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par Alexandre Lemoine.
La tendance actuelle dans la politique turque sur le dossier syrien visant à élargir les contacts avec Damas se limite pour le moment au dialogue entre les chefs de renseignements. Bien qu’il soit déjà question de rencontres éventuelles entre les ministres des Affaires étrangères, voire les présidents des deux pays.
C’est Ankara qui est l’instigateur dans ce processus.
Le 19 août, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré de nouveau qu’il ne fallait « en aucun cas rompre la diplomatie » avec Damas et qu’il était nécessaire de « garantir la poursuite des démarches dans les relations avec la Syrie ». Alors qu’une source turque haut placée de l’agence iranienne Tasnim, qui a souhaité garder l’anonymat, a annoncé que la Turquie était résolue à rétablir les relations, et l’opposition syrienne devra s’y résigner.
De son côté, la Syrie se dit également prête à rétablir les relations, mais avance des conditions préalables intransigeantes : Ankara doit retirer toutes ses troupes du nord du pays et cesser de soutenir les groupes terroristes sur le territoire syrien.
Certes, les autorités turques n’accepteront pas des ultimatums, mais la recherche d’un compromis réel doit commencer tôt ou tard. Au moins parce que ni Damas ni Ankara ne tolèrent la structure étatique kurde dans le nord-est de la Syrie. D’autant que le commandement du corps expéditionnaire turc est loin de contrôler les combattants sur les territoires occupés, et leurs attaques provoquent parfois des affrontements entre des militaires turcs et syriens, alors qu’en Turquie même grandit le mécontentement provoqué par la présence de millions de réfugiés du pays voisin.
Si Washington perçoit les discussions sur un rapprochement turco-syrien hypothétique comme une menace indirecte pour les intérêts américains dans la région, pour Ankara il s’agit d’un autre moyen d’afficher son indépendance dans les relations avec les alliés occidentaux. Ainsi que faire une révérence en direction de Moscou.
Or de telles révérences, directes ou voilées, sont devenues plus fréquentes dernièrement. Parmi les cas récents il est possible de citer le blocage de facto de l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN et, ce qui est encore plus important pour la Russie aujourd’hui, la position turque par rapport à l’opération militaire spéciale en Ukraine.
Le gouvernement turc a appelé plusieurs fois les partenaires occidentaux à essayer de comprendre les motivations des actions de la Russie. Dans une récente interview à la chaîne américaine PBS, le président turc a constaté que son homologue russe « place les intérêts de son pays en priorité » et s’est prononcé pour la poursuite d’un dialogue aussi bien avec Kiev qu’avec Moscou.
Le porte-parole du président turc Ibrahim Kalin, à son tour, a qualifié les actions de la Russie en Ukraine comme « méritant d’être condamnées », mais a souligné que ce n’était pas « un hasard », car elles résultent d’un « ordre mondial incorrect » avec les États-Unis en tête.
Le refus d’Ankara d’adhérer aux sanctions antirusses a provoqué un mécontentement à part de ses alliés occidentaux. Dans son dernier rapport sur la Turquie (7 juin 2022), le Parlement européen a exigé du partenaire récalcitrant de revoir sa position par rapport à la Russie, aux autorités et aux oligarques russes, ainsi que de cesser d’être un « refuge pour les capitaux et les investissements russes ». Le ministre turc des Finances Nureddin Nebati s’est empressé de rassurer les hommes d’affaires turcs en disant qu’ils ne doivent pas craindre des restrictions éventuelles des États-Unis à cause du travail avec des clients russes. Ce qui ne semble pas être des paroles de l’air, car il n’est pas de coutume en Turquie de renoncer à la possibilité de gagner de l’argent.
Et l’apothéose de la démonstration de l’autonomie d’Ankara en politique étrangère a été la déclaration de Recep Tayyip Erdogan concernant la volonté de son pays d’adhérer à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), considérée en Occident comme une coalition concurrente, voire un antagoniste de l’OTAN. En répondant aux critiques des alliés européens à cet égard, le président turc a souligné qu’il n’était pas subordonné à l’UE dans ses actes.
Et quelques jours plus tard, il a déclaré : « Des changements paradigmatiques ont eu lieu dans nos relations avec l’Asie ».
Difficile à dire dans quelle mesure le président turc était sincère en parlant de changement de paradigme, car les zigzags de la politique étrangère de la Turquie n’étonnent plus personne.
On pourrait néanmoins supposer que l’éloignement actuel par rapport à l’Occident acquiert un caractère long et durable. Des élections présidentielle et législatives sont attendues en Turque en été 2023. La lutte politique s’intensifie et, d’après les sondages, les positions « de départ » du dirigeant turc et du parti au pouvoir laissent à désirer. D’autant qu’il ne fait aucun doute que l’Occident s’efforcera d’aider l’opposition plus docile et proche d’esprit. Par conséquent, M. Erdogan doit montrer aux électeurs une Turquie complètement indépendante et des partenaires forts en politique étrangère.
Moscou soutient cet éloignement en affichant une attitude démonstrativement respectueuse envers les autorités turques actuelles, les aidant à renforcer leur autorité internationale en tant que principal médiateur dans le conflit ukrainien, n’empêchant pas la Turquie d’accroître sa présence dans le Caucase du Sud et en Asie centrale.
source : Observateur Continental
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