par Dominique Delawarde
Dans le bras de fer OTAN-Russie qui se déroule en Ukraine, la résilience des économies et la solidité des monnaies des deux camps qui s’opposent jouent un rôle tout aussi important que l’action militaire sur le terrain.
Chacun se souvient que l’ex-URSS a perdu la guerre froide et s’est effondrée pour des raisons économiques sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré.
Il m’a donc paru important de suivre l’évolution de la confiance de la communauté internationale dans le dollar états-unien, monnaie de réserve mondiale, mais surtout instrument majeur de la puissance et de l’hégémonie US avec l’extraterritorialité du droit états-unien qui lui est attaché .
Les derniers chiffres publiés par le secrétariat au Trésor US sur la part de la dette US détenue par l’étranger m’ont permis de rédiger une courte analyse (3 pages) que je vous propose en pièce jointe.
Bonne lecture, et à chacun de se forger son opinion, bien sûr.
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La confiance de la communauté internationale (la vraie) dans le dollar états-unien et dans la solidité de l’économie US qui le soutient se mesure, entre autre, à l’engouement que peut susciter l’achat des bons du trésor américain par l’étranger et à la part de la dette américaine que chaque État accepte de conserver dans ses coffres.
Avec la guerre en Ukraine, alors que la dette fédérale US n’a cessé de croître pour atteindre les 31 300 milliards de dollars et qu’elle continue d’exploser, alors que le financement des dépenses de défense US et du soutien militaire et financier à l’Ukraine se traduisent par un déficit budgétaire US abyssal de 1200 milliards de dollars sur 12 mois (100 milliards de $ par mois), alors que le déficit commercial US explose lui aussi à 1215 milliards de dollars dont 417 (plus d’un tiers) avec la Chine, battant cette année un nouveau record historique, la confiance envers le dollar, monnaie de réserve mondiale, qui n’est gagé sur rien d’autre que sur un océan de dettes et sur une économie au mieux stagnante, au pire en récession, s’émousse avec le temps.
Les derniers chiffres de la situation au 30 septembre 2022 publiés par le département du Trésor US sur la part de la dette US détenue par les pays étrangers montrent que ces derniers réduisent majoritairement leur exposition au produit financier toxique qu’est devenue la dette américaine libellée en dollars.
Sur un plan global, la part de la dette états-unienne détenue par l’étranger le 31 décembre 2021 était de 7748 milliards de dollars sur 29 000 milliards de dettes fédérales soit 26,7% de cette dette.
Le 31 septembre 2022, 9 mois plus tard, alors que la guerre OTAN-Russie est en cours en Ukraine, cette part s’est réduite à 7296 milliards de dollars (soit une réduction de 452 milliards), sur une dette qui, elle, a continué d’exploser à 31 300 dollars. La part de la dette détenue par l’étranger est donc désormais de 23,3% soit une baisse de 3,4% en 9 mois. Cette baisse, sur une période aussi courte, est considérable et signifiante.
Ceci veut dire que, parce que leur dette attire toujours moins les investisseurs étrangers, les USA devront de plus en plus trouver des créanciers au sein même de leur pays alors que ces derniers détiennent déjà 76,7% de leur propre dette. Plus cette proportion détenue en interne s’élèvera et plus la population US souffrira en cas de crise majeure et/ou si l’État fédéral devait être mis en difficulté voire en faillite.
L’analyse pays par pays pour les principaux créanciers est riche d’enseignements :
Le Japon, principal créancier des USA, détenait encore 1329 milliards de dollars de dette US le 30 Novembre 2021. En 10 mois, il a réduit son exposition à 1120 milliards de $, soit une baisse de 209 milliards qui représente une réduction de 16,5% de son exposition à la dette US. C’est énorme et inédit sur une aussi courte période, surtout de la part d’un allié qui devrait manifester la plus grande confiance dans la monnaie de son protecteur et parrain … Y aurait-il, par le plus grand des hasards, un début de défiance du Japon à l’égard des USA ? Le Japon aurait-il aujourd’hui quelques inquiétudes sur l’avenir de la monnaie et de l’économie états-uniennes ?
La Chine (+ Hong Kong), seconde créancière des USA, détenait encore 1315 milliards de $ de dette US le 30 novembre 2021. En 10 mois, elle a réduit son exposition à 1113 milliards soit une baisse de 202 milliards de $, réduction de 15,4% de son exposition à la dette US.
Rappelons que les USA ont aujourd’hui un déficit commercial de 417 milliards de dollars avec la Chine sur les douze derniers mois. Le record absolu sera donc battu en 2022.
La Chine qui a assisté en direct au gel (ou vol) des avoirs russes par la « coalition occidentale », sait qu’elle figure comme adversaire désigné de l’OTAN dans le concept stratégique 2022. Elle anticipe les provocations et la crise qui l’opposera tôt ou tard à l’OTAN au sujet de Taïwan.
Elle a donc tout naturellement entrepris de se débarrasser d’une bonne part de ses avoirs en dollars, progressivement, bien sûr, pour ne pas déstabiliser l’économie mondiale déjà fort affectée par les sanctions occidentales « boomerang », utilisées comme arme dans la crise ukrainienne, et pour ne pas remettre en cause les échanges commerciaux très bénéfiques qu’elle entretient avec son meilleur ennemi : les USA.
Japon et Chine, l’allié et le challenger des USA en Asie ont donc adopté la même attitude prudente, vis à vis de la dette US en réduisant leur exposition dans des proportions comparables et considérables alors que se poursuit l’opération spéciale russe en Ukraine.
Notons que les autres alliés asiatiques des USA (Taïwan, Corée du Sud, Singapour) ont tous réduit très sensiblement, à l’imitation du Japon, leur exposition à la dette US sur les dix derniers mois.
- Taïwan de 249 à 217 milliards de $ (-13%)
- Corée du Sud de 133 à 105 milliards de $ (-21%)
- Singapour de 194,5 (fin décembre 2021) à 177,5 milliards de dollars (-9% en 9 mois).
En Asie, pour les adversaires ou les alliés des USA, la prudence semble l’emporter y compris sur la solidarité et le soutien à un dollar de plus en plus fragile. La baisse de l’exposition à une dette jugée hors de contrôle traduit une réelle inquiétude, tout particulièrement depuis la guerre en Ukraine et les sanctions boomerang qui ont déstabilisé l’économie mondiale et montré les limites de l’hégémonie états-unienne dans les domaines économiques et financiers. Pragmatiques, les asiatiques s’apprêteraient-ils à virer de bord et à choisir le camp de la multipolarité ?
Sans surprise, le Royaume Uni et la Belgique (en fait l’UE-Bruxelle de Madame Van der Leyen) lient leur destin à celui des USA en augmentant toujours plus l’exposition à la dette US. Pour eux, « il faut sauver le soldat dollar » en entretenant la confiance et donc en rachetant sans compter et sans la moindre prudence un produit de plus en plus toxique : la dette US. Ces deux pays détenaient 846 milliards de dette US le 30 novembre 2021, ils en détenaient 988 dix mois plus tard soit une augmentation de leur exposition de 16,8%. C’est probablement l’effet « solidarité otanienne ».
On notera avec intérêt que les 4 plus gros créanciers cités plus haut cumulent aujourd’hui, à eux seuls, 44% de la dette US détenue à l’étranger.
Viennent après 5 petits paradis fiscaux qui détiennent ensemble 1225 milliards de la dettes US en 2022 (autant que le Japon ou que la Chine). Il faut les répartir en 2 groupes selon le sérieux et la sévérité des contrôles internationaux auxquels ils peuvent être soumis.
Les moins contrôlés des paradis fiscaux (les Iles Caïmans et les Bermudes) engrangent toujours plus de dettes US depuis le 31 décembre 2021. Il faut bien recycler et blanchir l’aide financière US-OTAN accordée à l’Ukraine et détournée par ses dirigeants. De 333 milliards au 31 décembre dernier, les Iles Caïmans et les Bermudes entreposent désormais 384 milliards de dollars US dans leurs coffres. C’est une augmentation de 15,3% en 9 mois.
Trois autres paradis fiscaux, plus susceptibles d’être contrôlés car européens, et qui sont moins spécialisés dans la « cavalerie spéculative » et le blanchiment d’argent sale, se sont montrés beaucoup plus prudents. Il s’agit du Luxembourg, de la Suisse et de l’Irlande. A eux trois, ils engrangeaient 955 milliards de dollars de dettes US le 30 novembre 2021. 10 mois plus tard, ils ont réduit leur exposition à 842 milliards, soit une baisse de 113 milliards en 10 mois (-12%).
