Extradition de Julian Assange : la prochaine étape

Extradition de Julian Assange : la prochaine étape
Par Craig MURRAY
Traduction : Viktor Dedaj pour Le Grand Soir

Alors que Julian est toujours, sans raison valable, détenu dans une prison de haute sécurité, le processus juridique entourant son extradition continue de serpenter à travers le maquis du système juridique britannique. Aujourd’hui, la Cour Suprême a refusé d’entendre l’appel de Julian, qui était fondé sur sa santé et l’effet sur celle-ci d’une incarcération dans les conditions du service pénitentiaire des États-Unis. Elle a déclaré que son appel n’avait « aucun fondement juridique défendable ».

Il s’agit d’un revers qui, très probablement, va maintenir Julian en prison pendant au moins une année supplémentaire.

Les motifs juridiques que la Haute Cour avait précédemment jugés défendables étaient que le gouvernement américain n’aurait pas dû être autorisé à donner en appel de nouvelles assurances diplomatiques (très conditionnelles) concernant le traitement d’Assange, qui n’avaient pas été proposées en première instance pour être prises en compte dans la décision initiale. Un argument important pour que cela ne soit pas autorisé est que si elles étaient données au tribunal de première instance, la défense pourrait discuter de la valeur et de la conditionnalité de ces assurances ; des preuves pourraient être produites et la question pourrait être évaluée par le tribunal.

En n’introduisant les assurances qu’au stade de l’appel (qui ne porte que sur des points de droit et n’a pas pour mission d’établir les faits), les États-Unis ont évité tout examen de leur validité. Le Home Office a toujours soutenu que les assurances diplomatiques devaient être acceptées sans discussion. Le ministère de l’Intérieur tient à cette position car elle facilite l’extradition vers des pays dont le bilan en matière de droits de l’homme est épouvantable.

En déclarant qu’il n’y a pas de point de droit défendable, la Cour Suprême accepte que les assurances diplomatiques ne soient pas testées et soient prises pour argent comptant, ce qui a été un point de controverse majeur dans la jurisprudence récente. Il est maintenant établi que nous renverrons quelqu’un en Arabie saoudite si les Saoudiens nous donnent un morceau de papier promettant de ne pas lui couper la tête.

J’ai été particulièrement intéressé par le fait que la Cour suprême ait refusé d’entendre l’appel de Julian au motif qu’il n’y avait « aucun point de droit défendable ». Lorsque la Cour suprême a refusé d’entendre mon propre appel contre l’emprisonnement, elle a plutôt énoncé sa formulation alternative, il n’y avait « aucun point de droit défendable d’intérêt public général ». Cela signifie qu’il y avait un point de droit défendable, mais qu’il s’agissait simplement d’une injustice individuelle, qui n’avait d’importance pour personne, sauf pour Craig Murray.

À mon avis, avec le gouvernement conservateur très ouvert sur son désir de couper les ailes des juges et de réduire la portée de la Cour Suprême en particulier, la Cour évite ainsi de s’attirer les foudres.

L’extradition est donc maintenant confiée à Priti Patel, le ministre de l’Intérieur, qui doit décider de l’extrader ou non. La défense a quatre semaines pour présenter ses arguments à Patel, qu’elle doit entendre. Certains membres de la droite libertaire du parti Tory s’opposent à l’extradition pour des raisons de liberté d’expression, mais Patel n’a pas une seule pensée libertaire dans sa tête et semble se délecter de la déportation, donc personnellement je n’ai pas d’espoir particulier pour cette étape.

En supposant que Patel autorise l’extradition, l’affaire retourne au tribunal d’origine et au juge Baraitser pour l’exécution. C’est là que ce processus prend une tournure remarquable.

La procédure d’appel qui vient de s’achever était l’appel initié par le gouvernement des États-Unis contre la décision initiale de Baraitser selon laquelle la combinaison de la santé de Julian et des conditions auxquelles il serait confronté dans les prisons américaines signifiait qu’il ne pouvait pas être extradé. Le gouvernement américain a obtenu gain de cause devant la Haute Cour. Julian a ensuite essayé de faire appel de ce verdict de la Haute Cour auprès de la Cour suprême, mais l’autorisation lui a été refusée.

Mais Julian lui-même n’a pas encore fait appel devant la Haute Cour, et il pourra le faire une fois que l’affaire aura été renvoyée à Baraitser par Patel. Son appel portera sur les motifs pour lesquels Baraitser a initialement donné raison aux États-Unis. Il s’agit principalement de :

– l’utilisation abusive du traité d’extradition qui interdit spécifiquement l’extradition politique ;
– la violation de l’article 10 de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’homme relatif à la liberté d’expression ;
– l’utilisation abusive de la loi américaine sur l’espionnage ;
– l’utilisation de preuves corrompues, payées par un fraudeur condamné qui a depuis reconnu publiquement que son témoignage était faux ;
– l’absence de fondement de l’accusation de piratage.

Aucun de ces points n’a encore été examiné par la Haute Cour. Il semble remarquablement étrange qu’après être passé une fois par la procédure d’appel, tout recommence une fois que Priti Patel a pris sa décision, mais c’est le jeu fou auquel la loi nous soumet. Cela ne pose aucun problème à l’establishment politique, bien sûr, car cela leur permet de garder Julian enfermé sous haute sécurité à Belmarsh.

La défense avait demandé à la Haute Cour d’examiner ce que l’on appelle les points de « l’appel croisé » en même temps que l’appel américain, mais la Haute Cour a refusé.

Le rayon de lumière qu’était la décision de Baraitser sur la santé et les conditions de détention est donc définitivement éteint. Cela signifie qu’au lieu d’avoir la possibilité d’être libéré par la Cour suprême cet été, Julian risque de passer au moins un an de plus à Belmarsh, ce qui doit être un coup dur pour lui juste avant son mariage.

D’un point de vue plus positif, cela signifie qu’enfin, dans une cour supérieure, les arguments qui comptent vraiment seront entendus. J’ai toujours éprouvé une certaine ambivalence à l’égard des arguments fondés sur la santé de Julian, alors que l’enjeu est bien plus important, et je n’ai jamais fait état personnellement de ses problèmes de santé par respect pour sa vie privée. Mais maintenant, la Haute Cour va devoir se demander si elle souhaite vraiment extrader un journaliste pour avoir publié des preuves de crimes de guerre systématiques commis par l’État qui demande son extradition.

Voilà qui mérite d’être rapporté.

Craig Murray

***

En France, Le Monde et Mediapart sont de beaux exemples de cette fausse gauche atlantiste, qui a soutenu les groupes terroristes en Syrie (en les présentant comme des « rebelles », démocrates ou autres), diffamé et abandonné Assange après avoir profité des révélations de Wikileaks et porte le folliculaire Navalny aux nues. Cf. par exemple cet éditorial du Monde suite à l’arrestation d’Assange et à son inculpation par les Etats-Unis, développements qui lui donnaient entièrement raison : au lieu de faire son mea culpa, Le Monde s’enfonce ignominieusement :

« Julian Assange est un justiciable comme les autres. Ses démêlés avec la police ont commencé parce qu’il a refusé de se rendre à une convocation de la police suédoise qui souhaitait l’entendre après les plaintes de deux femmes pour agression sexuelle, au motif fantaisiste, à l’époque, qu’il craignait que la Suède ne le livre à la CIA. Il a eu tort de refuser de s’expliquer sur ces graves accusations. »

Comme l’établit le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils MELZER, lorsqu’il était réfugié à Londres, la Suède a refusé d’interroger Assange à l’ambassade d’Equateur ou via vidéo (alors que durant la même période, de tels interrogatoires de suspects entre la Suède et l’Angleterre ont eu lieu dans 44 autres cas) et de lui garantir qu’il ne serait pas extradé :

