Une maman de Vaudreuil qui consultait un dermatologue pour son fils de 3 ans est sortie du bureau après quelques minutes, car le médecin et elle n’arrivaient pas à se comprendre.
« Il a regardé vite vite, me parlant juste en anglais, et il m’a donné un papier que je ne comprenais pas […]. Ç’a duré cinq minutes parce qu’il ne comprenait pas ce que je lui disais, et moi je ne comprenais pas ce que lui me disait », déplore Alexandra Daoust-Laniel.
COURTOISIE
Son fils Raphaël avait de petits boutons à la suite d’une bactérie vraisemblablement contractée à la garderie.
Elle avait obtenu le rendez-vous dans la clinique en français. C’est seulement sur les lieux qu’on lui a dit que le médecin était unilingue anglophone.
« On ne m’a jamais informée quand j’ai pris le rendez-vous. Je m’attendais à ce que ce soit en français et je me sentais mal de ne pas être capable [de me faire comprendre], je me sentais incompétente », confie-t-elle.
Elle s’est néanmoins rendue à la pharmacie avec la prescription reçue. Mais une autre mauvaise surprise l’attendait, car le médicament prescrit était déconseillé aux enfants de moins de 8 ans. Son fils n’a que 3 ans.
Heureusement, le CHU Sainte-Justine l’a finalement contactée la semaine suivante.
Par courriel, la Clinique de la Cité Vaudreuil soutient que le dermatologue n’a pratiqué que deux mois dans l’établissement. Même si la patiente a été incapable de se faire servir en français, la Clinique prétend que le médecin parle et comprend cette langue, en plus d’avoir étudié au Québec.
Une jeune maman de Saint-Zotique, qui venait tout juste d’accoucher à l’Hôpital du Lakeshore de Montréal, a dû se fier à la traduction de son conjoint pour comprendre l’état de santé de son garçon, né avec un seul rein.
« Moi, je ne comprends rien, je ne suis pas bilingue, lance Karolane Therrien. Mon chum faisait la traduction avec les infirmières, les spécialistes, j’étais toute mélangée… »
Lors de son accouchement du 7 juillet dernier, le gynécologue qui l’a accompagnée parlait français. Mais le petit Logan est né avec un seul rein, ce qui a nécessité un suivi serré.
« La pédiatre ne parlait qu’anglais, les infirmières ne parlaient qu’anglais », se souvient-elle. On lui parlait alors de prises de sang et d’une sonde qui serait installée. Et c’est son conjoint qui servait de « messager ».
« Une chance qu’il parle très bien anglais. Mais j’ai dû rappeler au CLSC pour parler à des infirmières en français », poursuit-elle.
Si c’était à refaire, elle irait accoucher ailleurs. « On était super déçus, on a même eu son carnet de santé en anglais », dit la jeune maman.
Une femme dont la mère a été hospitalisée à l’Institut-hôpital neurologique de Montréal déplore le fait qu’elle a vécu ses derniers jours dans un environnement anglophone.
« Une chance que j’étais là », rage Véronique Gauthier, dont la mère de 58 ans a fait une rupture d’anévrisme. Elle regrette que sa mère, aujourd’hui décédée, ait passé son dernier mois de vie dans un environnement anglais, une langue qu’elle ne connaît pas.
« Je sais bien qu’elle était inconsciente la plupart du temps, mais c’est important qu’une personne francophone reçoive des soins dans sa langue », plaide-t-elle.
Et c’était aussi difficile pour ses proches, à qui Mme Gauthier devait constamment servir d’interprète.
Elle a remarqué que tout le monde parlait en anglais sur l’unité ; même une infirmière avec un gros accent francophone s’adressait en anglais à ses collègues.
Et même si elle a été témoin du manque criant de personnel dans les établissements de santé, elle ne croit pas que cela signifie qu’il « faut sabrer dans la langue et les services en français ».
Elle n’a pas porté plainte, craignant des représailles. « Tu n’oses pas, car ton proche reçoit des soins », souligne-t-elle, ajoutant qu’elle devra elle aussi être suivie par la même équipe.
Une Montréalaise qui a souvent fréquenté le Centre hospitalier de St. Mary a souvent le sentiment de déranger lorsqu’elle demande des soins en français.
« On a l’impression, quand on revendique quelque chose en français, qu’on n’est pas accommodants », laisse tomber Lilianne Paquette-Lin, âgée de 39 ans.
Le St. Mary est l’hôpital le plus proche de chez elle, alors qu’elle habite dans le quartier Côte-des-Neiges. C’est pourquoi, la plupart du temps, elle s’y rend pour ses rendez-vous.
« On a beaucoup de difficulté à avoir des soins en français », remarque-t-elle. Ou même lorsque la consultation a lieu en français – comme c’était récemment le cas avec sa mère –, les papiers médicaux restent en anglais.
« Il faut le demander, premièrement. Les papiers sont tout le temps en anglais », poursuit-elle. Elle ne compte plus le nombre de fois où un médecin ou encore un résident ne pouvait pas lui parler en français, un autre employé devant alors traduire.
Elle admet que ce n’est qu’une impression ; jamais un professionnel de l’hôpital ne lui a fait un reproche, mais elle ressent des soupirs ou des roulements des yeux quand elle demande d’être servie en français.
« Je parle anglais, mais quand tu es malade, tu n’as pas nécessairement la capacité de bien expliquer tes symptômes et tu veux avoir le bon diagnostic », plaide-t-elle.
Une mère de la Rive-Sud reste étonnée de voir à quel point l’anglais est la langue « prioritaire » après plusieurs visites à l’Hôpital de Montréal pour enfants.
« J’ai été surprise à quel point l’anglais était prioritaire », lance Annie Rouleau, qui fréquente cet hôpital depuis quelques mois pour des suivis en orthopédie avec son fils adolescent, Samuel, victime d’un accident de scooter.
« Il ne comprend rien, c’est moi qui traduis la plupart du temps […]. Sinon, quand je demandais le service en français, une personne était là pour traduire », explique la mère de 44 ans.
Pour cette résidente de Saint-Amable, il est évident que les médecins « ne pratiquent pas » le français, qu’ils ont peut-être dû apprendre pour obtenir leur permis de pratique.
Elle a réalisé que l’anglais était la langue d’usage après avoir échangé en français avec un médecin suisse, qui a néanmoins rédigé son rapport en anglais avant de le lui remettre, dit-elle.
Avec la pénurie de main-d’œuvre, elle déplore le fait que le médecin ne parlant pas français doive être accompagné d’une infirmière ou d’une physiothérapeute, par exemple, pour traduire, alors que ces professionnelles pourraient être occupées ailleurs.
Une mère de Montréal a craint que les douleurs de son fils souffrant d’une appendicite soient mal comprises par une médecin anglophone à l’Hôpital de Montréal pour enfants, qui proposait de les renvoyer à la maison.
« J’avais l’impression, et je ne sais pas si je ne m’étais pas bien exprimée, mais [que la médecin] ne comprenait pas l’intensité de la douleur [de mon fils] ; je ne sais pas si c’est la barrière linguistique », raconte Chloé Caravela, dont le fils Nassim a 4 ans.
Ce n’est qu’après avoir insisté pour des examens, un changement de quart et l’arrivée d’un urgentologue francophone, qu’ils ont découvert un appendice perforé nécessitant une chirurgie et cinq jours d’hospitalisation, à l’été 2021.
Mme Caravela s’estime bilingue, mais le « domaine médical, ce n’est pas un jargon de la vie de tous les jours », dit-elle. Et son fils n’a qu’une connaissance limitée de l’anglais.
Elle souligne que devant une médecin ne disant même pas « bonjour » en français, son fils est devenu timide. Il ne hurlait plus de douleur comme à la maison non plus.
Mme Caravela tentait d’expliquer que son fils était fiévreux, qu’il avait vomi et qu’elle craignait une appendicite, mais le traitement se limitait à des Tylenol.
Alors qu’on lui suggérait de rentrer à la maison, lui disant que les maux de ventre passeraient, elle a insisté pour plus de tests. Il a alors subi un test sanguin et une échographie, qui ont révélé l’étendue de ses maux.
Puis, un médecin francophone est arrivé. « Pour moi, ça a été beaucoup plus simple de m’exprimer », se souvient-elle.
Mieux servie en Ontario
Une mère de famille déplore le fait que son fils de 13 ans ait dû traduire les propos du médecin anglophone, puisque personne ne pouvait les aider, à l’Hôpital de Montréal pour enfants.
« Je suis venue ici avec un enfant et je n’étais pas capable d’être servie en français dans ma propre province », déplore Cynthia Claude, à propos d’un événement survenu l’an dernier.
