En couverture, un tableau d’Albert Bierstadt.
I. Nature, épanouissement et civilisation
Un sympathique livre, malheureusement parsemé d’absurdités attendues — il est entre autres écrit par Eva Selhub, « une experte, médecin, autrice, conférencière et consultante de renommée internationale dans les domaines du stress, de la résilience, de la médecine corps-esprit et du travail avec l’environnement naturel en vue d’atteindre une santé et un bien-être maximum. […] Eva Selhub travaille pour la Harvard Medical School et est membre du Benson Henry Institute for Mind-Body Medicine, de renommée mondiale, au Massachusetts General Hospital. » Avec un CV aussi brillant, bien entendu, Eva Selhub n’est pas anti-industrielle, pas une anarchiste naturienne.
C’est-à-dire que si le livre nous apprend, ce qui n’est pas non plus particulièrement surprenant, que la nature est l’environnement le plus propice pour notre épanouissement physique et mental (pour énormément de raisons, mais vous n’avez qu’à lire le livre), que les technologies modernes nous sont particulièrement nocives (particulièrement le numérique et l’internet, les TIC et NTIC qui nous ravagent le cerveau), de même que le milieu urbain/artificiel (là encore pour énormément de raisons, auditives, olfactives, alimentaires, visuelles, kinesthésiques, etc.), il s’empresse d’ajouter que l’on pourrait sûrement concevoir des villes vertes, nous procurant une partie des bénéfices liés au fait de vivre dans la nature, et limiter nos usages délétères de la technologie, etc. (En occultant pleinement la problématique de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique nécessaires pour produire les technologies modernes, l’impact écologique de leur production et mise au rebut, etc.) Une autre civilisation industrielle est possible, verte et cool. Évidemment.
En attendant :
« Le Dr Martha Sanchez-Rodriguez, gérontologue, déclara dans un numéro de Life Sciences paru en 2006 que vivre en ville était un facteur de risque des troubles cognitifs pendant le vieillissement jusqu’à cinq fois plus élevé que lorsque l’on vit à la campagne. Plus précisément, lorsque son équipe compara des groupes de citadins et de ruraux de 60 à 80 ans en bonne santé et ayant une bonne alimentation, elle découvrit que les ruraux obtenaient de meilleurs résultats aux tests destinés à évaluer le déclin cognitif et les troubles cognitifs cliniques liés au vieillissement. Elle découvrit également que les citadins avaient des marqueurs sanguins de stress oxydatif supérieurs à ceux des ruraux et que le stress oxydatif lui-même était étroitement lié aux troubles cognitifs. Comme nous l’avons dit plus tôt, le stress oxydatif a un pouvoir corrosif sur le cerveau. Il opère en tandem avec le stress psychologique. »
& :
« Près d’un demi-siècle s’est écoulé depuis l’époque où les magasins d’électronique nous promettaient que l’informatique créerait une classe oisive. Tous les experts de la prétendue révolution cybernétique jubilaient. Les ordinateurs, nous disaient ces futurologues, étaient le remède à tous les maux individuels, sociaux et mondiaux. Le temps de travail hebdomadaire passerait à 20 heures et les êtres humains vivraient une quasi-utopie. En 1965, Time Magazine faisait sa couverture sur un article qui disait ceci : “À terme, l’ordinateur permettra à l’homme de revenir au concept hellénique de loisir, dans lequel les Grecs avaient le temps de cultiver leur esprit et d’améliorer leur environnement, pendant que les esclaves faisaient tout le travail. Les esclaves, dans l’Hellénisme moderne, seront l’ordinateur.” En 1967, Saturday Review nous annonçait que “les esclaves cybernétiques produits par l’ingéniosité d’un être supérieur” inaugureraient l’âge d’or des loisirs.
Les choses ne se sont pas tout à fait passées comme prévu. En réalité, c’est même le contraire qui s’est produit, car on peut dire que beaucoup d’entre nous sont devenus esclaves de leurs écrans. Nous utilisons les écrans pour consommer quelque 12 heures d’information par jour via la télévision, Internet, les SMS, la musique et les jeux. Les chercheurs qui étudient l’information depuis 1980 ont observé une augmentation massive de sa consommation, et pas seulement au travail : hors travail, elle a progressé de 350 %. En 1999, l’utilisation de l’ordinateur dite “problématique”, c’est-à-dire génératrice d’anxiété et de dépression, était en moyenne de 27 heures par semaine. En 2012, nous avions déjà largement dépassé cette moyenne : nous atteignions ces 27 heures en à peine quelques jours. Nous croulons sous l’information, nous en effleurons à peine la surface et nous sacrifions d’autres activités pour rester sur nos écrans.
Et même quand nous ne sommes pas sous la coupe de nos appareils, nous profitons à peine de notre temps libre, ce qui ne nous empêche pas de continuer à rêver que l’électronique instaure la semaine de 20 heures. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est que les ordinateurs et les appareils sans fil brouilleraient les frontières entre travail et vie privée. Il est désormais normal, voire impératif, de vérifier ses mails professionnels le soir, le week-end et en vacances – 75 % des actifs entre 18 et 44 ans consultent leur messagerie en vacances. Et l’attirance est magnétique : en vacances, près de 40 % disent le faire de manière fréquente ou compulsive. Dans le même temps, les experts en marketing nous séduisent avec la promesse que le dernier gadget sera le bon, que ce iQuelque chose résoudra nos problèmes. Peu importe que des tonnes de ces e‑gadgets soient jugés obsolètes et mis au rebut chaque année – ce qui montre qu’en réalité, le gadget de l’année précédente n’était pas le bon.
La culture des écrans n’a pas fait naître un monde meilleur pour les individus ni, à ce stade, pour la société. Ceux qui sont d’un autre avis auront du mal à expliquer l’épidémie actuelle de stress, la fréquence des troubles mentaux, des troubles de l’apprentissage et du comportement chez l’enfant et des problèmes de sommeil, la baisse du QI et le déficit global de bonheur dans les régions complètement saturées d’applications. Le principe du “plus d’écrans dans plus d’endroits” n’est pas bon pour la santé. Le marketing n’en continue pas moins de vendre l’idée que le bonheur passe par plus d’écrans – des écrans plus grands sur votre mur et des écrans plus petits dans votre poche – et par plus de lien social sur écran. Et pourtant, au vu de notre réalité sociale, où l’empathie est en berne et où le Prozac est livré par camions entiers dans les métropoles proches de chez vous, ce n’est clairement pas le cas. Un énorme fossé s’est creusé entre l’optimisme d’une cyberutopie servi dans les années 1960 et la situation actuelle. »
Selhub et Logan rapportent ce propos du Professeur J. Arthur Thomson, prononcée dans un discours intitulé « Vis Medicatrix Naturae » (que l’on peut traduire par « le pouvoir de guérison de la nature »), lors de l’ouverture de la réunion annuelle de la British Medical Association en 1914 :
« Qu’entends-je ce soir par pouvoir de guérison de la nature ? J’entends la manière par laquelle la Nature vient en aide à nos esprits, tous plus ou moins malades de l’agitation et du vacarme de la civilisation, et aide à stabiliser et à enrichir nos vies. Le premier point est qu’il existe des relations profondément ancrées, établies de longue date et de grande ampleur entre l’Homme et la Nature et que nous ne pouvons pas les ignorer sans y perdre quelque chose […] nous aurions moins de “psychopathologie du quotidien” si nous gardions le contact […] nous nous privons d’un pouvoir de guérison très puissant si nous cessons d’être capables de nous émerveiller devant la majesté du ciel étoilé, le mystère des montagnes, le mouvement perpétuel de la mer, le vol de l’aigle, la floraison de la plus simple des fleurs, le regard d’un chien. »
Malheureusement, à peu près à la même époque, il en fut arbitrairement décidé autrement par d’autres éminents civilisés. Exemple :
« L’un des pères fondateurs de la psychologie nord-américaine, Edward Thorndike, professeur à l’université Columbia, n’avait pas de temps à perdre à parler ou à enseigner les liens émotionnels avec les habitants non humains du monde naturel. Il qualifiait l’amour des plantes d’“idolâtrie insensée et malveillante” et déclarait avec fermeté que les animaux étaient “totalement indifférents aux sentiments que nous pouvons éprouver à leur égard”. Il méprisait les médecins qui se décrivaient comme des naturalistes, déclarant qu’ils psychologisaient “les animaux comme un amoureux psychologise celui ou celle qu’il aime”. Thorndike, qui allait influencer des générations de psychologues, déclarait : “Le garçon qui collectionne les papillons, qui vole les œufs des oiseaux, qui retourne le malheureux crabe sur le dos et observe avec fascination les terribles efforts qu’il déploie pour se retourner, qui démonte ses figurines d’animaux pour ensuite les remonter, est plus proche d’une démarche scientifique que le noble produit de l’étude sentimentale de la nature qui affectionne les vers de terre et prend soin de ses chères plantes.”
À quelques rares exceptions près, les déclarations de Thorndike furent suivies par des décennies de silence autour de l’importance de notre lien affectif à la faune et à la flore pour la santé mentale positive et de l’idée que les plantes et les animaux étaient extrêmement affectés par les sentiments que nous éprouvions pour eux. »
C’est seulement depuis quelques années que la vision dominante commence à changer, avec l’organisation d’études dûment menées par divers scientifiques, et que l’on en revient à comprendre, comme nous l’expliquent Selhub et Logan, que :
« Si la nature semble profondément bonne pour la cognition, les conséquences à long terme sur le cerveau sont probablement encore plus importantes. Les espaces verts améliorent clairement le mental et soulagent le poids du stress sur l’organisme. À ce titre, ils aident à long terme le cerveau à rester aussi vif que possible tout au long du vieillissement. La dépression et le stress à bas bruit ont un pouvoir corrosif. Ils sont une sorte de rouille qui attaque les neurones, accélérant le vieillissement normal du cerveau. La nature, en revanche, a le pouvoir d’encourager la croissance et le remodelage continus des neurones tout au long de la vie. Elle améliore ce que l’on appelle la “plasticité du cerveau”.
[…] Une étude au moins a déjà montré que marcher en forêt (en comparaison du même temps passé à marcher dans un environnement urbain) provoque une hausse significative de la déhydroépiandrostérone (DHEA). Ce fut une découverte importante, car ce neurostéroïde diminue avec l’âge et son administration a montré qu’il améliorait les performances cognitives chez les adultes. La DHEA favorise à son tour la production d’autres hormones – notamment des hormones de croissance – et le maintien de l’acuité cognitive au cours du vieillissement. Les personnes âgées en bonne santé ayant de hauts niveaux d’hormones de croissance résistent au déclin cognitif. Mais le mode de vie occidental moderne fait baisser les niveaux de DHEA chez les personnes âgées. Et comme le cortisol, l’hormone du stress, interfère avec la production de DHEA, il ne serait pas surprenant de découvrir un lien entre une baisse de la DHEA et une hausse du stress et de l’anxiété tout au long du vieillissement. »
*
Comme le notait Paul Shepard, notre cerveau,
« qui permettait si bien au primate terrestre de s’orienter dans une niche du Pléistocène, est évidemment peu adapté à l’existence moderne marquée par la surpopulation et le recul de la nature.
Nous ne sommes pas l’espèce généralisée que certains revendiquent. L’ontogenèse humaine (notre évolution à travers les âges), comparable en cela à notre système nerveux central, est un complexe biologique très finement équilibré. Le paradoxe de ce que nous avions interprété comme une adaptabilité sans limites et une extrême spécialisation de la volonté humaine résoudra probablement ses propres contradictions au 21ème siècle. Alors, peut-être, une fois que nous aurons mené notre adaptabilité à ses limites physiques et psychologiques, nous découvrirons que les choix culturels, à la différence de nos corps, ne connaissent aucune limite naturelle et aucune exigence propre. Les contraintes sont mal vues par l’idéologie, faite d’aspirations illimitées, qui gouverne les sociétés riches ; mais dans cette bousculade d’individus qui se créent tout seuls, le moi humain est généralement béant comme une blessure. Nos choix culturels sont récompensés ou punis en fonction de nos natures respectives. Ces contraintes font partie d’un héritage biologique universel adapté à la réalité du Pléistocène, et affiné au cours de ces trois millions d’années qui se sont achevées il y a environ 10 000 ans. »
En d’autres termes, nous sommes faits pour vivre dans la nature, de la manière dont nous avons vécu pendant l’immense majorité de l’existence humaine. Les catastrophes sociales et écologiques qu’on observe, parfaitement liées, découlent selon toute évidence du fait que les humains vivent désormais tous et toutes en civilisation. Mais « les contraintes sont mal vues par l’idéologie », alors nous allons probablement continuer encore sur cette voie, jusqu’à — jusqu’à, eh bien, qui vivra verra. En tout cas, ça risque de n’être pas réjouissant.
Notre seul espoir, semble-t-il, serait donc un mouvement d’écosabotage déterminé à faire écrouler la civilisation industrielle.
II. Sur le suffrage universel et les « démocraties » modernes
« Vous êtes aujourd’hui, comme toujours, les avocats des intérêts exclusivement bourgeois, et, à ce point de vue, vous avez mille fois raison, Messieurs, de vous extasier devant le suffrage universel, qui, tant que la révolution sociale n’aura point établi les bases d’une égalité et d’une liberté réelles pour tous, sera certainement l’instrument le plus efficace de la démocratie bourgeoise, le meilleur moyen de tromper le peuple, de l’endormir et de le dominer tout en se donnant l’air de ne vouloir |95 qu’une seule chose : le servir ; le meilleur moyen pour assurer, au nom même de la liberté, cette prospérité des bourgeois, qui se fonde sur l’esclavage économique et social des masses populaires.
Est-ce à dire que nous, socialistes révolutionnaires, nous ne voulions pas du suffrage universel, et que nous lui préférions soit le suffrage restreint, soit le despotisme d’un seul ? Point du tout. Ce que nous affirmons, c’est que le suffrage universel, considéré à lui seul et agissant dans une société fondée sur l’inégalité économique et sociale, ne sera jamais pour le peuple qu’un leurre ; que, de la part des démocrates bourgeois, il ne sera jamais rien qu’un odieux mensonge, l’instrument le plus sûr pour consolider, avec une apparence de libéralisme et de justice, au détriment des intérêts et de la liberté populaires, l’éternelle domination des classes exploitantes et possédantes.
Nous nions par conséquent que le suffrage universel soit même un instrument dont le peuple puisse se servir pour conquérir la justice ou l’égalité économique et sociale ; puisque, comme je viens de le démontrer, le suffrage universel exercé par le peuple, en dehors des conditions de cette égalité et de cette justice, au milieu de l’inégalité et de l’injustice qui règnent dans la société actuelle, au milieu de la dépendance et de l’ignorance populaires qui en sont les résultats naturels et fatals, produira nécessairement et toujours un vote contraire aux intérêts du peuple et favorable seulement aux intérêts et à la domination des bourgeois. »
— Mikhaïl Bakounine, Manuscrit de 114 pages (1870)
III. Sur le vote
« Disons-le bien haut : que le bétail électoral soit tondu, mangé, accommodé à toutes les sauces, qu’est-ce que cela peut bien nous faire ? Rien.
Ce qui nous importe, c’est qu’entraînés par le poids du nombre nous roulons vers le précipice où nous mène l’inconscience du troupeau. Nous voyons le précipice, nous crions « Casse-cou ! » Si nous pouvions nous dégager de la masse qui nous entraîne, nous la laisserions rouler à l’abîme ; pour ma part même, le dirai-je ? je crois bien que je l’y pousserais. Mais nous ne le pouvons pas. Aussi devons-nous être partout à montrer le danger, à dévoiler le bonimenteur. Ramenons sur le terrain de la réalité le bétail électoral qui s’égare dans les sables mouvants du rêve.
Nous ne voulons pas voter, mais ceux qui votent choisissent un maître, lequel sera, que nous le voulions ou non, notre maître. Aussi devons-nous empêcher quiconque d’accomplir le geste essentiellement autoritaire du vote. »
— Albert Libertad, « Le bétail électoral » (1906)
IV. Sur la bombe atomique, l’irresponsabilité généralisée et le totalitarisme machinique
« Mais que nous dérivions vers […] l’aube du totalitarisme machinique, que nous nous trouvions aujourd’hui déjà dans son champ de gravitation ; que ces énoncés sur demain deviennent plus vrais de jour en jour — voilà une réalité qu’il est déjà trop tard de contester. Les “tendances” sont aussi des faits. Un seul exemple suffit à le prouver.
Celui de l’actuel armement atomique. Que signifie-t-il ?
Que des millions d’entre nous sont employés, comme la chose la plus naturelle, à co-préparer la possible liquidation de populations, peut-être même de toute l’humanité, et aussi à la co-réaliser “en cas de conflit” ; et que ces millions de gens acceptent et remplissent ces “jobs” avec autant de naturel qu’ils leur ont été proposés ou distribués. La situation actuelle ressemble donc, de la plus épouvantable manière, à celle d’antan. Ce qui s’était appliqué à l’époque, à savoir que les employés remplissaient leurs fonctions de manière consciencieuse,
− parce qu’ils ne voyaient plus rien d’autre en eux-mêmes que les pièces d’une machine ;
− parce qu’ils prenaient à tort l’existence et le bon fonctionnement de celle-ci pour sa justification ;
− parce qu’ils demeuraient les “détenus” de leurs missions spéciales et restaient donc séparés du résultat final par une quantité de murs ;
− parce que, en raison de ses énormes dimensions, ils étaient rendus incapables de se le représenter ; et en raison de la médiateté de leur travail, incapables de percevoir les masses d’êtres humains à la liquidation desquels ils contribuaient ;
− ou bien parce que, comme votre père, ils exploitaient cette incapacité, tout cela donc s’applique encore aujourd’hui. Et s’applique même aujourd’hui aussi — ce qui rend tout à fait étroite la ressemblance entre la situation actuelle et celle d’alors —, que ceux qui se refusent à une telle participation, ou qui la déconseillent à autrui, deviennent déjà suspects de haute trahison.
Tout cela vaut donc pour aujourd’hui aussi, peu importe que ce soit encore, ou à nouveau déjà.
