sorti deux ans avant. C’est définitivement pré-wokiste… eh oui, ah ça, les Blancs sont méchants, oh si méchants que je me suis senti coupable…
Heureusement dans l’obscurité, on m’a pas vu rougir.
À ce jeu-là, on peut remonter jusqu’à quand, vous croyez ? Devine qui vient dîner… ?
Xiao PIGNOUF
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(1) il ne faut pas confondre woke et wokeism : le premier est un terme déjà existant repris pas les militants du Black Lives Matter, mouvement de protestations contre les quasi-exécutions publiques de Noirs commises impunément par des policiers dans un pays post-ségrégationniste. Wokeism est né comme un terme d’emblée péjoratif dont usent aux États-Unis les opposants au mouvement BLM et plus tard les Conservateurs.
(2) et en particulier la production cinématographique et télévisuelle qui est, à travers Netflix, Amazon Prime, Apple et Disney le fer de lance du soft-power impérialiste US.
(3) et dans une certaine mesure la Macronie aussi lorsque par la voix de ses ministres de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, elle a fustigé un prétendu islamo-gauchisme.
(4) le député RN qui dès qu’il pose ses fesses de bon Français sur les strapontins du Palais Bourbon, s’il n’oublie jamais son ADN raciste, perd soudainement la mémoire lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de ceux qui l’ont élu. Premier parti ouvrier de France ? Niet : premier parti bourgeois raciste de France.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir