Par Moon of Alabama − Le 22 juin 2022
Le 26 mars, le président américain Joe Biden demandait un changement de régime en Russie :
S’exprimant à Varsovie, en Pologne, samedi, le président Biden a déclaré à propos du président russe Vladimir Poutine : « Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir. »
La Maison Blanche s’est immédiatement empressée de revenir sur cet appel à un changement de régime et, le lendemain, Joe Biden lui-même démentait qu’il demandait un changement de régime :
Le président Joe Biden a déclaré aux journalistes dimanche qu’il n’appelait pas à un changement de régime en Russie lorsqu’il a déclaré, hier, que le président russe Vladimir Poutine « ne peut pas rester au pouvoir », un commentaire surprenant sur lequel la Maison Blanche a rapidement tenté de revenir samedi.
Lorsqu’un journaliste lui a redemandé s’il appelait à la destitution de Poutine, M. Biden a répondu « non » en sortant de l’église dimanche après-midi, selon la journaliste Courtney Rozen de Bloomberg.
Toutefois, d’autres services du gouvernement américain ont clairement indiqué que leurs objectifs en Russie allaient bien au-delà d’un changement de régime. Demain, la Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) du gouvernement américain tiendra une séance d’information sur « l’impératif moral et stratégique » qui rend nécessaire la « décolonisation de la Russie ».
Comme le souligne Nicolo Saldo :
Ce qui est remarquable dans ce panel, c’est le passage du thème de la « propagation de la liberté et de la démocratie » à la nécessité de « décoloniser » la Russie.
Les néo-conservateurs sont de retour et utilisent un nouveau discours pour promouvoir leur ancien programme.
Les responsables russes vont adorer ce genre de discours :
Le groupe d’experts d’aujourd’hui fait un pas en avant en ce sens qu’il dit aux Russes ordinaires que même le changement de régime et la démocratie ne sont pas suffisants pour eux. Ils exigent la partition de leur pays en de plus petites entités (plus facilement contrôlables), afin de pouvoir être libres. Inutile de dire que c’est un coup de propagande pour Poutine et le Kremlin, car cela leur permet de dépeindre le conflit en Ukraine comme une lutte existentielle.
Le Kremlin n’a pas besoin de « dépeindre » le conflit comme un combat existentiel. Les Russes savent qu’il s’agit d’un tel combat.
L’inaction de Biden continue d’hypothéquer les chances des Démocrates de conserver la majorité au Parlement.
Dans une faible tentative de s’attaquer au prix élevé du carburant, il va demander aujourd’hui au Congrès de suspendre la taxe sur le carburant pendant trois mois. Ce n’est qu’un effet de style qui n’aura que peu d’effet sur les prix à la pompe et qui n’a aucune chance de passer au Congrès :
Les législateurs du Parti Républicain ont attaqué Biden et les Démocrates pendant la campagne électorale à propos de l’inflation et des prix des carburants. Ils affirment que ces mesures ne sont que du théâtre politique qui n’aura que peu d’effet à long terme sur les prix du pétrole. La meilleure façon de réduire les prix du pétrole, disent-ils, est d’assouplir les réglementations et d’augmenter la production pétrolière américaine. …
La Californie a enregistré le prix moyen de l’essence le plus élevé de tous les États, soit 6,398 dollars le gallon. La suspension de la taxe sur l’essence réduirait le coût d’un gallon de carburant diesel de 24 cents.
La véritable raison des prix élevés du carburant est la politique étrangère malavisée de Biden. Trois des plus grands producteurs de pétrole du monde, le Venezuela, l’Iran et la Russie, sont soumis à des sanctions américaines qui limitent leurs exportations de pétrole :
Les sanctions ont rendu plus difficile la vente du pétrole russe. Biden a également interdit l’importation de pétrole russe, et le mois dernier, l’Europe a annoncé qu’elle lui imposait un embargo partiel.
En 2020, la Russie était le troisième plus grand producteur de pétrole au monde, selon l’Administration américaine d’information sur l’énergie.