« Assange n’a pas cherché à se cacher de la justice. Par l’intermédiaire de son avocat suédois, il a proposé aux procureurs plusieurs dates possibles d’interrogatoire en Suède. Cette correspondance existe. Ensuite, les événements suivants se sont produits : Assange a eu vent du fait qu’une affaire criminelle secrète avait été ouverte contre lui aux États-Unis. À l’époque, cela n’a pas été confirmé par les États-Unis, mais aujourd’hui nous savons que c’était vrai. À partir de ce moment, l’avocat d’Assange a commencé à dire que son client était prêt à témoigner en Suède, mais il a exigé l’assurance diplomatique que la Suède ne l’extraderait pas aux États-Unis. [Ce risque était tout à fait réel, car] quelques années auparavant, le personnel de sécurité suédois avait livré à la CIA deux demandeurs d’asile, tous deux enregistrés en Suède, sans passer par la moindre procédure judiciaire. Les abus ont commencé à l’aéroport de Stockholm, où ils ont été maltraités, drogués et transportés par avion en Égypte, où ils ont été torturés. Nous ne savons pas s’il s’agit des seuls cas de ce type. Mais nous sommes au courant de ces deux cas car les hommes ont survécu. Tous deux ont par la suite déposé plainte auprès des agences des droits de l’homme de l’ONU et ont obtenu gain de cause. La Suède a été obligée de payer à chacun d’eux un demi-million de dollars en dommages et intérêts. Les avocats d’Assange affirment que pendant les près des sept ans au cours desquels leur client a vécu à l’ambassade d’Équateur, ils ont fait plus de 30 offres pour organiser la visite d’Assange en Suède, en échange d’une garantie qu’il ne serait pas extradé vers les États-Unis. La Suède a refusé de fournir une telle garantie en faisant valoir que les États-Unis n’avaient pas fait de demande formelle d’extradition. »

Voir également l’infâme article de Mediapart Julian Assange, l’histoire d’une déchéance, qui prend au sérieux les accusations de viol et valide sans l’ombre d’une preuve la thèse de la collusion avec la Russie (réaffirmées dans l’article de Mediapart sur les projets d’enlèvement et d’assassinat d’Assange par la CIA, commodément attribués à Trump, comme s’il ne s’agissait pas du modus operandi de la CIA depuis des décennies) :

[…] Depuis Londres, le fondateur de WikiLeaks annonce qu’il refuse de se rendre en Suède au motif que cette procédure n’est qu’un prétexte. Selon lui, dès qu’il foulera le sol suédois, les États-Unis demanderont son extradition pour être jugé pour espionnage, crime passible de la peine capitale. Sous le coup d’une procédure d’extradition accordée par la justice anglaise, Julian Assange va tout d’abord mener une bataille juridique pour en obtenir l’annulation. Une fois tous les recours épuisés, il se réfugie, le 19 juin 2012, dans les locaux de l’ambassade de l’Équateur qui lui accorde l’asile politique. Il y restera cantonné dans une pièce de l’immeuble sans pouvoir sortir au risque d’être immédiatement interpellé par les policiers britanniques qui le surveillent en permanence.

Avec ces accusations sexuelles, Julian Assange tombe de son piédestal. Son image de chevalier blanc se fissure et, même au sein de WikiLeaks, des langues se dénouent, dévoilant un tout autre visage. De nombreux témoignages décrivent un homme égocentrique, intransigeant et exigeant de ses collaborateurs une obéissance absolue.

Dès septembre 2010, plusieurs membres de WikiLeaks quittent l’organisation en raison d’un désaccord sur la manière dont Julian Assange gère la publication des « leaks » et son refus de toute critique. Selon le site Wired, six volontaires ont quitté l’organisation à ce moment-là. Sur le tchat interne de l’organisation, Julian Assange leur aurait lancé : « Je suis le cœur de cette organisation, son fondateur, philosophe, porte-parole, codeur original, organisateur, financeur et tout le reste. Si vous avez un problème avec moi, faites chier. »

Parmi les défections, figure celle de Daniel Schmitt, porte-parole de WikiLeaks, qui annonce sa démission dans les colonnes du Spiegel. « Julian Assange réagit à toute critique avec l’allégation que je lui ai désobéi et que j’ai été déloyal vis-à-vis du projet. Il y a quatre jours, il m’a suspendu – agissant comme le procureur, le juge et le bourreau en une personne », accuse-t-il. Daniel Schmitt racontera en détail son conflit avec Assange dans un livre paru en 2011, Inside WikiLeaks. Dans les coulisses du site internet le plus dangereux du monde (Grasset, 2011).

En début d’année 2011, un autre collaborateur de WikiLeaks, Julian Ball, claque la porte de l’organisation trois mois après y être entré. Il rejoint le Guardian et décrit, dans un article publié en septembre 2011, un Julian Assange tyrannique, plus préoccupé par sa propre défense que par les idéaux de WikiLeaks. En 2014, c’est Andrew O’Hagan, l’auteur d’une Autobiographie non autorisée publiée en 2011, qui se répand dans la presse. « Il voit chaque idée comme une simple étincelle venant d’un feu dans son propre esprit. Cette sorte de folie, bien sûr, et l’étendue des mensonges de Julian m’ont convaincu qu’il était probablement un petit peu fou, triste et mauvais, malgré toute la gloire de WikiLeaks en tant que projet », affirme-t-il.

Beaucoup s’interrogent également sur la ligne éditoriale de Julian Assange. Le rédacteur en chef de WikiLeaks est notamment accusé d’être trop indulgent, voire trop proche, de la Russie, pays sur lequel l’organisation n’a publié que peu de documents. Plusieurs interventions de Julian Assange surprennent, comme lorsqu’il assure, durant quelques mois en 2012, une émission de géopolitique sur la chaîne Russia Today (RT), The Julian Assange Show. Ou lorsque, à l’occasion d’une table ronde organisée pour les dix ans de RT, il livre un discours dans lequel il appelle « à oublier le concept de liberté individuelle, qui n’existe plus ».

La question de la proximité de WikiLeaks avec la Russie va devenir centrale avec la publication, en 2016, des DNC Leaks. Le 22 juillet, trois jours avant l’ouverture de la convention annuelle du Parti démocrate, WikiLeaks publie 19 252 mails piratés dans les ordinateurs de sa direction, le Democratic National Committee (DNC). La convention doit justement entériner l’investiture d’Hillary Clinton comme candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine. Or, les mails révèlent une collusion dans la direction du parti visant à défavoriser son principal concurrent, Bernie Sanders.

Les DNC Leaks vont empoisonner la campagne d’Hillary Clinton et faire le délice de son adversaire républicain Donald Trump qui ira jusqu’à déclarer : « I Love WikiLeaks. » Le malaise est encore accentué par les déclarations de Julian Assange qui assume avoir publié ces « leaks » afin de nuire à Hillary Clinton, qu’il voit comme « un problème pour la liberté de la presse », et reconnaît avoir volontairement fait coïncider leur publication avec la convention démocrate. […]

WikiLeaks s’isole encore plus lorsque l’enquête sur le piratage des mails de la direction du Parti démocrate révèle que celui-ci a été réalisé par un groupe de hackers, Guccifer 2.0, lié aux services secrets russes, le GRU. Julian Assange démentira formellement que sa source soit des hackers et les différentes enquêtes ne permettront pas d’établir un lien direct entre WikiLeaks et Moscou. Mais pour beaucoup, la ficelle est trop grosse. Que Julian Assange se soit rendu complice, même à son insu, d’une opération de déstabilisation russe est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. […]

Pour ne rien arranger, Julian Assange multiplie les prises de position polémiques, voire parfois difficilement compréhensibles. En septembre 2017, il affirme par exemple, chiffres à l’appui, que le capitalisme, l’athéisme et le féminisme sont responsables de la stérilité de nos sociétés qui, elle-même, est la cause de l’immigration. […]

Le Cri des Peuples

Voir notre dossier sur Assange.

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À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

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