Une jeune féministe d’aujourd’hui pourrait facilement tomber dans l’écueil de croire que les affrontements entre les féministes et les militants pro-genre sont quelque chose de récent, parce que — contrairement aux mouvements de libération des hommes — le féminisme se manifeste par « vagues », lesquelles essuient à chaque fois un très fort retour de bâton patriarcal qui efface la majeure partie du travail des combattantes de la vague précédente. S’il est vrai qu’aujourd’hui le mouvement des hommes qui aiment se faire passer pour des femmes [les hommes autogynéphiles] a gagné énormément de pouvoir, surtout depuis ces dernières années (au point que ces hommes dictent désormais leurs revendications politiques et leurs politiques effectives même aux hommes gays, qui avaient jusqu’alors toujours dominé l’organisation des gays et des lesbiennes), cette lutte était pourtant menée par des lesbiennes depuis près d’un demi-siècle. Dans la vidéo ci-après, Jean O’Leary prend la parole lors du rassemblement des fiertés de 1973 au nom de l’association Lesbian Feminist Liberation (LFL) ; elle s’insurge contre les hommes qui caricaturent les femmes ; elle parle de la réduction au silence des lesbiennes dans le mouvement gay. Vous remarquerez que deux hommes, sur scène, vêtus de robes et de chapeaux, « performent » théâtralement la « féminité » pendant qu’elle parle. L’un est l’activiste drag-queen Lee Brewster, et l’autre, la « Sylvia » à laquelle O’Leary fait référence (dont l’héritage moderne, la « Sylvia Rivera Law Project » était le sponsor de la vidéo de 2014 que Laverne Cox [un homme qui prétend être une femme] a réalisée pour soutenir le violeur et meurtrier d’enfants Luis Morales, alias « China Blast »). Rivera et Brewster laissent transparaître leur rage toute masculine lorsqu’ils sautent sur scène et crient : « C’est grâce à ce que les drag-queens ont fait pour vous que vous pouvez rentrer dans les bars, et ces salopes nous disent d’arrêter d’être nous-mêmes ! »
Jean O’Leary, la repentie ?
Jean O’Leary a‑t-elle, ultérieurement, changé d’avis, comme le suggèrerait un entretien avec Eric Marcus, retranscrit dans le livre Making Gay History ? La Jean que l’on y découvre est loin de la jeune et fière lesbienne en colère montée sur la scène de la Pride de 1973. Elle va jusqu’à émettre des réserves quant à la possible retranscription écrite de leur conversation concernant les évènements. Douze ans plus tard, elle est âgée de 37 ans. C’est une femme qui répond avec humilité. La fierté ne l’habite plus et semble avoir été remplacée non par de la sagesse, mais par de la culpabilité, si ce n’est de l’autoflagellation.
Eric Marcus remarque lui-même qu’elle n’était pas « fière » de la jeune pousse du LFL (Lesbian Feminist Liberation) qu’elle avait été. Elle essaie de se justifier « Oh… C’est tellement embarrassant… Tu ne vas pas publier ça, si ? Parce que je n’aime vraiment pas ça, tu sais… Enfin, peu importe… ». Elle procède ensuite à resituer le contexte de cette Pride, cette fois avec concision et assurance, en rappelant que le sexisme était endémique à l’époque, au sein même de la lutte pour les gays et les lesbiennes. Elle insiste sur le fait qu’il y avait très peu de femmes en position de leadership dans le mouvement gay (ce qui n’a d’ailleurs pas changé, sauf à considérer que les hommes autogynéphiles sont des femmes). Que les lesbiennes n’étaient pas représentées. Que lorsque les gens parlaient des « gays », personne ne pensait aux lesbiennes. Toutes les revendications politiques étaient relayées par des hommes gays et personne avant les lesbiennes du LFL n’avait ouvertement soulevé le problème.
Elle invoque ensuite son sentiment d’injustice envers des travestis et les drag-queens. Il n’y a pas d’hésitation dans son discours encore une fois, c’est comme si c’était hier. Elle se remémore très justement que l’accoutrement des travestis consistait en tout ce dont les femmes essayaient alors de se débarrasser, tout ce qui entravait les femmes et les tenait dans la contrainte : les instruments vestimentaires de soumission au patriarcat. Les talons hauts, les corsets, etc. C’était si injuste et tellement contreproductif à la libération des femmes. C’est pourquoi elle a décidé d’écrire une déclaration politique de féminisme lesbien. Mais en délibérant avec ses camarades du LFL, ajoute-t-elle — sans que nous puissions vraiment s’avoir s’il s’agit d’une réécriture a posteriori de l’évènement, après avoir été encouragée à « corriger » sa pensée, ou s’il s’agit d’une précision véridique — elles s’accordèrent sur le fait qu’il ne fallait pas attaquer directement ceux qui utilisaient le travestissement comme un moyen de revendication politique. Son discours serait seulement contre ceux qui le faisaient pour l’argent. Les premiers risquent la prison. Même les femmes, sous les lois en vigueur alors, pouvaient être jetées en prison pour s’être habillées « comme des hommes », donc il ne faut pas les critiquer. « Nous soutenons le droit de quiconque à s’habiller comme il ou elle le souhaite. Mais nous nous opposons à l’exploitation des femmes par les hommes à des fins de divertissement ou de profit. Toute notre vie, les hommes nous ont dit qui nous étions. Ils ont essayé de le faire avec l’érudition, la religion, la psychiatrie. » La distinction entre « divertissement et profit » dans le cas particulier des drags n’est pas très claire, l’un allant souvent de pair avec l’autre. Les drag sont des performeurs, par plaisir, par excitation et par divertissement. « Un spectacle de drags. » Le profit en fait partie. « Nous devons essayer d’être gentilles et de soutenir ce genre de pratique », se seraient-elles dit en assemblant le discours impromptu. L’empathie féminine, la gentillesse et l’effacement au profit des hommes — un autre rôle sociosexuel conventionnellement assigné aux femmes.
Par ce subterfuge, elle semble se justifier et apaiser une certaine dissonance cognitive. « Soyez gentilles » répètent en ce moment même à l’envie les transactivistes, en tous points semblables aux travestis d’hier, à ceci près qu’ils sont aujourd’hui bien plus agressifs à l’encontre des femmes (« tuer les TERF » affichent-ils fièrement sur leur teeshirt ou sur leur peau). Et notamment à l’encontre des lesbiennes et des féministes qui ne veulent pas d’eux dans leurs espaces protégés, dans lesquels les femmes et les filles sont vulnérables. En tout travesti, il y a un homme autogynéphile, qu’il soit hétéro, gay ou bi. Au travers de la pratique du travestissement, un grand nombre de ces hommes recherchent l’excitation sexuelle.
Avec Eric Marcus, Jean O’Leary tente de se remémorer le discours qu’elle a tenu sur scène, les escarmouches dans le public, entre les femmes, les travestis et les gays. Elle ne se souvient plus trop de ce qui s’est passé, elle s’est contentée d’une sortie rapide et a à peine eu le temps, dans le flux d’adrénaline, d’entendre les drags traiter les lesbiennes du LFL de salopes. Ce sont des salopes. Des femmes qui s’érigent contre les caricatures que ces hommes font de leur oppression. Ces hommes par lesquels elles sont même obligées de passer pour être entendues, sans quoi elles n’existent pas. Les ingrates. Elles mordent la main qui les nourrit. Elles sont leur propriété et doivent servir leurs intérêts, être gentilles, les laisser caricaturer les femmes dans une grossière mascarade. Soyez gentilles, salopes. Elle entend Bette Middler qui essaie de calmer la foule (« nous devons tous être amis »).
Son discours fut très mal accueilli. Une jeune lesbienne de 25 ans, inconnue, une absence de femme à la tête du mouvement… Jean O’Leary a dû se retrouver bien isolée. Les hommes qui ont pris le micro à sa suite ne se sont pas gênés pour manifester leur colère, pour insulter cette femme et ses salopes de complices. Probablement a‑t-elle été menacée d’ostracisme, comme les féministes et les jeunes lesbiennes d’aujourd’hui, qui sont priées d’être gentilles et de bien vouloir « désapprendre leurs préférences génitales ». Comment a‑t-elle osé s’opposer aux hommes les plus opprimés de toute la terre ? Ces hommes n’ont pas l’attitude des opprimés. Jean O’Leary, en revanche, si. La suite est confuse. Elle tente d’exprimer son changement de cœur sans être le moins du monde convaincante. Elle est moins assertive que lorsqu’elle revivait la motivation qui l’animait jadis.
Mais à aucun moment elle ne récuse son analyse passée. Elle ne dit jamais qu’elle a changé d’avis. Elle dit seulement regretter la manière, le ton qu’elle a employé. Mais elle ne dit jamais qu’elle pense désormais que le drag est une très bonne chose, très respectueuse, très respectable. Elle explique avoir passé beaucoup de temps avec des travestis et des drags, entourée de ces hommes. Elle a corrigé sa pensée. Elle a désappris sa colère et désappris à refuser l’injustice. Elle explique être devenue plus patiente à l’écoute de ces hommes en jupes. Elle a oublié son combat.
Durant son entretien avec Eric Marcus, elle se demande par quel mystère les femmes d’influence dans le mouvement gay étaient si rares : « Pour être franche, personne ne sait dire encore à ce jour [nous sommes en 1987], quels sont les problèmes des femmes » [pourquoi elles n’existent pas dans le mouvement]. « C’est une question de respect. C’est un problème de positionnement. Une question de pouvoir [de manque de tout ceci]. C’est un mix entre tout ceci, et c’est un peu plus subtil [plus subtil que la domination masculine et l’effacement des lesbiennes par la misogynie des gays et des travestis]. Et, heu, oui… un problème de visibilité. Évidemment, la visibilité. » Pourtant, elle représente elle-même la réponse à toutes ces questions. L’effacement des lesbiennes féministes dans la lutte gay à cette époque, s’inclinant devant les revendications des travestis et des drag-queens, la compassion imposée, sous peine d’exclusion de la communauté, qui vient remplacer le sens de la justice, le sens qu’une injustice est faite aux lesbiennes. Elle s’est effacée. Elle a corrigé sa pensée, puis a oublié ce pour quoi — pour qui — elle se battait. Elle incarne la défection du féminisme devant les caprices des hommes. Elle épouse leurs discours et s’y conforme.
Eric Marcus rapporte qu’elle lui aurait ensuite confié : « J’étais contre les travestis alors que je me comportais avec eux comme ces féministes à l’époque qui voulaient exclure les lesbiennes. » Mais à quelles « féministes » se référait-elle ? Aux femmes de droite de Dworkin ? Des antiféministes. Eric Marcus place peut-être ce qui l’arrange dans la bouche de Jean. Personne ne peut aller vérifier. Mais s’il y a bien une chose qui s’entend au travers de cet entretien, c’est l’esprit terrassé et brisé de cette femme. La confusion et la culpabilité. Ce n’est pas l’attitude de quelqu’un qui embrasse entièrement une idée, qui a des convictions. On dirait plutôt quelqu’un qui a intériorisé une coercition. Elle s’exprime par des formulations négatives, exhorte les lesbiennes à être plus patientes avec ces hommes, comme une femme ayant été trop longtemps captive d’une relation abusive, désormais incapable de dire du mal de son abuseur. Mais elle n’en dit pas non plus du bien. C’est cela que l’on entend tout au long de cet entretien, une profonde dissonance cognitive chez une femme vulnérable ayant été « corrigée ».
Quoi qu’il en soit, que Jean O’Leary ait ou non « changé d’avis » ne change pas le fond de l’affaire. Ses arguments d’alors demeurent tout à fait justes.
À fin éducative, voici le dernier numéro du magazine Drag (1971–1983) créé par le drag-queen Lee Brewster, l’homme qui prend le micro après Jean O’Leary (avertissement : ce magazine contient des images et textes pornographiques, extrêmement dégradants pour les femmes, pétris des pires stéréotypes sexistes. En somme de la perversion bien masculine) :
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Lesbiennes et féministes face aux drag-queens
Dans son livre The Lesbian Revolution (« La révolution lesbienne », paru en 2020), la politologue et lesbienne féministe Sheila Jeffreys rappelle que, dans les années 70 :
« Les lesbiennes remettaient en question la féminité, l’idée selon laquelle les femmes devaient porter des robes, pour découvrir que certains de leurs frères considéraient le port de robes comme la révolution en action. Toute la tradition du drag, dans laquelle les homosexuels portent ce qu’ils considèrent comme des vêtements féminins pour imiter les femmes et se moquer d’elles, énervait les lesbiennes et les féministes.
La pratique du drag repose sur l’idée selon laquelle les femmes sont tellement hilarantes qu’un homme avec des ballons dans son pull est en train de faire une bonne blague. Les féministes ne considéraient pas les femmes comme essentiellement hilarantes et n’étaient pas ravies que certains hommes homosexuels aiment à emprunter les vêtements de la classe subordonnée afin de séduire ou de choquer leurs semblables. La féministe lesbienne britannique Sheila Shulman décrit la seule fois où elle a été confrontée à la libération gay : “Il y avait un ‘be-in’ gay d’un certain genre à l’université d’Essex […] avec des discussions et une danse. Les lesbiennes ont dit aux gays qu’il était évident que les hommes et les femmes ne pouvaient pas travailler ensemble, même si nous étions tous gays.” Elle eut “une longue dispute avec l’un des mecs présents qui était travesti. Il était habillé de bas résille noirs, d’une jupe en satin rouge et de Dieu sait quoi, et il m’a dit que c’était un hommage à sa mère ! C’était des balivernes, de la misogynie totale !” Elle qualifie cela de misogynie parce que “c’était un simulacre de la femme” (Shulman, 1983 : 55). […] »
Dans Gender Hurts : A Feminist Analysis of the Politics of Transgenderism (que l’on pourrait traduire par « Le genre et ses ravages : une analyse féministe de la politique du transgenrisme », paru en 2016), elle notait aussi que
« les féministes de l’époque s’opposaient à ce qu’elles appelaient “l’obscénité du travestissement masculin”, parce qu’elles y voyaient une pratique insultante dans laquelle des hommes caricaturaient des stéréotypes de femmes pour leur propre amusement ou plaisir. [Et plus important encore, la composante de l’excitation sexuelle autogynéphile. Le travestissement des autogynéphiles donne lieu à une excitation sexuelle qu’ils recherchent par cette pratique.] Elles le comparaient à d’autres façons dont les membres des groupes dominants se moquaient de ceux qu’ils considéraient comme leurs inférieurs, comme c’était le cas dans les black and white minstrel shows, où des hommes blancs se grimaient en noir. Comme l’a dit Morgan : “Nous savons ce qui se passe lorsque les Blancs se maquillent le visage en noir ; la même que lorsque les hommes se travestissent” (Morgan, 1978 : 180) (italiques dans l’original).
Morgan explique que les travestis, comme elle les appelle, sont “des hommes qui exhibent délibérément les rôles de genre et qui parodient l’oppression et la souffrance des femmes ». Elle rejette fermement leur entrisme :
“Non, je n’appellerai pas un homme ‘elle’ ; trente-deux ans de souffrance dans cette société androcentrique, et de survie, m’ont valu le titre de ‘femme’ ; une promenade dans la rue d’un travesti, cinq minutes de harcèlement (ce qui peut d’ailleurs lui plaire), et ensuite il ose, il ose penser qu’il comprend notre douleur ? Non, au nom de nos mères et au nom de nous-mêmes, nous ne devons pas l’appeler sœur.” (Morgan, 1978, 180) (souligné dans l’original) »
Quelques années plus tard, comme Jeffreys le souligne dans The Lesbian Revolution :
« Les promoteurs universitaires du fait de jouer volontairement un rôle se sont mis à utiliser la théorie postmoderne, et la théorie queer qui en est issue, comme fondement de leur justification du jeu de rôle (voir Jeffreys, 2003). Les travaux de Judith Butler ont revêtu une importance particulière (Butler, 1990). Butler dit qu’elle “correspondait à une lesbienne butch” au début de sa vingtaine (More, 1999 : 286). Dans son travail, comme dans la théorie queer universitaire en général, le “genre” ne correspond plus au phénomène décrit par le féminisme comme le fondement de la domination masculine, comme un système matériel d’oppression, mais devient une forme flottante de normes d’apparence et de modèles de comportement pouvant être adoptés par n’importe qui. Cette indétermination et ce flou radical du genre sont présentés dans son travail comme révolutionnaires. Lorsque des hommes et des femmes adoptent le “genre » habituellement attribué au sexe opposé, Butler prétend qu’ils génèrent une perturbation massive du système social. Elle rejette ce qu’elle appelle un “féminisme radical homophobe” qui “ne peut comprendre l’intrusion et la transitivité du genre que comme une appropriation, comme si quelque chose leur avait été volé. Le genre est lui-même une propriété transférable, il n’appartient à personne, et l’idée de le considérer comme une propriété non transférable est tout simplement une énorme erreur” (ibid. : 294). Ces idées ont conduit à l’adoption enthousiaste du principe du drag, des jeux de rôles et du transgenrisme par les homosexuels et les lesbiennes, nourris par l’excitation de croire que ces activités étaient radicalement déstabilisantes pour l’hétéropatriarcat. La révolution qui était censée être déclenchée par ces activités ne s’est jamais matérialisée. Au contraire, le genre, ou les rôles sexuels de la masculinité et de la féminité, se sont plus fermement ancrés non seulement dans la communauté lesbienne mais aussi dans le monde hétérosexuel. Sans surprise, le fait de singer les règles de genre de l’hétéropatriarcat n’ait rien fait pour renverser le pouvoir masculin. »
Dans son livre Trigger Warning (« Avertissement », paru en 2020), elle écrit :
« La pratique du drag consiste à se moquer des femmes de manière souvent très grossière et cruelle. Il n’en existe aucun équivalent sous la forme de lesbiennes se moquant des hommes de manière aussi insultante et agressive, et bénéficiant d’une telle acceptation et promotion dans la culture populaire. Le drag a toujours été un sujet de discorde, parce qu’il est au cœur de l’idée que se font les homosexuels de l’amusement et du divertissement et de la prostitution d’hommes et de garçons ayant été efféminés pour justifier et permettre cet abus. Aujourd’hui, cependant, le drag est promu comme jamais auparavant sous la forme de concours télévisés et d’histoires de drag-queens dans les bibliothèques publiques du monde anglophone, où des hommes se donnant des surnoms tirés de l’industrie du sexe, comme “Miss Beaver[1]”, se moquent des femmes devant les tout-petits. Bien entendu, les lesbiennes ne sont pas invitées dans les bibliothèques pour faire la lecture aux enfants. Le drag, que les féministes lesbiennes ont toujours considéré comme une forme de haine de la femme, s’empare de l’espace culturel d’une manière sans précédent. »
Par ailleurs, dans le même ouvrage, elle explique que, durant une récente visite d’un club gay, lorsqu’elle a voulu se rendre dans « les toilettes pour femmes, une lesbienne s’est approchée et m’a demandé à voix basse si j’étais “butch ou femme[2]”. J’avais fait mon coming-out en tant que lesbienne dans un mouvement féministe où nous pensions que les rôles sociosexuels masculin et féminin de l’hétéronormativité patriarcale étaient un vestige toxique du passé. Certes, ces rôles sociosexuels avaient été rejetés de manière décisive par les partisans hommes et femmes de l’émancipation des homosexuels au début des années 70, mais dans certains endroits, ils avaient survécu. Je ne pouvais pas répondre à la question parce que je n’étais ni l’un ni l’autre et que cette option ne m’était pas proposée. Mais j’ai alors réalisé l’étroitesse de l’existence lesbienne en dehors du féminisme. Ces femmes pensaient qu’elles devaient opter pour l’une ou l’autre de ces options malsaines afin d’avoir des relations sexuelles entre elles. »
Cependant, aujourd’hui :
« Le mot “lesbienne” n’a plus la cote auprès d’une jeune génération dans laquelle les femmes qui proclament fièrement qu’elles aiment les femmes sont considérées comme haineuses. Dans les années 1970, notre première tâche, et la plus importante, consistait à valoriser le mot “lesbienne”, à l’énoncer avec fierté, à porter des badges avec ce mot, car nous ne pouvions pas avoir de libération lesbienne si nous n’avions pas de mot pour nous décrire. Aujourd’hui, les femmes qui aiment les femmes doivent tergiverser et s’appeler autrement, choisir une appellation qui ne suggère aucune déloyauté envers la domination masculine, aucun refus d’aimer et d’être pénétrées par des hommes. En conséquence, les célébrités lesbiennes comme les lesbiennes ordinaires se présentent comme “queer” et “non-binaire” ou quelque autre qualificatif ne menaçant pas le contrôle des hommes et suggérant qu’elles pourraient, dans les bonnes circonstances, être encore utilisées sexuellement par leurs maîtres. Les travestis masculins qui prétendent avoir une identité de genre féminine et se disent “lesbiennes” parce qu’ils sont toujours hétérosexuels et attirés par les femmes exercent aujourd’hui une forte pression sur les jeunes lesbiennes afin qu’elles se laissent utiliser sexuellement, sous la menace d’être accusées de “transphobie” si elles n’obtempèrent pas. Les hommes ont toujours créé de la pornographie dans laquelle ils utilisent des femmes qui prétendent être lesbiennes et beaucoup ont essayé d’approcher des lesbiennes pour avoir des relations sexuelles, mais jamais à l’échelle et avec l’influence extraordinaire des travestis d’aujourd’hui. »
Audrey A. & Nicolas C.
- En anglais, « beaver », qui signifie castor, est aussi un terme argotique utilisé pour désigner le vagin des femmes. ↑
- Butch et femme (ou fem) sont des termes utilisés dans la culture lesbienne pour désigner une identité masculine (butch) ou féminine (femme/fem) et les traits, les comportements, les styles, la perception de soi, etc. qui y sont associés. Ces termes ont été créés dans les communautés lesbiennes au XXe siècle. ↑
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