« Je ne veux plus rien savoir de cet hôpital, je vais aller à Sainte-Justine », dit-elle.
Après s’être cassé un doigt, le fils de 13 ans de Mme Claude a été vu par un orthopédiste. Or, la mère regrette que ce dernier ait refusé de lui parler en français, et qu’il n’ait fait aucun effort pour aller chercher un autre employé qui pouvait traduire.
« Je ne parle pas anglais, je ne comprenais rien ! dit-elle. Et il s’en foutait totalement. Mon fils traduisait comme il pouvait. »
Lors d’un suivi trois semaines plus tard, une autre employée était présente pour traduire les propos du médecin. Résidente de Coteau-du-Lac, la mère préfère désormais aller en Ontario, où elle dit être mieux servie en français.
« Même les médecins me parlent français là-bas, et on passe pas mal plus vite ! », constate-t-elle.
Amputée, elle traduit pour son père
Un père de l’Estrie se désole que sa fille de 18 ans, luttant contre un rare cancer, devait traduire les propos des médecins lors d’une hospitalisation à l’Hôpital général de Montréal cet été.
COURTOISIE
« C’est inhumain », dit avec colère Éric Pruneau, âgé de 48 ans, à propos de sa fille Emmy. Atteinte d’un sarcome – cancer des tissus mous –, elle a dû se faire amputer le bras gauche.
« Tous les résidents, c’était en anglais », a remarqué d’emblée M. Pruneau. Il salue l’excellent travail de nombreux chirurgiens et autres spécialistes, qui parlaient souvent en français. Mais pour les suivis quotidiens ou les comptes-rendus des examens, ce sont les résidents qui allaient voir la famille, et ce, dans la langue de Shakespeare.
« [Le français], ce n’est pas de facto, il faut lever la main. Si on ne dit rien, ça va être en anglais […], il faut chialer », déplore-t-il. Et pour éviter des tensions, sa fille acceptait de traduire pour toute la famille.
Il s’est aussi aperçu que les soins reçus d’infirmières ou de préposés étaient plus humains si ces employés parlaient français. « C’était le jour et la nuit, dit-il. Si la personne ne parlait qu’anglais, c’était expéditif, pas de proximité. »
Un Montréalais de 32 ans n’en revenait pas d’avoir été servi en anglais, de la réception au médecin, lors de sa plus récente visite à l’Hôpital général juif.
Dès son arrivée à l’entrée, Vincent Brillant s’est fait demander, en anglais, de laver ses mains. Il a ensuite répondu en français qu’il cherchait la dermatologie, et la réponse est encore une fois venue en anglais.
À la réception, il a de nouveau été accueilli en anglais. Mais il a poussé un soupir de soulagement quand la médecin qui a appelé son nom avait un accent francophone.
« Je me suis dit OK, ça va bien aller », se rappelle-t-il. Devant lui, la médecin lui a demandé : « English or French ? » « Une formulation assez bizarre, quand on y pense deux secondes », rigole-t-il.
Il a été dirigé dans un bureau où une autre médecin en résidence de l’Université McGill l’attendait. Encore une fois, elle lui pose la même question.
« Je lui ai aussi dit “français”, et c’est là que je vois dans son visage comme un moment de stress. On aurait dit que je la prenais vraiment au dépourvu », raconte l’homme de 32 ans.
On lui a demandé de procéder en anglais, ce qu’il a refusé, pour éviter tout malentendu. La première médecin parlant français a donc joué l’interprète avec la résidente anglophone.
« Moi, je parlais, sa collègue traduisait, l’autre [médecin] répondait en anglais et sa collègue traduisait », décrit M. Brillant.
« Je n’en revenais pas que ça se passe de cette manière-là dans un édifice de santé publique […]. J’étais estomaqué », souffle-t-il.
Une patiente de l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval, trouve déplorable que le formulaire de plainte soit uniquement disponible en anglais, en août dernier.
Catherine Messier dit avoir exigé la version française, mais sa demande a été refusée.
« On m’a dit que c’est tout ce qu’il restait, et que même si je n’étais pas contente, ils n’avaient pas le temps », déplore la patiente.
« Ça n’a pas d’allure, ils ne respectent pas la loi ! », ajoute Mme Messier.
Finalement, elle n’a pas déposé de plainte.
« J’ai attendu 20 minutes, juste pour avoir un document en anglais. Ça m’a découragée. »
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