Comme le titre correctement le New York Times :
Cette mesure va continuer à avoir des effets boomerang. La Russie vend son pétrole à la Chine et à l’Inde, où il est raffiné. L’essence et le diesel qui en résultent sont ensuite exportés vers les États-Unis. C’est une bonne chose pour l’Inde et la Chine, qui achètent le pétrole avec un rabais et vendent les produits finis avec une marge substantielle. C’est « gagnant » pour la Russie, l’Inde et la Chine, le seul perdant étant l’« Occident ». Quel que soit l’espoir exprimé par le NYT dans son ajout « pour le moment » au titre, cela ne changera rien.
Pendant ce temps, la Russie annonce la prochaine cible de sa campagne visant à contrer l’inconduite de l’« Occident » : le statut de réserve du dollar américain et de l’euro :
MOSCOU, 22 juin. /TASS/
La question de la création d’une monnaie de réserve internationale basée sur les monnaies des États membres des BRICS est à l’étude, a déclaré mercredi le président russe Vladimir Poutine dans son discours de bienvenue aux participants du Forum des affaires des BRICS.
« La question de la création de la monnaie de réserve internationale basée sur le panier de devises de nos pays est à l’étude« , a déclaré le dirigeant russe.
Les BRICS sont actuellement constitués du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud. Ensemble, ces pays représentent 3,2 milliards de personnes et un tiers du PIB mondial en termes de pouvoir d’achat. La nouvelle monnaie de réserve internationale aurait donc un support beaucoup plus important que le dollar américain ou l’euro.
Les États-Unis avancent aussi, mais dans la mauvaise direction.
Certains membres de l’administration Biden font pression pour abaisser les tarifs douaniers de l’ère Trump sur les produits chinois. M.K.Bhadrakumar interprète cela comme une tentative de nouvelle détente avec la Chine. Je doute que l’abaissement des droits de douane ait beaucoup d’effet sur les prix aux États-Unis, car une nouvelle loi entrée en vigueur hier va encore augmenter les prix des marchandises en provenance de Chine. Les États-Unis se réveillent lentement face aux conséquences d’une telle stupidité :
L’administration Biden a déclaré son intention d’appliquer pleinement la loi, ce qui pourrait conduire les autorités américaines à retenir ou à refuser un nombre important de produits importés. Un tel scénario est susceptible de causer des maux de tête aux entreprises et de semer de nouvelles perturbations dans la chaîne d’approvisionnement. Il pourrait également alimenter l’inflation, qui atteint déjà son plus haut niveau depuis quatre décennies, si les entreprises sont contraintes de chercher des alternatives plus coûteuses ou si les consommateurs commencent à se disputer les produits rares.
Si la loi n’est pas pleinement appliquée, le Congrès, qui est chargé du contrôle, risque de s’insurger. « Le public n’est pas préparé à ce qui va se passer », a déclaré Alan Bersin, un ancien commissaire des douanes et de la protection des frontières des États-Unis qui est maintenant président exécutif d’Altana AI. « L’impact de cette situation sur l’économie mondiale, et sur l’économie américaine, se mesure en plusieurs milliards de dollars, pas en millions de dollars. »
Comme le commente avec acidité Bhadrakumar :
Lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine et que l’Occident a imposé des sanctions à Moscou, Washington a menacé la Chine que tout geste de sa part pour aider la Russie à contourner les sanctions déclencherait une punition sévère. Aujourd’hui, la roue a tourné et les États-Unis ont besoin de l’aide de la Chine pour sauver leur économie. C’est le piège de Thucydide à l’envers : une puissance émergente qui vient au secours d’une grande puissance bien établie, dont les extravagances l’ont appauvrie.
J’en doute. Tarifs douaniers ou pas, la Chine n’aidera pas du tout les États-Unis. Elle sait que la guerre par procuration entre les États-Unis et la Russie ne concerne pas seulement l’Ukraine.
L’objectif actuel des États-Unis est peut-être de décoloniser la Russie, mais leur véritable objectif géopolitique est la recolonisation de la Chine.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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