Les auteurs sont professeurs à la Faculté de droit, Université Laval
Le 29 mars 2022, le projet de loi C-264 Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (régimes de pension et régimes d’assurance collective) a été déposé à la Chambre des communes par la députée Marilène Gill. Ce projet s’attaque à la question de la protection des participants à un régime de retraite. L’enjeu d’un tel projet est considérable pour plusieurs raisons :
• Le vieillissement croissant de la population canadienne salariée;
• Le fait qu’aucune entreprise ne soit à l’abri d’une faillite ou d’un problème d’insolvabilité;
• L’adoption récente des régimes de retraite à prestations cibles;
• L’abandon progressif par les entreprises des régimes de retraite à prestations déterminées au profit des régimes à cotisations déterminées;
• La période de relative vulnérabilité financière que constitue la retraite;
• La tendance à trop négliger l’intérêt des retraités (et, plus globalement, des salariés) à titre de parties prenantes dans la gouvernance de l’entreprise.
À ces raisons s’ajoutent les critiques faites au droit en vigueur.
Un droit insuffisant
Le processus de faillite et d’insolvabilité est régi par deux lois fédérales : la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Si la loi d’exécution du budget de 2019 a modifié la procédure suivie sous la LFI et la LACC, le Parlement fédéral a surtout adopté des mesures cherchant à améliorer la sécurité des retraites. L’une de ces mesures consiste à accroître les pouvoirs du tribunal en vertu de la LFI pour annuler certains paiements faits aux administrateurs et aux dirigeants. Mais, le droit de la faillite et de l’insolvabilité se révèle peu protecteur. Les participants des régimes de retraite sont considérés, de manière générale, comme de simples créanciers ordinaires. Par conséquent, leur droit sur les actifs de l’entreprise est subordonné à celui des créanciers prioritaires et hypothécaires. Alors que le projet de loi C-264 ne modifie pas la donne, il améliore le sort des retraités.
Une avancée timide
Le projet de loi propose de rehausser les normes minimales de capitalisation d’un régime de retraite pour que le tribunal approuve une proposition ou homologue un arrangement. Pour obtenir l’approbation ou l’homologation, l’employeur devra effectuer des paiements additionnels à ceux déjà prévus dans la LFI et la LACC. De plus, le projet de loi étend la garantie relative au régime de pension en cas de faillite et de mise sous séquestre à certains paiements. Ces paiements correspondent pour l’essentiel aux « paiements spéciaux », établis conformément à l’article 9 du Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension, que l’employeur est tenu de verser au fonds pour la liquidation d’un passif non capitalisé ou d’un déficit de solvabilité. Enfin, l’ordre de priorité des créances n’est pas fondamentalement bouleversé avec ce projet, malgré certaines améliorations.
Loin d’être une révolution, l’adoption du projet de loi C-264 renforcerait la protection des retraités en accroissant la portion de leurs droits dans le régime grâce notamment à l’exigence du versement de montants spéciaux.
Rouvrir le débat
Le projet de loi C-264 offre l’occasion de débattre de la pertinence des règles protégeant les retraites. Sur ce point, le gouvernement ne devrait pas oublier d’autres solutions ambitieuses pour atteindre cet objectif, certaines ayant déjà été proposées dans le passé :
• Accorder un statut prioritaire aux « paiements spéciaux » requis pour maintenir un régime de retraite en bonne situation financière ou pour honorer les promesses du régime déficitaire en cas de terminaison;
• Placer les retraités au sommet de l’ordre des priorités (comme en Irlande);
• S’assurer d’un financement suffisant des régimes à prestations déterminées;
• Une solution de type assurantiel visant la création d’un fonds spécial de protection des pensions ou permettant aux régimes de retraite à prestations déterminées de transférer la responsabilité de verser les prestations à une société d’assurance-vie réglementée à l’aide d’achat de rentes.
• Interdire aux administrateurs de verser des dividendes en cas de déficit actuariel ou au-delà d’un certain seuil (comme aux États-Unis) ou alourdir leur responsabilité juridique;
• Mettre en place de nouvelles règles de versement des dividendes afin d’attribuer automatiquement une partie des dividendes au fonds de retraite en présence d’un déficit;
• Rendre les procédures d’insolvabilité plus équitables, transparentes et accessibles pour les retraités et les salariés;
• S’assurer d’ouvrir la gouvernance des entreprises à l’intérêt des travailleurs.
La position financière à risque des retraités ne justifie-t-elle pas une protection à la hauteur de ce risque ?
Souhaitons que ce projet de loi ait plus de succès que les projets C-384 et C-372 déposés en 2017, C-405 et S-253 déposés en 2018 ou encore plus récemment, C-253 déposé en 2020. S’il n’est pas adopté, espérons à tout le moins que projet de loi C-264 permettra de mettre la protection des retraites sur l’agenda politique. Pour le gouvernement fédéral et les citoyens canadiens, est-il tolérable que le Canada protège encore si peu les droits de ses retraités en contexte de faillite ou d’insolvabilité ? Ne sommes-nous pas toutes et tous les retraités de demain ?
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal