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La visite du président français en Russie, la première semaine de février avec la crise en Ukraine comme protagoniste, a donné lieu à beaucoup de commentaires. Mais l’important est ce qui n’a pas été dit sur ce qui a été discuté. Il est peu probable qu’ils aient parlé pendant six heures, le temps qu’a duré la réunion selon ce qu’on a dit, uniquement de l’Ukraine, de l’élargissement de l’OTAN vers les frontières russes et de ce que l’Europe fait ou ne fait pas à cet égard. Il y avait sûrement un autre élément important dans la relation entre les deux pays : l’Afrique.
Juste dans les jours qui ont précédé cette rencontre, et dans ce qui semblait être une certaine coordination entre la France et l’Allemagne, Macron s’est entretenu avec la chancelière allemande et a qualifié la Russie de « force déstabilisatrice ». Mais pas seulement à cause de la question ukrainienne, mais aussi à cause de quelque chose qui la concerne directement et qui est la pénétration russe dans des pays qui faisaient jusqu’à très récemment partie de la « sphère d’influence française en Afrique », c’est-à-dire ses anciennes colonies. C’est quelque chose que la France répète depuis l’été 2021.
La présence russe en République Centrafricaine et au Mali est bien connue. Dans une moindre mesure, la même chose se produit en Guinée et il est plus que possible que la même chose se produise au Burkina Faso après le récent coup d’État. Autrement dit, dans un tiers de ses anciennes colonies africaines, la France a disparu ou est sur le point de disparaître, et dans tous ces pays la Russie a commencé à apparaître. Mais le rejet de la France n’a rien à voir avec la Russie, mais plutôt avec la vision des peuples africains, où, curieusement, la France est considérée comme une « force déstabilisatrice », la même accusation que Macron lançait contre la Russie avant sa visite à Moscou. Que cela soit évident est confirmé lorsque la France elle-même se prend la tête avec les mains en voyant que dans ces pays, l’ancienne métropole n’est plus digne de confiance et qu’elle est activement critiquée.
Ce qui se passe en Afrique est important car non seulement la puissance coloniale française s’effondre, mais aussi celle de l’Europe face à la présence de plus en plus puissante de la Russie, de la Chine et même de la Turquie (et de l’Iran, dans une bien moindre mesure).
Et la réponse française, soutenue et complétée par l’ensemble de l’UE, est la réponse occidentale classique : des sanctions qui sauvegardent ses intérêts stratégiques, comme l’affirme avec insistance l’art. 21 du traité d’Union. Que les sanctions soient illégales si elles ne sont pas imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU, conformément au droit international, est la moindre des choses. Depuis la guerre d’invasion et l’occupation néocoloniale de l’Irak en 2003, l’Occident ne se soucie pas du droit international et parle d’un « ordre fondé sur des règles ». Son ordre et ses règles.
Les sanctions ont été imposées à la République Centrafricaine parce que les élections ont été jugées « pas justes », ce qui est typique lorsque le candidat attendu ou le parrainé ne gagne pas. Si les pro-occidentaux gagnent, tout va bien, sinon c’est antidémocratique et autoritaire. Le plus drôle, c’est que les élections ont été approuvées par l’ONU, l’UE et la Banque mondiale, rien de moins. La France s’en est moqué, obligeant les siens, Européens et anciennes colonies africaines, à faire de même, sanctionner.
La même chose s’est produite au Mali, où la France, et derrière elle le reste des pays sous influence française, la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), a imposé des sanctions pour « violation des principes démocratiques ». Et, logiquement, l’action française a été accompagnée par l’UE, qui a sanctionné plusieurs membres du gouvernement malien, dont le Premier Ministre, avec le même argument.
Les 13 et 14 janvier, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ont abordé deux dossiers : l’Ukraine et le Mali. Concernant ce dernier pays, l’ineffable Borrell, chef de la diplomatie européenne, a déclaré dans son rapport que « la junte militaire ne donne pas de signes positifs » (aux exigences européennes) il fallait donc apporter « un soutien total » à la France et aux pays de CEDEAO. Et il a été plus explicite : « Nous préparons des sanctions contre ceux qui entravent la transition. Nous poursuivrons nos activités et nos missions de formation et de conseil auprès des forces armées et des forces de sécurité du Mali. Nous maintenons la suspension du soutien économique ». La démocratie dans sa forme la plus pure, comme vous pouvez le voir. C’est l’exemple clair de l’articulation de la politique étrangère de l’UE en Afrique liée à la politique néocoloniale française de la Françafrique.
