Notre collaboratrice a lu Théophile, de Benoît Miller. Elle nous livre ici sa lecture de ce recueil de poèmes récemment paru aux éditions Synoptique et nous donne (peut-être !) l’envie de lire un peu ! Parce que l’art a parfois ce pouvoir de nous élever au-delà des choses terrestres (les confinements et les déconfinements, les fermetures et les réouvertures – avec ou sans passeport vaccinal dans les lieux de culte ?)…
Dès l’incipit, le lieu de la prise de parole poétique nous est dévoilé : « À la gloire cachée de ceux qui pleurent ». On pense tout de suite aux béatitudes et à cette affirmation de Jésus sur la montagne : « Heureux les affligés, car Dieu les consolera ». La gloire de ceux qui pleurent demeure ici cachée en ce qu’elle constitue un acte de foi, une ferme assurance des choses qu’on espère, une démonstration de celles qu’on ne voit pas (Hébreux). C’est donc à partir de cette position que parle le je du texte.
La parole poétique se présente alors comme une parole prophétique : « Écrire/(…)/L’apocalypse des destinées sur nos lèvres » (p. 14). Elle décrit avec douleur les conséquences de la chute. Le deuxième incipit du recueil ne fait-il pas d’ailleurs référence à la nudité honteuse d’Adam après la rupture : « Où es-tu ? dit-il. Genèse III, 9. » ?
La lumière dans la nuit
La poésie de Miller est donc porteuse d’un message affligeant, mais aussi d’une espérance. En ce sens, tout le recueil renferme ce double mouvement angoisse/espérance.
III
Des hurlements de lune rouge
Parcourent la terre accablée
IV
Le Salut qui dormait au fond d’une barque
S’éveille comme une sève de printemps
C’est là le chant humble et doux de l’oiseau, celui qui orne la page de garde certainement, mais surtout celui qui se sait dans le monde tout en appartenant à un autre royaume. L’oiseau oscille entre ses liens terrestres et l’appelle des hauteurs.
Il s’agit de la voix de la foi, de la voix qui veut « vivre en Abraham de feu vêtu/sur ce champ d’ombre et de sang hurlé » (p. 34).
Peu de mots pour dire la Beauté
Saurais-je battre le fer et tailler la pierre
D’une rage de ciel qui peut vaincre la mort
Saurais-je remuer la vie
D’un seul feuil de sa beauté
Et dire d’âme
L’âme de ton visage (p.15)
La poésie se donne pour mission de dire la beauté avec la conviction que cette dernière est la clé pour vaincre la mort.
D’une lettre tambourinée ô de lumière
Écrire (p. 47)
Cette lumière du verbe poétique n’est autre que le reflet du Verbe lui-même. Au sein de la grisaille et du froid, « [la] croix est la seule lumière que je cueille », écrit le poète (p.47).
Les mots ne sont jamais que le reflet d’une beauté plus grande, beauté inaccessible sinon, encore une fois, par le truchement d’un chant : « La beauté que je vois chante la très beauté/Que je ne vois que je désire » (p.54).
Seul le pauvre (« Je vais à toi en ruine de semelles/Et favéla de tôle ballantes » – remarquez la force de l’image !), seul celui qui reconnait le sacrifice de la croix (« Un voile se déchire/C’est le cri de mon Dieu/Le visage écorché à rabot de vie » p.39) peut ainsi nommer un poème Espérance :
Tricotant l’amour serré
Comme les atomes d’un baiser
L’espérance porte croix de nous
Jusqu’au dernier portage de vie
Avant les eaux calmes et pures
Qui ont la gorge des huards.
Aimé de Dieu
Ce message d’espérance est destiné à être transmis. Comme dans l’Évangile de Luc, Théophile ne pourrait-il pas être le destinataire de cette parole révélatrice ? D’ailleurs, dans la section du recueil intitulée « Théophile », on retrouve une suite de questions lui étant destinées et que l’on pourrait penser rhétoriques, comme pour lui révéler le sens d’une vision : « O dis-moi Théophile ? /L’amour ne sort-il pas à torrents du flanc outragé de la Lumière ? » Ces séries de questions, insistantes et lyriques, avec leur interjection répétée (O Théophile), mettent en valeur l’incompréhension du sujet poétique devant l’incrédulité d’autrui. C’est presque suppliant qu’il tente d’éveiller l’autre à ce qui lui apparait pourtant une évidence.
Et pour appuyer cette interprétation, le poème final interpelle toute une génération aveugle à l’espérance de Christ :
En ce siècle de gamins qui refusent de s’accomplir
à la joie de Cana, au visage sorti du sommeil,
une béatitude pleure
À l’intime prière de l’Attente. (p.94)
En attendant de se déployer dans sa plénitude, voilà le chant de l’oiseau (tout petit oiseau !) qui remue la vie dans l’espérance de celui qui a vaincu la mort. Le poème de Miller, c’est ce caillou poli et choisi avec soin qui vient doucement brouiller la surface de l’eau : un simple rond sur la surface du silence avant de retourner à la contemplation. Enfin, voilà quelques pistes de lecture qui ne sauraient achever ce recueil qui mérite d’être encore médité.
Référence :
Miller, Benoît, Théophile, Synoptique, 2021, 94 p.
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Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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