Alors que la tragi-comédie de la vraie-fausse invasion russe n’en finit pas de ne pas finir et que la MSN qui prévoyait l’attaque à 1:00 précise la nuit dernière a dû une nouvelle fois ravaler sa plume – caramba, encore raté – prenons un peu de hauteur historique pour analyser ce qui se passe en Ukraine même.
Les partisans de la théorie selon laquelle l’Histoire est un éternel recommencement y verront un parallèle très intéressant avec le grand conflit civil qui a frappé la France à la fin du XVIe siècle et que l’on nomme, un peu facilement d’ailleurs, « Guerres de religion ».
La Guerre des trois Henri, huitième et dernière bagarre de cet embrasement général, a mis en scène entre 1587 et 1589 trois personnages hauts en couleurs et qui avaient la particularité de porter le même prénom :
- le roi Henri III de Valois, sans descendance
- Henri de Navarre (futur Henri IV), cousin et beau-frère du précédent, héritier légitime du trône de France mais protestant
- Henri de Guise, chef de la Ligue catholique
Pour résumer, le troisième contestait au second le droit de succéder au premier.
Nous n’allons pas nous attarder sur les épisodes célèbres et variés, tant français qu’étrangers (car les ramifications allaient jusqu’en Espagne et en Angleterre) de ce conflit multiforme : Journée des barricades au cours de laquelle Guise est reçu triomphalement à Paris tandis que le roi doit fuir sa capitale, échec de l’Invincible armada, exécution de Marie Stuart…
Pris entre le marteau guisard et l’enclume navarraise, Henri III doit constamment louvoyer pour sauver ce qui peut encore l’être, se rapprochant à tour de rôle de l’un puis de l’autre. Envoyant les armées royales contre le Navarrais sous la pression de Guise, il fait finalement assassiner ce dernier lors des États Généraux de Blois, provoquant le soulèvement d’une grande partie du pays.
Pour la petite histoire, Henri III ne survivra pas longtemps à la « perfidie de Blois », étant lui-même poignardé quelques mois plus tard par un moine catholique. Quant à l’héritier du trône, le futur Henri IV, il met des années pour recoller les morceaux de son royaume, usant de tous les moyens possibles : batailles (« Ralliez-vous à mon panache blanc »), achat de fidélités et conversion à la religion dominante (« Paris vaut bien une messe« ).
Vous l’aurez compris, le Henri III ukrainien n’est autre que le président Zelensky. C’est en tout cas ce que montre un remarquable article, qui ne surprendra certes pas le fidèle lecteur de nos Chroniques mais qui a le mérite d’être publié sur un site « bien comme il faut », peu susceptible de sympathies pro-russes.
Sous le titre De quoi a vraiment peur Zelensky ? – l’ajout souligné est de votre serviteur pour indiquer la véritable tonalité de l’article – l’auteur dresse le portrait de la scène ukrainienne, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à la France du dernier Valois…
D’un côté, le camp pro-russe incarné par Viktor Medvedtchouk, leader du parti « Plateforme d’opposition-Pour la vie » (quel nom !) et proche de Poutine. Sur la montante fin 2020, il a depuis été victime d’un torpillage en règle de la part des autorités : mise en résidence surveillée, interdiction des trois télés russophones qu’il possède en sous-main etc.
Pourtant, ce n’est pas de lui que Zelensky a vraiment peur, mais plutôt de l’autre bord, celui de la nébuleuse pro-US que le président a accusée à mots couverts de préparer un coup d’État contre lui.
On y retrouve Rinat Akhmetov, l’oligarque le plus riche d’Ukraine et grand contributeur financier de l’Atlantic Council, think tank impérial, ou encore Arsen Avakov, l’ancien ministre de l’intérieur de la junte maïdanite. Tout ce joli monde (auquel il faut rajouter un ancien Premier ministre ou le frère du maire de Kiev) s’est retrouvé à Vilnius, officiellement pour une petite sauterie-anniversaire mais en réalité, selon l’entourage présidentiel, pour préparer quelque chose d’un peu plus salé.
On sait que le baby Deep State ukrainien n’a jamais goûté l’élection de Zelensky, non plus que le Washingtonistan. Ses dernières déclarations, ironisant sur les assurances qu’il avait reçues concernant la toute prochaine invasion russe, n’ont pas dû arranger son cas. Si un Maïdan bis est organisé contre lui, DC la Folle ne volera pas à son secours, c’est une évidence…
Et puis il y a Chocochenko, de retour du Canada et que Zelensky voulait lui aussi faire placer en détention, frivolité évitée de justesse sous la pression des Affaires étrangères d’Ottawa. Le roi du chocolat, devenu l’improbable idole des nationalistes, reste toutefois dans le viseur du palais Mariinsky (l’Elysée ukrainien).
Ainsi va la vie à Kiev où Zelensky, comme le brave Henri III en son temps, doit se garder autant à droite qu’à gauche… et surveiller ses arrières. Pourra-t-il encore longtemps rester sur cette ligne de crête ou devra-t-il se résoudre à prendre parti pour l’un des camps ? Finira-t-il sous les coups de quelque Jacques Clément des steppes cosaques ? A suivre.
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