Placé devant une carte de géographie, un enfant de cinq ans comprend que l’Europe n’est que le bout d’un immense continent. Cette réalité, bien intégrée depuis un siècle par les décideurs étasuniens, semble échapper au cerveau d’Ursula von der Leyen, de Charles Michel, de Josep Borrell et consorts.
Quand on a des responsabilités politiques, on doit faire passer le rationnel avant l’émotionnel. Le 24 février 2022, la Russie a envahi l’Ukraine. On peut penser ce qu’on veut de cette invasion, mais il s’agit d’un fait, et un fait est plus respectable qu’un lord-maire. Autre fait indiscutable : l’Europe a besoin des ressources de la Russie : non seulement du gaz naturel et du pétrole (y compris pour fabriquer des sources d’énergies propres !), mais aussi de l’uranium (pour ses centrales nucléaires), de l’aluminium (pour les voitures), du nickel (pour les voitures électriques), du palladium (pour les pots catalytiques), etc.
Au lieu de prendre en considération ces réalités incontournables et de veiller à ce que le conflit ait le moins de répercussions dommageables pour leurs populations, les dirigeants européens se sont empressés de faire ce qu’il ne fallait pas faire : empiler les unes après les autres des sanctions censées affaiblir la Russie. Mais elle en a vu d’autres, la Russie !, que ce soit sous les Tsars en préférant incendier Moscou en 1812 plutôt que de céder aux prétentions napoléoniennes, ou, sous le régime communiste, en résistant aux sièges de Leningrad et de Stalingrad et en perdant 26 millions de sujets… Les Russes ont l’habitude de se serrer la ceinture et ils vivent dans un pays immense détenant à peu près tous les éléments de subsistance. Tout autre est la situation de l’Union européenne dont les citoyens sont plus habitués au confort, un confort largement dépendant des matières premières présentes en masse, notamment sur le sol russe. Déjà aujourd’hui des millions d’Européens, même ceux qui ont un emploi, n’arrivent pas à nouer les deux bouts. La situation risque de devenir de plus en plus dramatique : inflation, ruptures d’approvisionnements, faillites, chômage, misère.
Au lieu d’engager immédiatement des négociations avec Poutine, nos dirigeants ont préféré s’engager dans la surenchère recommandée par Biden et Blinken. Ont-ils seulement compris que, ce faisant, ils se livraient, pieds et poings liés, aux producteurs de gaz de schiste du Texas ou de Pennsylvanie et se mettaient au service du complexe militaro-industriel étasunien pour qui la prolongation de la guerre est une bénédiction ? Servilité ou bêtise ? Ou plutôt : servilité et bêtise.
Les Étasuniens ne s’en cachent même pas : ce que visent les Démocrates comme les Républicains, c’est, moyennant une guerre par procuration sous commandement OTAN, un affaiblissement, voire un changement de régime en Russie (comme d’ailleurs en Chine). Si le sort des Ukrainiens les avaient intéressés, John McCain et Victoria Nuland n’auraient pas fait voler en éclats un bon accord signé le 21 février 2014 entre le président Viktor Ianoukovitch, l’opposition ukrainienne et les trois ministres européens : le Polonais Radoslaw Sikorski, l’Allemand Frank-Walter Steinmeier et le Français Laurent Fabius. Comment l’Europe, représentée alors par trois grands pays, a-t-elle pu supporter sans sourciller d’être ainsi humiliée, comme si la signature de ses ministres ne valait rien ?
Et, plus tard, après la signature des accords de Minsk 2 entre l’Ukraine, la Russie, un représentant de Donetsk, un représentant de Louhansk, l’Allemagne et la France, prévoyant un statut d’autonomie pour le Donbass, comment se fait-il que les dirigeants de l’Union européenne ne se soient pas insurgés contre les mesures vexatoires décidées par les autorités ukrainiennes à l’encontre de la langue russe et comment n’ont-ils pas levé le petit doigt pour faire stopper les bombardements sur le Donbass dans lesquels ont péri quelque 14 000 personnes ? Poser la question, c’est y répondre : une telle inertie ne s’explique que par la vassalisation de l’Europe au sein de l’Empire étasunien prêt à tout pour maintenir son hégémonie.
Une inertie coupable qui, depuis peu, s’est muée en fuite en avant avec la fourniture d’armes à l’Ukraine. Il s’agit là d’un acte de guerre à propos duquel on n’a évidemment pas demandé l’aval des parlements nationaux de l’UE, un acte d’autant plus irresponsable qu’on ne sait pas dans quelles mains ces armes aboutissent et qui continueront, quand le conflit aura pris fin, d’alimenter les circuits mafieux (*).
L’Union européenne n’est par ailleurs pas très regardante avec les principes de liberté dont elle se targue : une des premières mesures prises par elle, ça a été d’interdire la diffusion des médias russes, Spoutnik et Russia Today : qui dit mieux ?
Quant au vertueux « green deal » européen présenté en grande pompe fin 2019, il est déjà largement compromis par l’abandon de la mise en jachère de millions d’hectares dans le but de compenser les perturbations de l’offre céréalière. Est-ce ainsi, en décourageant une agriculture respectueuse de l’environnement et en important des gaz de schiste, que l’UE va restaurer la confiance des citoyens, notamment des plus jeunes qui se sont mobilisés en masse contre le dérèglement climatique ?
Comment les Européens vont-ils réagir en hiver, et peut-être même dès l’automne, quand les sanctions antirusses reviendront sur l’UE comme un boomerang ? Ne doit-on pas s’attendre à des mouvements sociaux en comparaison desquels la révolte des Gilets Jaunes en France pourrait n’être que roupie de sansonnet ?
Ce sont toujours les travailleurs et les peuples qui payent le prix des guerres et des conflits, cela est vrai partout et de tout temps. Il est urgent que les syndicats et toutes les forces populaires fassent pression pour forcer les décideurs européens à travailler à la paix. C’est aussi l’avis de … Henry Kissinger, fort de son expérience vietnamienne.
Il y va aussi de notre responsabilité planétaire. Comme l’écrit justement l’analyste indien Brahama Chellaney (**) : « Sans qu’ils en soient responsables, les vrais perdants du conflit entre la Russie et l’OTAN sont malheureusement les pays les plus pauvres, qui subissent de plein fouet les retombées économiques. Du Pérou au Sri Lanka, la hausse des prix du carburant, des denrées alimentaires et des engrais a déclenché de violentes manifestations de rue qui, dans certains États, ont dégénéré en troubles politiques permanents. Les problèmes d’endettement de nombreux pays pauvres se sont aggravés. »
(*) Voir aussi https://www.independent.co.uk/news/world/europe/ukraine-army-russia-pr….
(**) https://www.investigaction.net/fr/pourquoi-les-sanctions-contre-la-rus….
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir