Ainsi, de l’Orient à l’Occident, les nations les plus puissantes, les mieux armées et les plus belliqueuses se succédaient et s’emboîtaient comme les dents d’un engrenage : monstrueux engrenage d’une monstrueuse machine dont le nom était « guerre ».
Ces mots de Quinzinzinzili, livre précurseur de science fiction post-apocalyptique paru en 1935 et bien oublié de nos jours, décrivent l’engrenage infernal qui mène invariablement à tout conflit d’ampleur. Il n’y a rien de bien original à dire que la guerre actuelle en Ukraine risque de connaître le même développement, plusieurs observateurs l’ont déjà fait. Mais cette dernière semaine de septembre franchit plusieurs crans d’un coup…
Beaucoup a été dit sur le sabotage du Nord Stream mais peut-être pas le plus important. Dangereux précédent, c’est la première fois que le conflit ukrainien déborde du territoire concerné. Jusqu’ici, malgré les bisbilles en mer Noire, l’implication biélorusse, les tensions moldavo-transdnistriennes ou les bombardements à proximité de la frontière polonaise, le conflit était resté circonscrit au théâtre ukrainien stricto sensu.
Ce n’est plus le cas. Quelqu’un a visiblement décidé de ne plus prendre de gants et de porter la guerre à une nouvelle échelle, industrielle si l’on peut dire.
Certes, ce n’est pas la première fois que le fond sous-marin est touché par une opération militaire. En 1898 déjà, lors de la guerre hispano-américaine, les États-uniens détruisirent les câbles télégraphiques autour des Philippines et de Cuba pour couper les communications des forces espagnoles.
Mais l’attaque sur le Nord Stream, par son côté spectaculaire et irrémissible, semble constituer un événement fondateur, comme le sera peut-être demain la guerre dans l’espace. La « fenêtre d’Overton », de ce conflit et des autres à venir, vient d’être élargie dans des proportions considérables et il sera bien difficile de la refermer.
Déjà les esprits commencent à s’affoler, conscients que 99% du réseau internet et 10 000 milliards de dollars de transactions financières quotidiennes transitent par les câbles sous-marins, ossature incontournable mais fragile des télécommunications mondiales.
Dans notre monde interconnecté et multimodal, une guerre où tous les coups sont permis peut vite mener à la conflagration générale et toucher de manière inédite à peu près tous les aspects de la vie des peuples et des pays.
A ce titre, le sabotage du Nord Stream marquera sans doute un avant et un après. Certains diront que c’était écrit, qu’après tant de coups de théâtre, le destin extravagant de ce pipeline ne pouvait que se terminer ainsi, symbole par sa fin d’une ère nouvelle.
Le fidèle lecteur de nos Chroniques connaît presque par cœur l’existence abracadabrante du gazoduc, que nous résumions encore l’année dernière :
Oubliez Dallas et son univers impitoyable, la réalité est encore bien plus rocambolesque, et les créateurs de la telenovela texane doivent regarder avec envie le champ de possibilités scénaristiques qu’offre le Grand jeu énergétique.
A tout seigneur, tout honneur, le Nord Stream II n’arrête plus de fasciner le monde en général et les amateurs de thriller en particulier. On croyait avoir tout vu : drone sous-marin bourré d’explosifs, batailles juridiques homériques, farces empoisonnées à répétition (2018 et 2020), fondations écologico-gazières (!) qui s’en mêlent, déchirement de l’OTAN, atomisation de la classe politique allemande, sanctions d’un tel byzantinisme que même leur promoteur commence à s’y perdre, exercices navals menaçants, permis maritimes fantômes…
Mais la tragi-comédie baltique ne s’arrête jamais et nous avons assisté à une nouvelle péripétie digne d’un opéra bouffe. Varsovie vient en effet de piquer une crise de nerfs et a lancé une enquête sur deux bateaux allemands participant aux travaux. Détail absolument croustillant et qui ravira les amateurs de vaudeville, ces bâtiments sont enregistrés… en Pologne !
Rarement dans l’histoire aura-t-on autant parlé d’un bout de ferraille. Sera-t-il au centre du discours très attendu de Poutine cet après-midi ? Une intervention qui, si l’on en croit les rumeurs, pourrait marquer un tournant dans cette guerre et peut-être plus généralement dans l’affrontement entre la Russie et le système impérial américain. Zelensky ne va d’ailleurs pas en rater une miette, lui qui va réunir en urgence son Conseil national de la sécurité.
Ce que l’on sait : Vladimirovitch va célébrer l’annexion des régions ukrainiennes conquises qui seront, c’est l’info importante, placées sous la pax atomica de Moscou. Et là, les choses risquent assez rapidement de partir en vrilles étant donné que les Ukrainiens n’auront aucune raison de renoncer à leur territoire ni les Russes de renoncer à mettre leurs menaces à exécution. On comprend aisément où cet engrenage pourrait mener…
Pour le reste, tout est possible. D’aucuns pensent que Poutine s’arrêtera là et proposera la fin des hostilités. Ce serait une cuisante défaite pour lui au vu des objectifs de départ – neutralisation, démilitarisation, dénazification – et même avec la meilleure communication du monde, on ne voit pas qui le Kremlin pourrait convaincre en prétendant que le but de la guerre n’était finalement que l’annexion de quelques arpents méridionaux de l’Ukraine (d’autant qu’ils sont occupés depuis cinq mois déjà).
Le contexte porte au contraire à l’escalade. Mais laquelle ? Sur le terrain, l’armée russe continue de patiner dans la semoule et est même sur le point de perdre le nœud stratégique de Lyman. Combattre les Ukrainiens, parfaitement renseignés par les satellites US et dirigés par l’OTAN, revient à remplir le tonneau des Danaïdes.
Poutine a paru se complaire dans ce rôle ces derniers mois mais à Moscou, chacun commence à comprendre que le seul moyen de débloquer la situation est de s’en prendre directement aux parrains de Kiev. Réponse dans quelques heures…
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