Ce qui reste de la dette US détenue par l’étranger (1 tiers environ) se répartit entre quelques dizaines de pays créanciers qui ont pour la plupart, réduit leur exposition. Les plus importants sont les suivants :
Chacun l’aura compris, au-delà du volet militaire du bras de fer en cours entre la Russie et l’occident global (US-OTAN-G7-UE) qui se joue sur le théâtre ukrainien, les volets économique et financier et la résilience sociale des deux parties pourraient bien déterminer le vainqueur comme ce fut le cas en 1990 lors de la guerre froide. L’effondrement de l’une des parties n’est pas à exclure.
Aujourd’hui, la Russie n’est pas isolée, loin s’en faut. Ses réseaux d’alliances se sont montrés solides et solidaires (BRICS, OCS, OTSC, OPEP). Les quatre premiers producteurs mondiaux de gaz qui contrôlent, avec la Russie, 73% des réserves de la planète et 43% de la production sont ses alliés ou amis (Iran, Venezuela, Algérie, Qatar). Elle contrôle, avec ses alliés ou amis l’OPEP et le FPEG (Forum des pays exportateurs de Gaz). Son économie fonctionne moins mal que la notre. Sa monnaie se porte mieux que les nôtres (dollar, euro). La capacité d’encaisse de sa population est incontestablement supérieure à celle des populations occidentales qui ne savent plus vivre sans assistance des États, déjà criblés de dettes. Sur le plan militaire, depuis le bombardement de Belgrade, la Russie a mis 23 ans pour restaurer son appareil de défense et préparer une confrontation qu’elle savait inéluctable. Nous y sommes.
En face, deux éléments faisaient la force du bloc occidental, un système financier créé par les occidentaux, pour les occidentaux et reposant sur un dollar imprimé sans mesure, et un système militaire intégré autrefois puissant : l’OTAN.
Ces deux éléments sont aujourd’hui en grande difficulté.
S’agissant des monnaies et des économies, elles s’affaiblissent avec une inflation qui grimpe en flèche et une pression sur la dette qui deviendront très bientôt insupportables et entraîneront des troubles sociaux dans la quasi-totalité des pays membres de l’OTAN. Le dollar ne fait plus rêver et ne fait plus recette. En témoigne la multiplication des échanges en monnaie nationale qui se mettent en place dans le camp de la multipolarité. Ce camp rejette désormais clairement l’hégémonie politique, économique et culturelle occidentale fondée sur l’extraterritorialité du droit états-uniens et la menace permanente de sanctions économiques pour tous ceux qui s’écarteraient des « règles » fixées par l’oncle Sam, règles qui ont une fâcheuse tendance à vouloir se substituer au « droit international ». Le vol par l’occident des avoirs iraniens, afghans et russes ont sapé la confiance que la communauté internationale (la vraie) pouvait avoir dans l’occident global, pour diriger le monde.
Sur le plan militaire, trente ans de désinvestissement en Europe de l’Ouest ont mis à bas la puissance des forces armées des 28 pays européens membre de l’OTAN. En Amérique du Nord, c’est le gaspillage des ressources accordées à la défense, gaspillage dans des conflits et des ingérences sans fin (Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Yemen) et dans la création et l’entretien de 800 bases réparties sur l’ensemble de la planète, qui est en cause. Consommant une trop large part des budgets, ce gaspillage n’a pas permis d’assurer la maintenance et la modernisation des matériels majeurs dans des conditions convenables. Par ailleurs, plusieurs dizaines de milliers de militaires, parmi les meilleurs parce que capables de se reconvertir, ont quitté les Armées US et canadiennes depuis 2021 pour des raisons liées à l’obligation vaccinale.
En clair, les économies et les monnaies occidentales sont malades de part et d’autres de l’Atlantique Nord, plus à l’Est (UE) qu’à l’Ouest (USA-Canada), et les forces armées ne sont pas prêtes pour entreprendre et gagner un conflit mondial de haute intensité classique, c’est à dire non nucléaire. Il faudrait des années d’efforts continus et de réinvestissement massif pour retrouver ce que l’occident a perdu au cours des trente dernières années : la suprématie militaire.
Dans l’état où se trouve nos économies (inflation, récession, monnaie et dettes), ces efforts de longue durée ne sont pas envisageables. La messe est dite.
Dominique Delawarde
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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