par Bertrand Badie.
Le professeur et chercheur Bertrand Badie livre pour Orient XXI une réflexion stimulante sur l’évolution des alliances au temps de la mondialisation.
Sur les accords dits d’Abraham, les jeux complexes de la Turquie, de la Russie ou des États du Golfe en Syrie ou en Libye, il éclaire ces nouvelles « connivences fluctuantes ». Entretien avec Sophie Pommier.
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J’appartiens à une génération pour laquelle l’alliance veut dire des choses très précises que l’on tient imprudemment pour nécessaires et éternelles. Celles et ceux qui ont été socialisés du temps de la bipolarité et de la guerre froide ont en tête un modèle d’alliance simple qui structurait durablement, de part et d’autre du Rideau de fer, deux coalitions de puissance comparable. L’alliance signifiait alors un engagement à la fois pérenne et organisé. Cette évidence en réalité n’en est pas une si on se réfère à l’histoire longue. Si on regarde en arrière, les choses apparaissent déjà beaucoup plus compliquées. Jusqu’en 1945, les alliances n’avaient rien de durable. Au gré des rapports de forces, au gré des équilibres de puissance, on s’alliait à l’un pour combattre l’autre, jusqu’à ce que, dans l’épisode suivant, la géométrie vienne à se modifier, voire à s’inverser. La parfaite illustration de cette logique nous est fournie par le Pacte germano-soviétique de 1939. Mais on pourrait remonter plus loin dans le temps et constater que des alliances même étranges pouvaient se nouer dès lors que le déséquilibre de puissances était trop fort, l’un des exemples les plus fameux étant « l’alliance impie » entre François Ier et Soliman le Magnifique lorsqu’en face l’Empire était trop fort et avait besoin d’être contrebalancé.
La bipolarité, une parenthèse dans l’histoire des relations internationales
En 1945, les choses ont changé : on est entré dans l’exception avec la bipolarité. Le glissement progressif vers une forme d’alliance pérenne s’est concrétisé avec la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en 1949, qui a suscité ensuite la constitution d’une autre alliance destinée à l’équilibrer, avec l’apparition du Pacte de Varsovie en 1955. Quand celui-ci a été dissous, l’OTAN a eu à délibérer sur sa pérennisation : nous étions au printemps 1991. Le président américain George H. Bush avait alors préconisé le maintien de l’organisation, s’attirant cette remarque de François Mitterrand : « Vous êtes en train de nous servir une nouvelle Sainte-Alliance ». Dans son esprit, cela voulait dire que l’on sortait d’une logique mécanique d’équilibre entre les blocs pour sacraliser une alliance et la rendre durable. De pragmatique et utilitaire qu’elle était dans un contexte de guerre froide, l’alliance n’avait plus dès lors pour justifier son existence que cette onction que lui donnent des valeurs jugées supérieures et que partageraient durablement les pays membres, exactement comme en 1815, face à l’effondrement de l’empire français, s’était constituée exceptionnellement la Sainte-Alliance, à l’instigation du tsar de Russie.
Dans le contexte moderne, cette sacralisation ne va pas de soi. D’abord parce que la référence à des valeurs communément partagées devient de plus en plus difficile, et on le voit bien à travers les différends qui opposent la Pologne ou la Hongrie aux pays de l’Europe occidentale ; et ensuite parce que ce consensus sur les valeurs relève davantage de la façade, de la rhétorique et de l’autojustification que de la réalité des choses. Il résiste en tout cas à toute analyse sociologique qui dénie toute unanimité, dans chaque pays, sur les valeurs prétendument partagées. D’où ce besoin mécanique et au demeurant dangereux pour l’OTAN d’avoir face à elle un ennemi qu’elle réinvente pour se justifier. Lorsque la Russie de Boris Eltsine ne pouvait pas tenir cette fonction, on a essayé de cibler la Chine. Laquelle s’est refusée à jouer ce jeu. Nous étions alors au tournant des deux siècles : la Chine était surtout intéressée à entrer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’elle a rejoint en décembre 2001, à se banaliser comme puissance au sein de la mondialisation. On a dû alors trouver un ennemi étrange, puisqu’il n’était plus un pays, mais une « méthode », à savoir le terrorisme. Tout ceci a abouti à la situation actuelle marquée par un autre virage : l’OTAN se reconstitue face à la menace russe à la faveur de la crise ukrainienne, suivant un semblant de Guerre froide qui précisément n’en est pas une !