La réponse malienne a été immédiate et a expulsé l’ambassadeur de France, une action très bien vue par la population, tout en remettant ouvertement en cause la présence de troupes étrangères sur son territoire sans invitation. Car il s’avère que dans le pays africain il y a des forces européennes, comme celle du Danemark, par exemple, « invitées » par la France mais pas par le gouvernement du pays. Les Européens ne sont pas les seules troupes, il y a aussi des Africains : du Burkina Faso, du Tchad, de la Mauritanie et du Niger. Toujours, sous le parapluie français. En effet, et depuis sa présence dans le pays depuis 2013, la France n’a cessé d’invoquer son « autonomie » quant à la composition et au fonctionnement de ces forces, qui ont changé plusieurs fois de nom et élargi leur champ d’action.
Une autre lutte anticoloniale
Le cas du Mali n’est que le sommet de l’iceberg d’une rébellion anticoloniale. Depuis août 2020, il y a eu deux coups d’État et les deux sont clairement un rejet du colonialisme français dans le pays, car, contrairement à ce qui se dit en Occident, le protagonisme n’est pas seulement militaire, mais civil. La principale force qui soutient les militaires qui ont perpétré les coups d’État est le Parti Socialiste, principal parti d’une coalition, le Mouvement du 5 Juillet-Groupe des forces populaires, qui est hypercritique à l’égard de la France et de son rôle non seulement au Mali mais aussi en Afrique.
L’« effet Mali » a de fortes répercussions dans toute la région car les manifestations anti-françaises sont de plus en plus courantes et fréquentes et l’une des raisons est le comportement des troupes, stationnées dans tout le Sahel depuis 2013 (avec des composantes non seulement françaises, mais d’autres pays européens, y compris l’État espagnol avec 450 soldats) qui sont considérées non seulement comme un fardeau mais comme l’expression du contrôle néocolonial pour le pillage des ressources des peuples africains. Car il y a un fait incontestable : depuis que ces troupes sont au Mali, soi-disant pour protéger les pays africains des attaques des groupes djihadistes, la réalité est que ces groupes ont augmenté leur présence et leur activité depuis que ces troupes sont là et contrôlent plus de zones et mènent plus d’attaques dans des zones de plus en plus éloignées des provinces du nord du pays, où elles ont commencé à opérer. L’accusation portée contre ces troupes selon laquelle elles n’ont servi qu’à renforcer les intérêts de la France en tant qu’investisseur dans le pays, à protéger exclusivement les citoyens français qui travaillent dans des entreprises françaises et à stopper le flux d’immigrés, est récurrente au Mali.
Cela n’aide pas non plus que les troupes françaises aient souvent été impliquées dans des actions répressives contre la population, entraînant plusieurs morts, lorsque des personnes ont manifesté contre leur présence ou ont tenté de couper et/ou d’entraver leurs mouvements à travers le pays.
Des événements similaires se sont produits non seulement au Mali, mais dans d’autres pays comme la République Centrafricaine, où les troupes du Tchad – pays qui est le centre de la stratégie française parmi ses anciennes colonies du Sahel – sont venues utiliser la population comme boucliers humains (reconnu par l’ONU comme un « comportement inapproprié ») face aux attaques qu’ils ont subies.
Alors que le déclin sans précédent de l’influence française sur le continent africain s’accélère, les néo-colonisateurs continuent de refuser d’accepter la réalité : on ne veut pas pas accepter le déclin, mais on ne peut pas non plus l’arrêter même avec le soutien des groupes armés qui s’ opposent aux nouvelles autorités et qui rappelle, comme un goutte à goutte, ce qui s’est passé en Angola pendant tout le processus immédiatement post-colonial de la décennie 1970-1980. Le même modèle utilisé par le Portugal pour soutenir les groupes ethniques qui s’opposaient alors au gouvernement angolais est maintenant répété par la France.
Par exemple, en République Centrafricaine, le gouvernement accuse la France d’encadrer les activités de la Coalition des Patriotes pour le Changement (CPC) (composée de six groupes opposés au pouvoir central et qui maintient une structure armée contrôlant une zone frontalière avec le Tchad considérée comme stratégique pour sa richesse en terres rares et en or), tandis que depuis ces forces, et depuis la France elle-même, la Russie, la Chine et même l’Iran sont accusés de « piller le pays ».
Notamment la Russie pour la présence de sous-traitants de sécurité privés en République Centrafricaine (et maintenant aussi au Mali) puisque depuis leur présence, et sous leur formation, le gouvernement a pu reprendre le contrôle des mines d’or de la République Centrafricaine, jusqu’à très récemment, entre les mains du CPC. Le qualificatif de « mercenaires prédateurs » est le plus utilisé pour les décrire et les accusations ne manquent pas selon lesquelles ils retiennent en otage le président du pays. En ajustant le tir, la Russie est accusée d’être derrière tout et de prendre le contrôle de la R. C. par l’intermédiaire de ces « mercenaires ». Cela conduit les Français à montrer leur inquiétude face à la « pénétration russe constante en Afrique » et de comment ce fait « affecte la sécurité de l’UE ».
Comme cela s’est produit en République Centrafricaine, les sanctions contre le Mali n’ont fait que pousser les nouveaux dirigeants à chercher d’autres voies, et c’est là que la Russie et la Chine interviennent. C’est l’effet sinon recherché, en effet obtenu par la France et l’UE. Cela a été comme jeter de l’huile sur feu pour la France, pour l’UE et pour l’Occident.
Au milieu de l’hystérie occidentale autour de l’Ukraine, ces « sous-traitants privés » en russe, et « mercenaires » en français, sont au cœur de l’affaire. Mais la vérité est qu’il existe un accord officiel entre les ministères de la Défense de la République Centrafricaine et de la Russie, présenté au Conseil de sécurité de l’ONU, qui entérine cette présence.
Ce fait, la présence de sous-traitants russes, est l’ultime argument pour tenter d’expliquer le rejet de la présence militaire française, qui conduit à un affaiblissement de l’influence politique et économique de la France dans les pays africains, et la raison pour laquelle le 13 décembre 2021, le Parlement européen a exhorté l’UE à imposer des sanctions à l’entreprise Wagner, qui les embauche, arguant qu’ils sont étroitement liés au Kremlin et qu’ils sont déjà présents dans 23 États africains. Il n’est donc pas surprenant que ce sujet soit revenu dans la longue conversation entre Poutine et Macron lors de la visite de ce dernier à Moscou à l’occasion de la crise ukrainienne.
La peur du tsunami
Les États africains en ont assez de la France et les relations sont de plus en plus tendues entre eux. Cela provoque de plus en plus de foyers de tension dans les pays « d’influence française » et un mécontentement grandissant face à la politique néo-coloniale menée par Paris, ainsi que par l’Europe et les États-Unis d’Amérique en général. C’est ainsi qu’il faut interpréter le coup d’État au Burkina Faso et la tentative de coup d’État en Guinée-Bissau. Et en France on craint de plus en plus un tsunami qui emporterait son « héritage ».
Dans le cas du Burkina Faso, au cours des trois dernières années, il y a eu un mécontentement populaire à l’égard d’un gouvernement qui était inactif contre l’activité islamiste et qui s’est limité à compter sur la présence de soldats français pour le faire. Déjà en novembre 2021 il y a eu de très fortes mobilisations populaires contre cette présence française qui ont fini par devenir anti-gouvernementales et qui, au final, ont abouti à un gouvernement pro-français (janvier 2022).
Il y a actuellement en Afrique une lutte majeure contre le néo-colonialisme, une lutte qui ne sera arrêtée ni par les campagnes provocatrices d’information et de propagande activement organisées par Paris ces derniers temps sur les « mercenaires russes » ni par les sanctions imposées au Mali et autres « États récalcitrants » par l’intermédiaire de la CEDEAO, ou l’usage de l’influence dans l’UE, où la France assure la présidence du Conseil de l’Union Européenne pendant six mois à compter du 1er janvier.
C’est, à la fois, un grand revers personnel pour Macron, qui espérait pouvoir profiter de ce semestre pour renforcer son image en vue des élections présidentielles d’avril prochain, élargir les ambitions de grandeur française, accélérer l’avancée de la présence de troupes européennes avec l’implication de plus de pays, comme l’Allemagne et une Espagne qui allait augmenter le nombre de soldats, et avancer dans ce qu’on appelle la « boussole stratégique » pour atteindre une plus grande pertinence européenne dans les affaires mondiales.
source : El Correo
traduction Estelle et Carlos Debiasi
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