Nous terminions l’avant-dernier billet par une allusion sur la guerre du Pacifique et ça ne pouvait pas être plus approprié. Il s’est en effet passé des choses intéressantes la semaine dernière, lors de la commémoration du 80e anniversaire du début de la bataille de Guadalcanal.
Mais avant d’y venir, faisons un petit retour en arrière sur le bras-de-fer sino-américain dans le grand océan, notamment autour des îles Salomon, dont l’île principale est justement Guadalcanal. Il est important de bien garder en tête tout ce que nous écrivions en mars :
Le Grand jeu pacifique continue de plus belle. Au début de l’année, la méga explosion d’un volcan sous-marin au large des Tonga a permis à Pékin de lancer un signal qui n’est pas passé inaperçu. En organisant une grande opération humanitaire à des milliers de kilomètres de chez elle, l’armée chinoise a réalisé une démonstration de force qui a fait sonner quelques alarmes du côté de Washington. Blinken s’est cru obligé de s’envoler rapidement pour aller « rassurer » les alliés US dans la région.
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L’Australie comme les États-Unis craignent plus que tout l’implantation, à terme, d’une base militaire chinoise dans le Pacifique. En décembre dernier, suite à des manifestations, la Chine a déjà envoyé des policiers instructeurs et du matériel anti-émeutes aux îles Salomon, 712 000 habitants. Cet archipel a reconnu diplomatiquement la Chine, laissant tomber Taïwan en 2019, en même temps que Kiribati (118 000 habitants) .
Les Fidji (895 000 habitants), alliés de Pékin, ont été les premiers dans le Pacifique à reconnaître diplomatiquement la Chine en 1975 qui leur fournit du matériel militaire depuis 2018. Enfin, après l’éruption récente d’un volcan sur une île de l’archipel des Tonga (99 000 habitants), la Chine a montré sa capacité de projection en envoyant rapidement une aide humanitaire par avion et bateaux militaires. Cette influence chinoise grandissante est plus que jamais le défi majeur du Quad.
Et c’est justement des îles Salomon que nous vient la dernière onde de choc. Il y a quelques jours a été divulgué un projet d’accord de sécurité entre l’archipel et Pékin, « de large portée » et contenant « plusieurs dispositions ambiguës et potentiellement ambitieuses sur le plan géopolitique ».
Panique en Australie, shériff océanien de l’oncle Sam, où certains voient déjà les Chinois installer des bases aux Salomon et appellent carrément à envahir l’archipel afin d’éviter « notre crise cubaine des missiles à nous »
[…] Moins alarmistes mais tout aussi préoccupés, d’autres imaginent le dragon installer aux Salomon des mines, des systèmes défensifs et de détection pour perturber les routes maritimes américaines en cas de conflit. Et chacun de rouvrir les vieux livres sur les opérations de la guerre du Pacifique, de consulter les cartes sur la fameuse bataille de la mer de Corail.
Si, à la lecture des termes du projet d’accord – dont la fuite a visiblement été organisée par la faction pro-taïwanaise de l’île – la menace chinoise a en réalité peut-être été exagérée, un envoyé spécial australien s’est tout de même immédiatement envolé à destination de l’exotique Honiara pour tenter d’amadouer le premier ministre salomonien en promettant monts et merveilles.
Avec un résultat mi-figue mi-raisin si l’on en croit le communiqué du gouvernement qui se déclare, avec une belle dose d’ambiguïté, « ami de tous et ennemi de personne », mais qui refuse de remettre en question ses liens avec Pékin et continue de susciter la méfiance de Canberra.
Depuis, la grande tournée du ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi fin mai dans la région s’est terminée en eau de boudin. Voulant trop, tout de suite, Pékin a proposé de manière un peu cavalière un accord clé-en-main de coopération générale et multi-vectorielle à dix nations du Pacifique. Non consultées au préalable et un peu effrayées, celles-ci ont rejeté la proposition.
Un revers pour le dragon qui a peut-être péché par orgueil et impatience. Tout rugbyman le sait : l’îlien est fier et ombrageux, il vaut mieux éviter de le braquer sous peine de voir le résultat inverse de celui escompté. D’ailleurs, ne voit-on pas le demi fidjien ouvrir maintenant vers les trois-quarts américains ?
Pékin n’a cependant pas tout perdu, loin s’en faut. Malgré cet échec diplomatique, son poids économique dans les différents archipels ne cesse de croître, des Kiribati aux Salomon. Là, l’entregent chinois est plus prégnant que jamais et vise aussi à gagner les cœurs et les âmes, avec notamment la construction d’un stade pour les Jeux du Pacifique de l’année prochaine.
Et nous en arrivons à Guadalcanal. Comme vu plus haut, la politique salomonienne est extrêmement polarisée, le Premier ministre Sogavare succombant aux charmes pékinois tandis que son opposition penche résolument du côté de Taïwan, donc en réalité de Washington.
Les commémorations de la victoire alliée ont vu Sogavare briller par son absence tandis que les leaders d’opposition étaient présents en force. Ils en ont profité pour échanger avec la numéro deux des Affaires étrangères US afin de « discuter des opportunités pour renforcer les liens de personne à personne entre les États-Unis et les îles Salomon ».
Hum. A tout hasard, votre serviteur a cherché la traduction de révolution de couleur en mélanésien mais il se trouve que la langue officielle de l’archipel est l’anglais, simplifiant encore les choses. Ce qui, somme toute, est assez logique pour une monarchie constitutionnelle dont le chef d’État nominal n’est autre que la reine Elizabeth II.
Un Premier ministre un brin rebelle, pris entre une opposition pro-impériale et le gouverneur de Sa gracieuse majesté dont la neutralité relève parfois plus de la théorie que de la pratique. Ca ne vous rappelle rien ? Tsss tsss, welcome to 1975 Australia.
A suivre…
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