Le jeu fluctuant des connivences pragmatiques
En dehors de l’espace atlantique, on perçoit une manière tout à fait autre et inédite de penser les partenariats. Depuis un certain temps, on est passé à une logique de fluidité et de pragmatisme. L’exemple a peut-être été donné pour la première fois par la Russie elle-même. Émancipée de la logique bipolaire, la Russie a essayé de déployer des accords tous azimuts qui lui ont valu successivement des réconciliations spectaculaires, avec Israël, l’Arabie saoudite, et la Turquie entre autres. La plupart du temps, ces accords n’ont pas valeur de rééquilibrage au sein du système international : ils sont tout simplement une façon de réaliser ponctuellement un certain nombre de « coups » qui assurent une position diplomatique momentanément productive. C’est ainsi que la Russie a pu réaliser plusieurs opérations profitables en partenariat avec la Turquie, avec laquelle elle est pourtant en désaccord sur de nombreux dossiers : Syrie, Libye, Caucase, ou Ukraine.
Mais les deux pays ont tissé des liens de connivence qui n’ont rien à voir avec les alliances d’antan, qui ne sont même pas des alliances au sens formel du terme, qui n’engagent les partenaires pratiquement à rien. Ce sont des connivences ponctuelles qui leur permettent de contrôler un moment l’agenda international, de peser sur la scène diplomatique mondiale, de contraindre les autres et d’obtenir des résultats immédiats.
On trouve des exemples de ce type chez la plupart des pays émergents, la Turquie étant rejointe par l’Inde ou le Pakistan. Officiellement, celui-ci est un allié des Occidentaux et participe encore à des alliances militaires avec des puissances occidentales. Ce qui n’a pas empêché de fortes connivences avec la Chine. Imran Khan a été le premier à se rendre à Moscou lorsqu’a éclaté la guerre entre l’Ukraine et la Russie, peut-être pour tirer certains marrons du feu. C’est une pratique qui tend à se généraliser et qui crée souvent une situation de faible lisibilité des interactions entre États dans les régions conflictualisées, par exemple au Proche-Orient, en Asie du Sud et de plus en plus en Afrique. Face à cette nouvelle réalité, l’OTAN apparaît comme un modèle vieillot, inadapté, particulièrement lourd et difficile à gérer, qui s’adapte difficilement aux situations nouvelles.
Le conflit ukrainien semble certes déroger parce qu’il s’inscrit apparemment dans la grammaire classique de l’OTAN, ce qui peut donner la fausse impression qu’on voit renaître la Guerre froide en cette occasion. Il est en revanche beaucoup plus difficile pour des alliances durables et structurées de cette nature de se « mondialiser » et de se situer face aux enjeux de la Méditerranée orientale, à ceux d’Asie ou d’Afrique, comme l’a montré le malaise de l’alliance atlantique dans la gestion de la crise d’Afghanistan. Par ailleurs, on ne s’intéresse pas suffisamment à l’apparition de ce « Bandung II » qui apparaît très clairement au fil des résolutions que l’Assemblée générale des Nations unies a eu à adopter sur le conflit ukrainien. On a vu un bloc d’une quarantaine d’États choisir l’abstention. Ce qui signifie qu’ils refusaient de s’aligner sur les belligérants, comme ils l’avaient déjà fait à Bandung. Mais ce qui est nouveau, c’est que ces pays veulent jouer désormais un rôle actif sur la scène diplomatique, refusant de payer la facture d’une guerre à laquelle ils sont étrangers. Et par ailleurs, les États occidentaux, sûrs de leur bon droit, ne se rendent pas compte à quel point leur position est affaiblie aux yeux de la plupart des diplomaties du Sud par le soupçon de néo-colonialisme et d’arrogance dont ils ne parviennent pas à s’abstraire et qu’ils font revivre par le truchement de cette vieille « sainte Alliance » : autant de paramètres qui, par rapport au temps de la Guerre froide, réduisent la portée et l’efficacité de celle-ci.
Le maître mot aujourd’hui, c’est le pragmatisme. Par pragmatisme, on renvoie à une notion d’utilitarisme économique qui tombe sous le sens dans un contexte de mondialisation, de renforcement des échanges, et surtout des interdépendances. Mais cela n’épuise pas le sujet. En plus de cet impératif économique très fort, il y a des impératifs sécuritaires extraordinairement complexes. Même si Israël n’est pas un État du Sud, sa connivence avec la Russie, qui se détériore un peu depuis quelques jours, tient au fait qu’elle considère les partenariats conclus avec Moscou comme un moyen précieux de contenir le danger que représentent à ses yeux l’Iran ou le Hezbollah. On peut aussi prendre en compte le Maroc avec le Sahara où, au-delà des préoccupations économiques, les Marocains ont clairement troqué les Palestiniens contre les Sahraouis. Ici, les enjeux ne sont pas tant économiques que territoriaux. Le cas de l’Égypte est intéressant aussi. Les relations que l’on peut qualifier de rééquilibrages et peut-être même plus, entre Le Caire et le Kremlin s’expliquent par la volonté d’Abdel Fattah Al-Sissi d’alimenter son nationalisme et de prendre ses distances avec les États-Unis. Il y a une tentative individualiste, souvent assez égoïste, des États du Sud de maximiser leurs chances de s’émanciper des anciennes tutelles. Les partenariats entre la Russie et des pays comme le Mali ou la République centrafricaine sont tout à fait révélateurs de ce point de vue. C’est une manière de se dispenser de la tutelle française, voire de prendre une revanche. Les anciennes alliances sont ainsi devenues des « connivences », des sursauts individualistes pour maximiser les chances de réussite de chacun et sortir des formes classiques de dépendance que l’on pouvait connaître autrefois.
La crise du modèle huntingtonien
Ces évolutions sont aussi une manière de désamorcer la bombe huntingtonienne, celle d’« une guerre de civilisations ». Ce qu’il y avait de dangereux dans la théorie de Samuel Huntington, était lié à sa nature de prophétie auto-réalisatrice. Rationnellement la thèse ne tenait pas, mais on investissait tellement dans cette idée qu’elle finissait par prendre sens. Or on voit bien que ces formes nouvelles de connivence se font en négation de tout alignement idéologique ou culturel. Des États qui pouvaient passer pour huntingtoniens dans leur diplomatie, comme l’Arabie soudite, les Émirats arabes unis, l’Iran ou la Turquie, sont les plus zélés dans cette diplomatie pragmatique et connivente. Ce qui – et c’est là toute la complexité – n’efface pas pour autant la méthode identitariste de ces diplomaties ou, d’une façon générale, des formes de mobilisation qui en dérivent. Le djihadisme a ainsi survécu à ces connivences nouvelles, ce qui aboutit à des paradoxes étonnants. On trouve en effet comme soutiens directs ou indirects de la cause djihadiste en Afrique, des États dont la diplomatie au niveau mondial se fait de plus en plus pragmatique, à l’instar de l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, ou même le Qatar. Ces pratiques djihadistes perdurent ainsi dans une ambiance pourtant post-huntingtonienne !
Le propre de la connivence, c’est son incohérence par rapport au modèle appris. Maintenant en quoi serait-il interdit d’avoir une diplomatie inspirée, quand il le faut, de considérations pragmatiques et, quand on le doit, de références identitaires, culturelles ou idéologiques ? Ce ne serait pas la première fois. Cela n’embarrassait pas François Ier de s’allier avec Soliman le Magnifique, ça ne gênait pas la diplomatie américaine de soutenir Oussama Ben Laden lorsqu’il fallait combattre les Soviétiques en Afghanistan, et on pourrait continuer l’énumération…
L’erreur, c’est de continuer à raisonner en termes de blocs. Les idéologues « occidentalistes » risquent d’être victimes de leur fausse naïveté en postulant que la culture à laquelle ils se réfèrent est l’expression d’une exception qui, à tout moment, doit surclasser toute autre considération, là où leurs partenaires de poids égal misent au contraire sur un parfait pragmatisme. Xi Jinping voue aux gémonies l’activisme djihadiste lorsqu’il s’agit de stigmatiser les Ouïgours, mais son ministre des affaires étrangères s’est affiché aux côtés du mollah Abdul Ghani Baradar en août 2021, pour sceller la coopération avec l’Afghanistan. C’est quand même amusant de voir que, dans ce pays de la révolution culturelle, le pragmatisme est plus affirmé que dans des pays pluralistes qui se disent libéraux.
Le « petit frère » l’emporte sur le « grand frère »
J’ai dit depuis longtemps, dans mes précédents ouvrages, qu’aujourd’hui le « petit frère » a tendance à l’emporter sur le « grand frère ». Je donnerais l’exemple de Benyamin Nétanyahou face à Barack Obama ou Donald Trump. Il y a une capacité étonnante des dirigeants israéliens à ne pas se laisser conduire par le « grand frère » américain et même à lui dicter leur volonté. Deux facteurs entrent ici en ligne de compte. D’abord la dépolarisation, qui fait que le « grand frère » n’a plus de statut formalisé comme ça pouvait être le cas lorsqu’il était le leader d’un des deux blocs en compétition. Et l’érosion des logiques de puissance a fait le reste. L’équilibre de puissance ne gouverne plus le monde. On l’a bien vu lorsque, systématiquement, les plus puissants ont été, qui battu en Afghanistan (l’URSS), qui battu au Vietnam, en Afghanistan, en Irak et en Somalie (les États-Unis) ou dans le Sahel (la France). Donc à partir du moment où le « grand frère » n’a plus l’alibi et l’argument d’une puissance infaillible dont il est seul détenteur, pourquoi voulez-vous que les autres lui obéissent passivement ? Quand celui qui vous domine a des armes qui ne fonctionnent plus, vous avez tendance à ne plus tenir compte de ce qu’il vous dit. Mais il faut quand même nuancer par le fait que, même si le « grand frère » ne commande plus, il garde une capacité de manipulation liée à toute une catégorie d’autres ressources qui ont moins de visibilité, et qui tiennent à son influence, ses capacités de maîtriser l’agenda international. Cette forme appauvrie du nouveau leadership pèse cependant d’un poids important, puisqu’elle conduit à requalifier les conflits : de guerre de décomposition sociale, le conflit sahélien glisse vers une autre identité du fait de la présence de l’armée française sur le terrain…
L’OTAN ne répond plus aux nouveaux enjeux
On ne peut pas comprendre le système international actuel autrement que par référence à cette fluidité des connivences. Bien des observateurs et, d’une façon générale, le langage courant utilisent couramment les images de « chaos » ou de « désordre international ». Mais notre monde n’est pas si chaotique ni désordonné qu’on le pense. Simplement, comme on veut le voir à travers les vieilles lunettes des alliances pérennes, on trouve que tout est devenu bizarre et ne fonctionne plus : on ne comprend pas les « pirouettes » turques, l’attitude des Émirats arabes unis, ou les retournements que l’on observe ponctuellement en Afrique. Ce nouveau modèle constitue en fait une rupture profonde : il est porteur d’éléments de progrès et aussi de défis nouveaux, sources d’incertitudes inédites. D’un certain point de vue, il y a progrès, parce que le monde bipolaire était un monde extrêmement dangereux : certes, on a expliqué que la dissuasion avait parfaitement fonctionné, grâce à la coexistence pacifique. Mais on oublie que celle-ci a fait 36 millions de morts hors de son périmètre. Cette bipolarité était un système finalement beaucoup plus létal que l’opinion publique ne le croit. Et donc cette multiplicité de connivences instables et sans cesse en recomposition peut être aujourd’hui une manière de frein à une conflagration généralisée.
Mais c’est aussi une source de dangers nouveaux parce que la principale conséquence de la généralisation de ces connivences et de leur fluidité, tient à l’imprévisibilité des situations. Personne ne sait comment les uns et les autres réagiront face à un fait nouveau, en Palestine, ou si un nouvel État venait à s’effondrer en Afrique, si une nouvelle crise éclatait dans le Golfe… quantité d’éléments qui autrefois conduisaient à une chaîne de conséquences qu’on maitrisait dans les chancelleries. Il suffit de regarder le conflit ukrainien pour mesurer ce jeu d’incertitudes. On n’y trouve pas simplement l’Occident face à la Russie, mais un écheveau de diplomaties fort complexes et instables, créant un jeu systémique difficile à décrypter et dont dépendra l’issue du conflit ! C’est notre entrée dans la mondialisation qui rend complexe ce jeu international.
Le journaliste Christian Makarian me disait, dans un débat récent, que les Russes étaient les inventeurs du jeu d’échecs. J’aurais pu ajouter que les Persans ont inventé le trictrac, ce qui leur donne plus d’agilité ! Les Occidentaux, eux, ont inventé Descartes. À peu près personne dans le camp occidental ne sait s’adapter à ces nouveaux jeux complexes qui n’ont rien de cartésien ! Quand on pense que, face à cette agression russe sur l’Ukraine, le réflexe occidental est d’élargir l’OTAN que d’aucuns disaient il y a encore quelques mois en situation de mort cérébrale, on perçoit la réalité du décalage par rapport au contexte présent. On répond à une situation entièrement nouvelle avec de vieilles méthodes.
Nous vivons une crise systémique
Ajoutons à ce tableau le poids des crises à dimension planétaire. J’ai écrit mes deux derniers livres, mon dernier notamment, autour de l’idée que nous étions en train de passer, en l’espace d’une génération, d’une sécurité construite en termes nationaux à une sécurité reconstruite en termes globaux. La vraie menace aujourd’hui, n’est pas une insécurité découlant de l’action du voisin, mais l’insécurité issue des menaces objectives portées par le système tout entier. Le terrorisme tue entre 10 000 et 40 000 personnes par an, là où la faim dans le monde en tue à peu près dix millions, où le climat en tue 8 à 9 millions et où la situation sanitaire chiffre aussi les victimes en millions. Tout ceci ne peut être combattu par l’addition de 193 politiques nationales, mais bien par une politique globale. On ne viendra jamais à bout des incohérences en matière climatique autrement que par une gouvernance globale. Et une gouvernance globale, ce n’est pas une gouvernance négociée, au sens ancien du terme. C’est la raison pour laquelle les COP n’ont qu’une maigre efficacité. Chacun essaye de négocier son bout de gras pour qu’à la fin, il n’y ait plus de gras du tout à l’échelle globale. Nous avons besoin d’un changement de logiciel pour comprendre que la principale menace n’est plus le résultat d’une stratégie malveillante, mais l’effet d’un dérèglement systémique dont nous sommes tous responsables collectivement. La logique de connivence à mon avis ne sera pas, de ce point de vue, davantage efficace que la logique d’alliance. Au contraire, les accords pragmatiques, les coalitions d’un jour, peuvent rendre le dossier beaucoup plus difficile à gérer, avec des raisonnements du type « Je défends ton droit au charbon si tu défends mon droit à la déforestation ». À la base des logiques de connivence, il y a toujours un calcul à court terme, alors que là, il s’agit de faire gagner tout le monde en même temps, et sur le long terme.
Quelle est la place de l’ONU dans tout ça ? Elle a été créée en 1945 sur une base très claire qui était celle d’un système en voie de bipolarisation et sur la valorisation totale et absolue d’une puissance, les États-Unis, qui venait de montrer, et son efficacité en gagnant la guerre, et sa vertu en terrassant le monstre nazi. Ce qui faisait alors la force de l’ONU fait aujourd’hui sa faiblesse. À savoir une confiance absolue accordée aux plus puissants – en l’espèce les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – pour régler tous les problèmes. Or l’évolution des relations internationales a fait que les cinq cogérants du monde se sont installés dans une fonction de blocage consistant à pérenniser à tout prix leur rang et leur statut dérogatoire, ce qui explique la totale paralysie du Conseil de sécurité et la connivence de ces cinq États pour refuser d’y délibérer sur les grands sujets globaux. C’est ainsi que le délégué russe, Vassili Nebenzia, a déclaré qu’il serait « contre-productif » de parler de questions climatiques au Conseil de sécurité, ce qui illustre parfaitement ce à quoi conduit la logique de puissance.
L’ONU est formellement non réformable puisque pour réformer le Conseil de sécurité, il faut l’accord des cinq membres permanents, ce qui est perdu d’avance. Mais en même temps, l’ONU s’est de facto considérablement réformée en poussant pragmatiquement à un multilatéralisme social qui existe indépendamment du Conseil. Les grands succès de l’ONU c’est le Programme alimentaire mondial (PAM), qui a quand même eu le prix Nobel il y a deux ans, c’est le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), c’est le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), c’est l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), c’est l’Organisation mondiale de la santé (OMS), contrairement à ce qu’on a pu dire pendant la crise du Covid. C’est ce qu’avait voulu Kofi Annan dans son discours du millénaire lorsqu’il a annoncé ses Objectifs millénaires pour le développement (OMD), repris par son successeur sous la forme des ODD, Objectifs de développement durable.
source : Orient XXI
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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