Il y a urgence, dit-on. Et si c’était pire encore… Tout le monde qui suit un tant soit peu l’actualité le sait désormais : nous faisons face à une grave et terrible pénurie d’enseignantes et d’enseignants. J’en ai déjà parlé dans ces pages. Mais si j’y reviens cette semaine, c’est parce que l’actualité ne m’en donne guère le choix. Car il semble bien, hélas, que cette situation déjà dramatique risque de ne pas aller en s’améliorant.
Cette semaine, on rapportait en effet qu’une récente étude de Maurice Tardif, directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), estime qu’entre 27 000 et 32 000 enseignants du réseau public prendront leur retraite d’ici 2030, soit, pense-t-on, quelque 40 % des enseignants et enseignantes ayant la permanence dans ce réseau.
Ces chiffres sont sans doute à prendre avec prudence. Mais il faut aussi, pour correctement estimer la gravité de la situation, prendre en compte le fait qu’on sous-estime souvent le nombre d’élèves dans le système scolaire et aussi qu’on ne prend ici en considération ni les nouvelles classes de maternelle ni le réseau privé.
Il y a pire encore. Car pour correctement juger de tout cela, il faut aussi prendre en considération la capacité de notre système de formation des maîtres à pourvoir les postes qui deviennent vacants. Or, selon des études récentes (mais cela reste à confirmer pour l’ensemble des universités et des régions), il se pourrait que sur 100 personnes qui commencent à étudier pour aller enseigner au préscolaire, primaire ou secondaire, il y ait un taux d’abandon de 40 % à 50 %. Et ce n’est pas fini : de ce nombre, on aurait, lors des cinq premières années, un taux de désertion professionnelle (autrement dit, de gens qui quitteraient l’enseignement) allant de 30 à 50 %. Tout cela, si ce n’était que vrai de manière générale, serait quelque chose de gravissime.
Ce qui précède dessine, je ne crains pas de le dire à nouveau, une urgence nationale.
Certes, et c’est tant mieux, on imagine déjà — et on va continuer de le faire au cours des prochaines années — des solutions ponctuelles et provisoires pour pallier ce drame. Il y en a. Mais elles restent provisoires et ponctuelles, et nous devons nous attaquer à ce qui cause cette terrible situation.
Pour cela, il faut savoir ce qui se passe dans la formation des enseignants. Combien commencent et terminent leur parcours ? Combien partent ? Et pourquoi ? Les facultés d’éducation font-elles correctement leur travail, en particulier si on l’évalue à l’aulne des données probantes qui doivent être enseignées ? Avaient-elles prévu cette pénurie, comme on devrait s’attendre à ce qu’elles l’aient fait ? Comment y ont-elles réagi ? Et que valent les mesures alors mises en place ?
L’éducation et ce que nous en attendons
Mais il nous faut aussi travailler, très fort, à la reconnaissance et à la valorisation de la profession.
Cela passe par des gestes concrets, comme accorder de meilleurs salaires aux enseignants (il faut applaudir à la récente bonification et aller plus loin en ce sens), mettre en place de meilleures conditions de travail, et d’autres mesures semblables.
Mais cela passe aussi — et au moins autant — par une valorisation collective de l’éducation elle-même.
L’éducation, c’est du moins mon point de vue, n’est pas qu’un instrument permettant de monter plus haut dans l’échelle des métiers, des professions et des salaires. Elle est aussi — et même surtout — l’outil d’émancipation individuelle et collective par excellence, le lieu de la préservation d’une culture, d’une langue. Et c’est également, voire d’abord, pour ces raisons qu’on devrait la valoriser, la financer et respecter en les admirant les personnes qui y consacrent leur vie. Envisagée ainsi, sa mise en oeuvre nous pose des problèmes et des défis éthiques et politiques incontournables.
Mais ce point de vue qui est le mien est-il partagé ? Par le plus grand nombre ? Ce que cela implique est-il voulu par la majorité des gens ? Si c’est le cas, voulons-nous vraiment un réseau d’éducation à trois vitesses comme celui que nous avons ? Comment pensons-nous collectivement notre idéal d’éducation en relation avec notre idéal de justice sociale et d’égalité des chances ?
C’est aussi en répondant à de difficiles questions comme celles-là (et à bien d’autres, tout aussi difficiles) que collectivement, nous déciderons ce que nous mettons en oeuvre en éducation. Ce qui impliquera nécessairement de décider comment nous formons les enseignantes et les enseignants, ceux que Bertrand Russell appelait avec raison les gardiens de la civilisation, et pourquoi et comment nous en prenons soin.
La situation exige de nous des actions importantes et immédiates. Parmi elles, et je sais que je me répète : lancer une commission Parent 2.0.
Appel à tous
Je tiens l’enseignement pour un magnifique métier, peut-être même le plus beau de tous. C’est un métier difficile, mais il apporte parfois à qui l’exerce des joies immenses. Je me désole donc beaucoup de devoir souvent en parler dans les termes qui précèdent. C’est pourquoi j’aimerais vous lire sur les bonheurs, petits ou grands, que vous avez connus dans l’exercice de votre profession d’enseignant ou vécus comme élève ou étudiant. Écrivez-moi pour m’en raconter (à l’adresse baillargeon.normand@uqam.ca) et j’en parlerai dans mes prochaines chroniques. Merci d’avance ! Anonymat garanti, si vous le souhaitez.
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