Remarquez-vous une chose, Klaus Eichmann ? Remarquez-vous que le prétendu “problème Eichmann” n’est pas un problème d’hier ? Qu’il n’appartient pas au passé ? Que pour nous — et, disant cela, il y a vraiment très peu de gens que je puisse exclure — n’existe pas de motif pour se montrer arrogants au regard d’hier ? Que nous tous, exactement comme vous, sommes confrontés à quelque chose de trop grand pour nous ? Que nous tous refusons l’idée de ce trop grand pour nous et de notre manque de liberté face à lui ? Que nous tous, par conséquent, sommes également des fils d’Eichmann ? Du moins des fils du monde d’Eichmann ? »
— Günther Anders, Nous, fils d’Eichmann (1964)
& en effet, c’est aux travaux de centaines de milliers de scientifiques et d’ingénieurs que nous devons l’arme nucléaire et tout l’armement hautement technologique contemporain. De même que c’est à des scientifiques et des ingénieurs que nous devons le chevalet de pompage de pétrole et toutes les technologies précipitant la destruction du monde et le réchauffement climatique, ainsi que toutes celles facilitant la répression, la surveillance et le contrôle des populations. Tout ce qu’on nous apprend à révérer fait partie du problème.
Dans le monde entier, des milliers de scientifiques participent aussi allègrement à des expérimentations animales en laboratoire, torturant et tuant des millions d’animaux chaque année. Outre leur aspect immédiatement ignoble, ces activités, ces professions, comme beaucoup d’autres, ont par la suite des effets innombrables, quasiment inconnaissables. Telle est une des manifestations de l’ignominie, de l’inhumaine démesure de la civilisation industrielle. Au travers de nos activités, professions, emplois salariés, comme au travers de notre consommation, en raison de l’immensité et de l’opacité du système technologique, industriel, politique et économique mondialisé, nous cautionnons de nombreuses choses dont nous ignorons parfois — sinon souvent — jusqu’à l’existence.
& dans l’ensemble, nous nous accommodons assez bien, semble-t-il, de cette ignorance et de l’irresponsabilité que tout cela implique.
V. « FAIRE LE LIT DE MARINE LE PEN ?
« “Ne nous décevez pas et allez voter. Ne commettez pas la funeste erreur de l’abstention.”
— Marine Le Pen, Discours du 1er mai, place de l’Opéra, Paris, à la veille des élections européennes des 22 et 25 mai 2014.
17.#angoisse Ayant pris connaissance du projet de ce livre, cet ami me l’a dit avec une véhémence inhabituelle : « S’abstenir, c’est faire le lit de Marine Le Pen ! »
“Sincère angoisse, colère, intimidation sophistique ?” me suis-je un instant demandé. “Angoisse sincère”, ai-je pensé in fine ; angoisse générée par une propagande de fond, si peu mise en question par la presse, tellement martelée par certains politiciens sur la base d’un postulat sans cesse radoté : “Si tu ne votes pas pour un parti républicain, tu fais le jeu du FN.”
18.#propagande « Quand l’abstention fait le lit de l’extrême droite », titrait ainsi Le Nouvel Observateur en juin 2002, avant le premier tour des élections législatives, lequel enregistra pourtant une hausse significative du taux d’abstention (de 32 % en 1997 à 35,60 % en 2002), mais une baisse tout aussi nette du FN (de 14,94 % des exprimés en 1997 à 11,34 % en 2002)… De même, l’émission “Façon de penser” du Mouv’ (station de Radio France “à destination des publics jeunes”) du 26 mars 2014 continuait d’affirmer, entre les deux tours des dernières élections municipales, et sans la moindre argumentation : “On serait tenté de dire que l’abstention est une attitude irresponsable qui met en danger la démocratie : d’abord, parce qu’elle fait le lit du Front national…”
Ce délire médiatique s’articule malheureusement à la désinformation délibérée de certains politiciens patentés. Ainsi, Frédéric Barbier (PS) étant vainqueur d’une élection législative partielle dans le Doubs, le dimanche 8 févier 2015, son concurrent UMP vaincu, Édouard Philippe, déclarait le lendemain matin, au micro de Jean-Jacques Bourdin (RMC-BFMTV), sans sourciller : “Systématiquement, quand les participations sont faibles, les scores du Front national sont plus élevés. C’est une mécanique dont il faut avoir conscience.”
De même, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, assenait le 15 mars 2015, sur France 5, à la veille des élections départementales des 22 et 29 mars : “Le problème, c’est que le Front national a quasiment tout le temps le même nombre de voix. Mais l’abstention est là. Si vous avez de l’abstention, le Front national est beaucoup plus haut.” Cinq jours plus tôt, Marion Maréchal-Le Pen, députée FN, soutenait exactement le contraire sur les ondes de France Info : “J’invite à lutter contre l’abstention, parce que l’expérience des campagnes prouve que plus la participation est forte, plus le Front national est fort.”
Comprenne qui pourra…
19.#politologie Heureusement, il y a justement moyen de comprendre, si nous le souhaitons vraiment et si nous nous donnons la peine d’analyser rigoureusement ce que les politologues appellent les “déterminants” des votes en faveur du FN.
Ainsi, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’institut français d’opinion publique (Ifop), pouvait expliquer au journaliste Laurent de Boissieu, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2012, que “l’abstention pénalise le Front national”. Et précisait : “C’est une erreur de penser qu’une forte abstention favoriserait mécaniquement l’extrême droite en s’imaginant que, par nature, son électorat radical se mobiliserait davantage que ceux des partis de gouvernement. […] Les dirigeants du FN disent d’ailleurs eux-mêmes que l’abstention est leur principal adversaire.”
Son analyse fut amplement vérifiée deux ans plus tard. Lors du premier tour des élections municipales de 2014, dans les 110 communes où le Front national obtient plus de 20 % des suffrages, la participation moyenne fut bien plus élevée (62,33 %) que la participation moyenne nationale. De quoi démentir l’affirmation selon laquelle les scores élevés du FN seraient dus à l’abstention. Ainsi, à Villers-Cotterêts (Aisne), le parti du clan Le Pen obtenait même 40,30 % des suffrages exprimés, alors que le taux de participation s’élevait jusqu’à 68,47 %. À Carros (Alpes-Maritimes), le Front national récoltait 35,75 % des voix, avec une participation de 70,7 %. Les exemples pourraient être multipliés…
Déjà, entre les élections régionales (premiers tours) de 2004 et de 2010, l’abstention explosait de 34,34 % à 48,79 % (+ 14,45 % !), tandis que le vote frontiste désenflait de 14,7 % à 11,42 % des suffrages exprimés (- 3,28 %). J’ajoute qu’entre 2010 et 2015 (toujours aux premiers tours des élections régionales) l’abstention stagnait de 48,79 % à 49,91 % (+ 1,19 %), tandis que le vote FN progressait en flèche de 11,42 % à 27,73 % (+ 16,31 %, soit + 801 759 voix).
De façon plus générale, aux élections présidentielles, notamment en 2012, le Front national obtient de bons scores malgré une faible abstention. Et il lui arrive souvent de faire de mauvais scores alors que l’abstention est élevée, comme lors des législatives 2012, des régionales 2010, des européennes et des régionales 2004…
On ne peut faire de plus claires démonstrations qu’il n’existe aucun lien mécanique entre le vote FN et l’abstention.
20.#épouvantails II n’empêche. Le Premier ministre Manuel Valls n’a cessé d’affirmer que l’abstention profite au FN lors de la campagne pour les élections départementales de 2015, afin de remobiliser les électeurs “républicains”. Le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, entonnait, je l’ai dit, le même refrain : “Si vous avez de l’abstention, le Front national est beaucoup plus haut.”
Une fois de plus, les faits les ont contredits. Dans des cantons, comme ceux de Fréjus (Var), Le Pontet (Vaucluse), Vic-sur-Aisne (Aisne), où le FN l’a emporté dès le premier tour, les taux de participation ont été supérieurs à la moyenne nationale. À l’inverse, dans le Val‑d’Oise, où fut enregistrée l’une des plus fortes abstentions de l’Hexagone (59,5 %), les candidats frontistes ont obtenu un score légèrement inférieur à la moyenne nationale (24,8 %) des résultats du FN. Le lien organique entre abstention et vote Front national était à nouveau renvoyé au rayon des épouvantails du grand bazar politique. »
— Antoine Peillon, Voter, c’est abdiquer (2017)
VI. L’ONG-isation ou la professionnalisation de la résistance
est une terrible nuisance. Au travers de l’institutionnalisation du principe de l’ONG, l’État et le capitalisme ont institutionnalisé un simulacre d’opposition, une protestation en trompe l’œil permettant de donner le change aux yeux de monsieur et madame tout le monde. Toutes les ONG ne sont bien entendues pas uniformément nuisibles. Mais toutes les plus connues, c’est-à-dire, bien souvent, les plus richement dotées, le sont — ce qui, là encore, n’empêche pas qu’elles puissent, ci et là, entreprendre des actions qui, considérées isolément, sont tout à fait louables.
Cela signifie surtout qu’elles ne s’opposeront jamais frontalement à l’ensemble du monde qui leur permet d’exister, qu’elles ne développeront et n’exprimeront jamais d’analyse ou de perspective générale contrariant sérieusement les ambitions des dominants. Oxfam, par exemple, qui prétend lutter « contre les inégalités et l’injustice de la pauvreté », mobiliser « le pouvoir citoyen contre la pauvreté », ne se prononce pas en faveur de l’abolition de la propriété privée et héréditaire, de l’État, du système marchand, en faveur de la désindustrialisation, de la détechnologisation, de la désurbanisation, n’appelle pas à l’expropriation ou à « Tuer les mandarins, tuer les riches, épargner le peuple », comme les Nian, en Chine, au milieu du XIXème siècle, mais demande seulement que « les grandes fortunes » paient « leur juste part d’impôt », mais nous propose de « mettre les banques au service du climat » au travers d’un formidable « guide vers une épargne verte ». Autrement dit, Oxfam fait la promotion des mensonges verts habituels sur le plan écologique et des inepties habituelles ou, disons, de platitudes relativement inoffensives en matière de social.
Même chose pour bon nombre d’ONG.
& l’« ONG-isation de la résistance », c’est aussi sa professionnalisation, qui fait qu’on se retrouve avec des « activistes professionnels » (contestataires professionnels), salariés, payés pour organiser des manifestations, rassemblements et autres happenings, chanter « on est plus chauds, plus chauds, plus chauds que le climat », etc., et qui — avec, semble-t-il, une grande fierté, sans voir l’absurdité, le ridicule de la situation — affichent ainsi « chargé de mobilisation » pour telle ou telle ONG sur leur glorieux CV (et leur profil LinkedIn). & bien souvent, au cours de leur brillante carrière de révolutionnaire professionnel, ces « activistes professionnels » passeront fluidement d’une ONG à une autre — c’est, de toute façon, du pareil au même, le fonctionnement est le même, seuls les mots-clés changent.
Au plus simple, on peut parler de « cogestion » du désastre. En échange d’un salaire plus ou moins important (en fonction de l’échelon où il se situe dans l’organisation), l’employé d’ONG accepte de participer à la grande valse du compromis, de ne pas s’opposer à la source des maux qu’il va s’employer à dénoncer (lorsqu’il a conscience de la véritable source de ces maux, ce qui est loin d’être toujours le cas), mais plutôt de plaider en faveur de réformes, de changements mineurs, voire purement cosmétiques.
(Sur le graphique, les flèches indiquent un financement et/ou partenariat. Je n’ai évidemment pas pu tout représenter. La toile dans laquelle Oxfam est imbriquée est très vaste !)
Plusieurs textes discutent de ce problème majeur sur Le Partage : https://www.partage-le.com/category/fabrique-du-consentement/nos-amies-les-ong/
VII. Nouveau rapport du GIEC, oh mon dieu ça va mal
Énième rapport du GIEC. Énième éructation médiatique. Énième rien du tout. Évidemment.
Dans le « résumé à l’attention des faiseurs de lois » — aussi appelé « résumé à l’intention des décideurs » — de son dernier rapport, le GIEC continue de faire ce qu’il est conçu pour faire. Mentir. Prétendre que les problèmes dont il s’inquiète — ou plutôt, LE problème dont il s’inquiète, le réchauffement climatique — pourrait être résolu par l’entité qui est en train de le produire. Autrement dit, le GIEC prend les choses à l’envers. Au lieu de chercher à s’attaquer au vrai problème, à savoir l’existence de la civilisation industrielle, il se préoccupe uniquement d’un de ses nombreux effets : le changement climatique. L’existence de la civilisation industrielle est une donnée à conserver.
« Car la société de masse (c’est-à-dire ceux qu’elle a intégralement formés, quelles que soient leurs illusions là-dessus) ne pose jamais les problèmes qu’elle prétend “gérer” que dans les termes qui font de son maintien une condition sine qua non. On n’y peut donc, dans le cours de l’effondrement, qu’envisager de retarder aussi longtemps que possible la dislocation de l’agrégat de désespoirs et de folies qu’elle est devenue ; et on n’imagine y parvenir, quoi qu’on en dise, qu’en renforçant toutes les coercitions et en asservissant plus profondément les individus à la collectivité. » (Semprun & Riesel, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, 2008)
C’est ainsi que dans le « résumé à l’attention de ceux qui font les lois » (c’est-à-dire pas à votre attention ni à la mienne) du dernier rapport du GIEC, le mot « développement » apparaît 125 fois, l’expression « développement durable » 15 fois, résilient ou résilience 102 fois, etc. Pour sauver le monde, ce qu’il nous faut, c’est un « développement durable pour tous », un « développement climatiquement résilient », une « résilience infrastructurelle », des « marchés énergétiques adaptatifs au climat », c’est « développer » les « énergies renouvelables (éolien, solaire) », c’est « développer » la « résilience climatique des systèmes de santé », développer « des partenariats efficaces entre les gouvernements, la société civile et les organisations du secteur privé ». Fort heureusement, tout ceci fournit « de multiples possibilités d’investissements ciblés », l’occasion de développer une « finance adaptative », car bien entendu « les finances publiques sont un facteur important d’adaptation », de même, plus généralement, que « les ressources technologiques et financières ». C’est pourquoi il nous faut développer des « technologies de réseau intelligent » (smart-grid technologies), mais aussi « une planification inclusive, intégrée et à long terme aux niveaux local, municipal, infranational et national, ainsi que des systèmes de réglementation et de suivi efficaces ». D’ailleurs, par chance, « l’urbanisation mondiale rapide offre des possibilités de développement climatiquement résilient ». Etc. (Blablabla développement, blablabla résilience, blablabla durable, blablabla vite, vite, vite, blablabla investir, blablabla technologie, bref, la langue de bois des experts et des scientifiques).
En vérité, le seul moyen d’endiguer le problème dont les productions du GIEC s’inquiètent (le réchauffement climatique), ainsi que la plupart des autres problèmes majeurs auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés (la dépossession politique totale sous le règne de l’État, c’est-à-dire l’érosion totale de la liberté ou de l’autonomie humaine, les inégalités monstrueuses, la destruction ou pollution de la nature tous azimuts), c’est d’en finir avec le monde qui produit le GIEC. (Le GIEC, c’est comme les satellites. Un outil d’observation de la destruction du monde conçu grâce à cette destruction du monde, et incapable de se retourner contre son créateur.)
En finir avec le technocapitalisme, avec la civilisation industrielle dans son intégralité. Faire machine arrière, désindustrialiser, détechnologiser, démanteler l’État, désurbaniser, décroître tous azimuts.
(Mais évidemment, ceux qui apprécient la domination, qui ont appris à aimer leur servitude, la planification intégrale de leur existence par l’État, les gouvernements, le « secteur privé », etc., préfèreront s’en remettre aux « faiseurs de lois », aux « décideurs », et croiser les doigts en espérant qu’une civilisation techno-industrielle écodurable puisse vraiment voir le jour.)
VIII. Sur la dépossession
Dans la même veine, Bernard Charbonneau voyait très juste en écrivant (c’était en 1945) qu’il importait tout particulièrement que nous prenions
« conscience de l’autonomie du technique dans notre civilisation. Condition la plus élémentaire mais aussi nécessaire, tellement humble qu’elle ne relève pas d’une opération intellectuelle, mais d’une expérience de la situation objective ; prise de conscience, non d’un système idéologique, mais d’une structure concrète atteinte dans la vie quotidienne : la bureaucratie, la propagande, le camp de concentration, la guerre. Tant que nous n’aurons pas l’humilité de reconnaître que notre civilisation, pour une part de plus en plus grande, se définit par des moyens de plus en plus lourds ; tant que nous continuerons à parler de notre guerre, de notre politique, de notre industrie comme si nous en étions absolument les maîtres, le débat ne s’engagera même pas.
Je sais à quel point cette prise de conscience est contre nature. L’esprit humain, instinctivement, répugne à enregistrer ses défaites, il est si commode de se croire fatalement libre, et de rejeter une exigence de liberté qui commence à l’oppressante révélation d’une servitude. Mais si nous savons considérer en face l’autonomie de nos moyens et les fatalités qui leur sont propres, alors, à ce moment, commence le mouvement qui mène à la liberté. Car la liberté n’a jamais pu naître qu’à partir de la prise de conscience d’une servitude ; je crois que l’horreur de ne pas être maître de ses moyens est si naturelle à l’esprit humain qu’une fois ceci acquis, le reste suivra ; mais c’est aussi là que se situera le refus.
[…] Cette prise de conscience est la constatation d’une situation objective, elle est donc effort d’objectivité. Mais comme tout effort d’objectivité elle ne peut naître que d’une expérience intérieure qui extériorise l’objet. Si nous n’arrivons pas à considérer objectivement nos moyens, c’est parce qu’ils expriment une de nos tendances profondes que leur emploi cultive d’ailleurs systématiquement. La technique et la machine, c’est la puissance et un esprit centré sur la puissance s’identifie à elle : il lui sera donc impossible de les considérer de l’extérieur dans l’action qu’elles peuvent exercer sur les hommes.
[…] La prise de conscience de l’autonomie du technique n’est donc pas simple affaire de connaissance, elle suppose un affaiblissement de cette volonté de puissance, de ce besoin de dominer les choses et les hommes, de cet activisme qui tient lieu à l’individu moderne de religion. »
Pour le dire autrement, tant que nous n’admettrons pas que le monde moderne nous dépasse largement, est massivement hors de notre contrôle, que plus rien, ou presque, n’est à la mesure de l’être humain, que la liberté dont on nous rebat les oreilles est une chimère, qu’à moins d’une refonte radicale, d’un démantèlement de l’organisation sociale planétaire dominante, d’un retour à des sociétés à échelle humaine, aucun des nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne saurait être résolu, nous parlerons essentiellement pour ne rien dire.
Pour le dire encore autrement, le sentiment de liberté que certains peuvent ressentir découle de leur identification à l’État ou au développement technique, à la machine. Ce sont eux qui sont libres, pas nous.
Nicolas Casaux
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