« Notre conseil municipal (je suis Gatinois) a démoli à lui seul un pan entier de la loi 101 en portant jusqu’à la Cour suprême du Canada son droit (confirmé d’ailleurs) de déterminer elle-même la nécessité de l’anglais dans la fonction publique municipale »
Gatineau, quatrième ville du Québec, s’anglicise à vue d’oeil. N’importe quel résident le constatera s’il ouvre ses yeux et ses oreilles. Ceux et celles qui préfèrent des preuves plus scientifiques n’ont qu’à consulter les données linguistiques implacables des recensements fédéraux.
Dans un texte récent, le quotidien La Presse (bit.ly/3P5GNJF) évoquait l’arrivée massive d’Ontariens, unilingues anglophones pour la plupart, en territoire gatinois. Attirés par les prix plus modestes des maisons et autres avantages bien québécois, ils s’installent à Gatineau comme s’ils étaient toujours en Ontario, en banlieue de la national capital…
Mais surtout n’en parlez pas. Le caractère français de la ville de Gatineau, pourtant consacré par la Loi 101, et son déclin sont des sujets tabous. Les francophones d’ici ont des générations d’empreintes de bottes anglaises dans le derrière, et peinent à se défendre même quand ils ont la majorité. Les autorités municipales? Quand elles ne nuisent pas, elles brillent par leur absence…
Alors nous assistons, impuissants, à l’érosion de la langue française dans de nombreux quartiers de la ville. Ayant soumis le texte de La Presse sur Twitter en y ajoutant un commentaire à l’effet que la Ville ne fait rien pour protéger le français, un internaute a posé la question qui tue:
Excellent commentaire, M. Tremblay. En effet, les gens sont libres de s’installer où ils veulent. Mais quand ils sont arrivés «où ils veulent», ils ne sont plus où ils étaient. Ils sont désormais au Québec. Ils doivent changer leurs plaques d’immatriculation, payer leurs impôts ailleurs. Ils ont aussi emménagé sur un territoire où la français est la seule langue officielle et commune. Cela doit signifier quelque chose, quelque part, même à Gatineau.
Le gouvernement québécois fanfaronne avec sa Loi 96, censée bonifier la Charte de la langue française, mais frappe un mur quand il sonne à la porte de Gatineau. Notre conseil municipal (je suis Gatinois) a démoli à lui seul un pan entier de la Loi 101 en portant jusqu’à la Cour suprême du Canada son droit (confirmé d’ailleurs) de déterminer elle-même la nécessité de l’anglais dans la fonction publique municipale.
Le vaste projet immobilier Ontario-Québec «Zibi» est en voie d’effacer les frontières «provinciales» au pont des Chaudières sous les yeux en signes de piastres de nos édiles. La maire actuelle de Gatineau, France Bélisle, est même favorable à mettre sous juridiction fédérale une partie riveraine du centre-ville gatinois.
Pendant ce temps, les autorités municipales ne peuvent ignorer que l’anglais fait des gains dans 15 des 21 quartiers de la ville (selon le recensement 2011) et que dans certains coins plus anglophones de Gatineau, ce sont les francophones qui se font assimiler. Comment cela finira-t-il? On en saura un peu plus le 17 août quand les données linguistiques du recensement de 2021 deviendront disponibles.
Certains auraient avantage à revisiter les événements qui ont causé l’ethnocide des Franco-Ontariens dans la Basse-Ville d’Ottawa dans les années 1970. Sous la bannière de la rénovation urbaine, la très anglophone Ville d’Ottawa a détruit le tissu linguistique et culturel de la principale collectivité francophone de la capitale. Quand le Comité de citoyens de la Basse-Ville a crié SOS il était trop tard. La proportion de francophones y est passée de 80% à 20% en une génération…
Bien sûr on rétorquera que cela se passait en Ontario et que les francophones n’avaient aucun pouvoir politique. Ils étaient condamnés à subir. Mais la question aurait été la même. Qu’aurait pu faire la ville, en supposant qu’elle fut francophile? Les gens peuvent s’installer où ils le veulent, à Ottawa aussi. Mais le résultat est là: la collectivité phare des Franco-Ontariens à Ottawa s’est éteinte pour toujours…
Revenons à Gatineau. Le problème existe. Le français est en danger. Que peut faire la ville? Peut-être, d’abord, ouvrir un dossier et l’étoffer. Cueillir les données, aller voir ce qui se passe sur le terrain, d’un quartier à l’autre. Compiler les demandes en anglais à l’hôtel de ville. Déterminer l’ampleur du danger que court la langue française dans la quatrième ville du Québec.
Constituer une banque de données bien étoffée serait un bon point de départ et servirait sans doute à secouer la torpeur du conseil municipal. Cela permettrait aussi aux autorités, dans la mesure où la santé de la langue et de la culture française leur apparaît prioritaire, de prendre des décisions plus éclairées. Quelles décisions?
Il me semble, tout au moins, qu’il existe une responsabilité d’accueillir les nouveaux arrivants ontariens (et d’ailleurs) en les sensibilisant au fait que le Québec et Gatineau ont le français comme seule langue officielle et commune. En leur proposant des moyens de s’intégrer, y compris, en premier lieu, d’apprendre le français. Cet effort de la Ville doit aussi s’étendre aux francophones qui, trop souvent, étant pour la plupart bilingues, passent automatiquement à l’anglais pour communiquer avec les nouveaux Ontariens.
On pourrait muscler davantage les mesures mais ici, dans l’état actuel des choses à Gatineau, une prise de conscience suffirait pour le moment. Elle pourrait servir de tremplin à la constitution d’une banque de données municipales et de fondement pour les débats qui s’imposeront au conseil, en attendant une politique d’intervention.
Mais il y a urgence d’agir. Quand, un jour, des quartiers de la ville de Gatineau auront subi le sort des Franco-Ontariens de la Basse-Ville d’Ottawa, il sera trop tard…
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec