Interview d’Edward Snowden le 23 mars 2020.
Source : https://www.youtube.com/watch?v=9we6t2nObbw
Traduction : lecridespeuples.fr
Transcription :
Journaliste : […] [Mais la surveillance de masse peut avoir des effets bénéfiques dans la lutte contre le coronavirus. Par exemple,] si on surveille les données de géolocalisation des téléphones, on peut voir que des centaines de personnes se réunissent chaque mercredi dans tel parc, mais elles ne devraient pas le faire, car elles contribuent à propager le virus. Cela ne recourt pas à de l’intelligence artificielle très sophistiquée, mais on pourrait passer à côté de telles informations sans la programmation & l’emploi de tels systèmes de surveillance.
Edward Snowden : C’est vrai. Dans ce cas, c’est parfaitement vrai. Si on se contente de rechercher sporadiquement les rassemblements autour d’une antenne-relais téléphonique, ce genre de système (de surveillance) permet d’obtenir ces informations (importantes dans la lutte contre la pandémie). Mais la question est de savoir si ce gain en efficacité vaut le prix à payer en termes de pouvoir civil, public et individuel…
Journaliste : C’est la grande question !
Edward Snowden : … et d’atteinte à notre liberté. Car lorsque nous regardons bien les choses, cet article de Yuval Harari que j’ai évoqué, et que je recommande à tous de lire… Ce qui se passe, c’est une transition entre (une phase où) les gouvernements nous observaient de l’extérieur, via la surveillance de masse : ils regardaient votre téléphone et ce sur quoi vous cliquiez, ils voulaient savoir ce que vous lisez et ce que vous achetez, ils faisaient ce genre de recoupement entre les informations ; mais aujourd’hui, dans ce contexte sanitaire, les gouvernements veulent savoir si vous êtes malade, ils veulent connaître votre état physique, ils veulent savoir ce qui se passe sous votre peau.
Si nous permettons aux gouvernements de dire qu’ils peuvent traquer tous les téléphones portables, tout le monde, partout et tout le temps, qu’ils peuvent faire des déductions en se basant sur l’analyse de ces données, et mettre en œuvre des actions concrètes en conséquence de ces informations, qu’est-ce qui les empêche de dire : « Nous nous inquiétons de la santé et de la santé publique et nous sommes soucieux de protéger les gens. Les principaux symptômes du coronavirus sont une fièvre, qui se développe en toux et persiste à mesure que le virus se propage dans l’organisme, avec le système immunitaire qui résiste (de son mieux) : nous allons donc accéder aux données de tous les bracelets connectés pour connaître le pouls ou le rythme cardiaque (de toute la population) ? Nous allons exiger l’accès à ce genre de données. Cela va nous permettre de déterminer que telles personnes ont un pouls élevé, etc. »
Et des années plus tard, alors que le coronavirus sera de l’histoire ancienne, ces données resteront accessibles aux gouvernements, et ils commenceront à rechercher de nouvelles choses : par exemple, ils diront qu’il y a tel groupe terroriste qui publie de la propagande sur Internet, comme l’a fait Daech…
Journaliste : C’est le marteau à la recherche de clous (cf. le proverbe US : ‘Pour quelqu’un armé d’un marteau, tout ressemble à des clous’).
Edward Snowden : Oui, exactement.
Journaliste : On a pu récemment le voir pour Clearview, cette autre entreprise qui fournit aux services de police des outils de reconnaissance faciale. Les gouvernements se disent qu’ils pourraient utiliser ces outils contre le coronavirus.
Edward Snowden : Oui, exactement. C’est un problème constant, que l’on parle de reconnaissance faciale (ou d’autres technologies de surveillance). Ce qui se passe maintenant, lorsqu’on commence à compiler et parcourir toutes (les informations à la disposition de) ces autorités, elles savent déjà ce que vous regardez sur Internet, n’est-ce pas ? Elles savent déjà où va votre téléphone, maintenant elles connaissent votre rythme cardiaque et votre pouls (via les bracelets connectés). Que va-t-il se passer lorsque les gouvernements vont commencer à compiler toutes ces données et à les analyser via une intelligence artificielle ?
Et Harari pose la question suivante : si ces bracelets connectés enregistrent notre température et notre pouls, et qu’ils savent que vous regardez une vidéo de propagande ou un discours d’un député du parti au pouvoir, ils pourront savoir que vous êtes en colère (par exemple), car les émotions ne sont qu’un processus biologique, qui se traduit par des données qu’on peut mesurer avec des capteurs (tension, rythme cardiaque, etc.), et ils pourront en déduire qu’untel n’aime pas ce que dit (le pouvoir) ? C’est une chose que les publicitaires le fassent (en traquant nos clics, nos achats, etc.), et c’est déjà inquiétant et dangereux, de même si une banque le fait, ou si un employeur potentiel le fait (analyse de votre comportement sur les réseaux sociaux, etc.). Mais que se passe-t-il lorsque sur une génération, vous avez construit l’architecture de l’oppression ?
Si vous vivez (dans un pays aussi ‘innocent’ que le) Danemark, vous allez vous dire « C’est bon, je suis couvert, ce n’est pas si effrayant, ça va, j’ai confiance en mon gouvernement, et la seule chose qui me fait peur, c’est que les Suédois nous envahissent, ce qu’ils n’ont plus fait depuis le temps des Vikings, donc tout va bien maintenant. » Mais ensuite…
Journaliste : Peut-être qu’ils vont être rachetés par les Etats-Unis…
Edward Snowden : Et puis vous avez un Donald Trump qui arrive au pouvoir, puis vous pensez que…
Journaliste : Oui, oui !
Edward Snowden : Puis les choses deviennent de pire en pire. Vous avez construit un système de tyrannie électronique, et ce système est à la disposition du prochain dirigeant, qui peut à tout moment l’utiliser en secret, et il n’y a plus de pouvoir civil pour y résister, car vous ne pouvez plus vous coordonner (efficacement et discrètement) : vous ne pouvez pas faire de réunions publiques, car le gouvernement sait instantanément que toutes ces personnes sont réunies (grâce aux géolocalisations).
Tous ces téléphones portables sont réunis dans le parc, que ce soit pour discuter politique, pour chanter des chansons, pour n’importe quelle raison. Et la police est sur place en un clin d’œil. En fait, la police n’a même pas besoin d’aller sur place pour prendre des mesures. Elle peut informer votre employeur, et vous n’aurez plus de travail. Elle peut révoquer votre titre de séjour si vous n’êtes pas un citoyen.
Toutes ces choses peuvent se faire via algorithmes, et nous nous rapprochons de plus en plus d’un tel monde, chaque jour où nous laissons la panique motiver nos décisions en lieu et place de la réflexion rationnelle quant aux conséquences inévitables de cette réduction de nos droits. […]
Voir notre dossier sur le coronavirus.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples