Vu que le gouvernement ukrainien a annoncé le 3 mars qu’il allait recevoir 16 000 combattants volontaires de l’étranger, que le gouvernement étatsunien a lancé une campagne massive de recrutement de « contractuels » pour ses entreprises militaires privées, et que le gouvernement russe les a avertis que les mercenaires ne sont pas protégés par les conventions internationales, il est opportun de préciser les termes du point de vue du droit de la guerre (jus in bello).
En réalité les trois gouvernements parlent de trois réalités très distinctes, que les nouvelles pratiques guerrières étatsuniennes des dernières décennies ont contribué à confondre, y compris dans les études de doctrine militaire d’autres pays, directement ou indirectement influencés par le vocabulaire militaire étatsunien. Ces réflexions furent élevées jusqu’aux instances internationales (ONU), appelées à élaborer de nouvelles règles (prohibitions) mais sous l’empire de l’anglais approximatif, de l’influence doctrinale et de la confusion juridique étatuniens, de sorte qu’aucun accord ne put en sortir.
Le mercenariat est vieux comme le monde. Du temps de la Cité-État, quand on ne pouvait entretenir en temps de paix des troupes permanentes, il se trouvait toujours quelques combattants professionnels (parfois regroupés en unités contituées) prêts à louer leurs services à l’État qui en aurait besoin, fût-il différent de leur propre souverain. Dans l’Europe moderne de quatre ou cinq cents États dotés d’armées de réserve à la disponibilité légale minimale, comme en France où le roi ne pouvait demander aux nobles plus de quarante jours de service militaire par an, on a institué des régiments permanents basés presqu’exclusivement sur le mercenariat, qu’il soit étranger ou national. Plus près de nous l’institution du service militaire universel obligatoire par la révolution française, en plus de permettre trois guerres mondiales (1794-1814, 1914-1918 et 1939-1945), marginalisa l’importance du mercenariat. Cependant, il reste toujours en ce XXIe siècle au moins deux célèbres corps composés de mercenaires, la Légion étrangère française et la Garde suisse vaticane. Et ce qui fait le mercenaire est qu’il prête volontairement ses services militaires, ce n’est pas son statut particulier ou le montant de sa solde, ainsi les volontaires étrangers qui en 2014 sont allés à Donetsk par conviction, bien que bénévolement, étaient des mercenaires dès qu’ils étaient incorporés et vêtus de l’uniforme et des signes distinctifs des forces régulières de cet État.
Un combattant régulier en uniforme ou signe distinctif d’une armée constituée était déjà protégé par les lois et coutumes de la guerre avant qu’elles ne fussent codifiées entre les puissances européennes par les multiples conventions sur le droit humanitaire et le droit de la guerre, convoquées par les empereurs de Russie depuis Alexandre 1er jusqu’à Nicolas II. Peu importe son statut militaire, qu’il soit fonctionnaire, contractuel, réserviste, conscrit ou mercenaire, être incorporé à une armée régulière lui assure la protection de prisonnier de guerre en cas de capture (à l’exception des criminels de guerre). D’autre part, bien que l’engagement comme mercenaire soit un acte individuel, quand un État organise l’envoi de ses citoyens pour les forces armées (ou irrégulières) d’un autre État, on considère qu’il lui envoie un détachement militaire et, le cas échéant, qu’il participe au conflit auquel sont destinés les mercenaires ainsi envoyés, comme on peut le déduire par exemple de la résolution 3314 de l’Assemblée générale des Nations unies.
Un corsaire est un participant privé, mais mandaté, aux opérations guerrières. La guerre de course est née elle aussi du coût de construction et d’entretien d’une flotte importante de bâtiments de guerre en temps de paix. En accordant à un navigateur une lettre de course, c’est-à-dire un mandat gouvernemental, un État engage un navire privé armé, mais plus légèrement qu’un bâtiment de guerre, et lui demande de participer à la guerre, généralement contre la flotte commerciale ennemie, en se payant sur la vente de ses prises. Bien que le corsaire reste sous statut privé il est soumis aux lois de la guerre, notamment en matière de traitement de ses prisionniers (qui sont généralement des civils), et vu qu’il agit en dehors d’un encadrement hiérarchique il est soumis à divers contrôles judiciaires au retour à son port. L’État qui a accordé une lettre de course reste responsable, devant les États tiers, des actes de ses corsaires. Bien que plusieurs pays européens aient déclaré simultanément, il y a un siècle et demi, renoncer à cette pratique, certaines puissances aujourd’hui importantes ne l’ont pas fait, comme les États-Unis et la Russie. De toute évidence, engager une entreprise privée pour qu’elle commette des actes de guerre entre dans le cadre juridique de la guerre de course. Bien que certaines de ces entreprises soient enregistrées dans la catégorie « non résidente » de micro-États pour des raisons fiscales (et politiques), comme Greystone à la Barbade, fiction utilisée par beaucoup d’entreprises y compris des banques, ces entreprises appartiennent de fait à un autre pays. C’est le cas en particulier quand un État lui fournit son capital, lui détache ses officiers, lui paye ses « honoraires », les emploie dans ses guerres et, le cas échéant, les habille avec des uniformes similaires à ceux de son armée régulière, avec des signes d’identification différents. Tant que les employés de ces « entreprises militaires privées » (qui n’absolvent pas l’État de sa responsabilité du monopole de la force) portent des uniformes et des signes distinctifs, et se conforment au droit humanitaire et de la guerre, ils doivent être assimilés à des forces régulières et bénéficient de la protection conventionnelle. Au contraire, s’ils ne portent pas de signes distinctifs ils sont considérés comme des criminels de droit commun.
Un franc-tireur est une personne qui prétend participer à un conflit sans appartenir aux forces régulières, et sans porter de signes distinctifs qui l’identifient comme combattant. Le droit de la guerre, déjà avant les conventions de Genève, ne reconnaissent aucun statut protecteur à un franc-tireur. Il s’agit d’un civil, soumis au minimum aux lois locales relatives au port d’armes ou à la commission d’actes de violence, c’est-à-dire qu’en temps de paix il répond devant les tribunaux criminels compétents. En temps de guerre, que l’état de siège ou de guerre ait été officiellement prononcé (« loi martiale ») ou pas, les armées ennemies et locales ont généralement une procédure spéciale accélérée pour les porteurs illégaux d’armes ou les perpétrateurs de violence. Nonobstant, il peut arriver que, en cas d’insurrection ou de résistance à une invasion, des groupements importants de francs-tireurs se trouvent dans une zone définie (maquis ou autre refuge isolé) séparée de la population et sans cacher ses armes, auquel cas bien qu’ils n’aient pas d’uniforme, mais s’ils portent un signe distinctif, on peut (choix politique sans obligation légale) les considérer comme combattants irréguliers (milice). Mais il n’y a aucun doute au sujet des groupes de francs-tireurs qui combattent déguisés en civils et se cachent parmi les civils dès qu’ils ont terminé leurs coups de main, ce qui attire sur la population civile les frappes et parfois les représailles des forces régulières ennemies. Pour ceux-là il n’y a généralement pas de pitié.
Au moment de terminer cette synthèse on apprend que les entreprises corsaires étatsuniennes offrent des salaires de 2000 dollars journaliers pour combattre en Ukraine, avec l’objectif de recruter comme mercenaires jusqu’à 20 000 est-européens avec cinq ans d’expérience militaire, et l’armée russe avertit que seuls les militaires réguliers bénéficient du statut de prisonnier de guerre. Les opérations conventionnelles seront terminées avant qu’ils arrivent, et si on les introduit comme guérilleros irréguliers après la capitulation ukrainienne ils devront être traités comme des criminels par l’armée, vraisemblable ukrainienne, chargée de la normalisation après le retrait de l’armée russe.
Les mots mercenaires, corsaire et franc-tireur ne sont pas synonymes.
source : Stratediplo
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