Quel est le point commun du nouveau variant Omicron (sud-africain) et des variants précédents brésilien, indien ou sud-africain ? Ils sont tous arrivés par avion, comme, du reste, le virus original lui-même. Les responsables de leur diffusion furent donc de bons citoyens, dotés de vaccins et pass sanitaires pour accéder aux avions et de surcroit contribuant par leur acte vertueux de tourisme international ou de voyage d’affaires à la relance de l’économie nationale et du secteur aérien. Secteur aérien qui est un important émetteur de gaz à effet de serre (CO2, NOx et H2O) représentant ces dernières années dans les 6% de la contribution au forçage radiatif additionnel. Or, 80% de l’humanité[1] (et un tiers des Français) n’ont jamais mis les pieds de leur vie dans un avion, alors que 1% de la population mondiale est à elle seule responsable de la moitié des émissions liées à l’aviation. Ainsi, un trajet en avion transatlantique pour une personne représente plus que ce qu’émet un automobiliste français pendant une année.
Loin d’interdire cette dangereuse menace écologique et sanitaire, l’État a donné 15 milliards d’euros d’aide aux entreprises du secteur, soit un peu plus que les 11,7 milliards d’euros d’économie faites sur les hôpitaux durant la dernière décennie (depuis 2020, 5750 lits d’hôpital ont encore étaient supprimés). Cet énorme cadeau aux industries, qui s’ajoute à un ensemble de subventions masquées (absence de taxe sur le kérosène contrairement au carburant automobile ou ferroviaire, fonds publics pour construire les aéroports, écoles d’ingénieur et recherche publiques en aéronautique, etc.), représente plusieurs centaines d’euros par contribuable alors même que seulement 4% des Français utilisent régulièrement l’avion. Bien que la richesse ne soit pas le seul facteur déterminant, cette mince frange de la population coïncide assez largement avec les plus riches, ainsi, des données européennes montrent que les 20% les plus riches sont responsables de la moitié des trajets en avion[2], polarisation qui serait encore accrue à l’échelle du monde. Il s’agit donc, en réalité, d’un cadeau de la collectivité aux plus riches en plus d’une nouvelle preuve que les engagements affirmés par l’État lors des COP et en diverses occasions ne sont que du vent (la première chose à faire serait de cesser de subventionner de façon disproportionnée les activités les plus polluantes).
Remarquons que bien peu de commentateurs signalent que la propagation du virus a pour principal responsable un groupe très restreint de la population, qui coïncide assez étroitement avec les plus riches. Au contraire, on n’entend presque parler que de responsabilité collective (de mauvais respect des règles et gestes barrières), et le plus souvent la faute est même rejetée sur les groupes qui sont déjà les plus précaires et dominés dans la société, les jeunes en premier lieu (qui passent leur temps à faire la fête au lieu de rester cloitrés dans leurs chambres étudiantes de 12 m²), mais aussi une nébuleuse de complotistes, de mal informés, mal conditionnés, qui sont souvent issus de populations à bas revenu et faiblement éduquées.
Ceci étant dit, quelques remarques d’un écologiste exaspéré par les débats actuels :
Aux opposants au pass sanitaire qui ont un smartphone, une carte bleue, etc. : C’est bien de protester contre la surveillance générale mise en place, mais pourquoi avoir accepté que vos achats et déplacements soient déjà traçables par votre carte bleue, que votre position soit géolocalisable par smartphone, que vos vies soient analysées par des logiciels publicitaires sur les réseaux sociaux, plus largement l’omniprésence des caméras dans l’espace public ? C’est bien de critiquer la ségrégation sanitaire mise en place, mais pourquoi ne rien dire de la tout aussi prégnante ségrégation numérique dans l’accès aux services publics et privés ? Sans parler de la ségrégation économique par l’argent vue comme parfaitement naturelle qui interdit de toute façon aux pauvres restaurants, salles de spectacles, cinémas, etc.
Aux opposants à la vaccination qui font leur course en supermarché, ne mangent pas bio, vivent en ville : C’est bien de s’effrayer que des produits chimiques aux effets douteux vous soient injectés dans le corps, mais pourquoi ne rien dire de la bien plus terrifiante omniprésence de résidus de pesticides, de plastiques, de perturbateurs endocriniens, de résidus de médicaments, etc. dans la nourriture, l’environnement, l’eau et l’air ? On trouve les restes de pesticides dans les racines des cheveux de tous les enfants testés et jusque dans la graisse des ours polaires… Tout ceci produisant des cancers et maladies diverses de façon tout à fait avérée, avec des preuves bien plus sérieuses que les élucubrations sur des effets délétères des vaccins. Notons qu’en achetant de la viande de supermarché nourrie avec du soja et maïs OGM d’Amérique du Sud (quasiment toute la viande industrielle), vous acceptez déjà d’ingérer des fragments d’ADN modifiés ; tandis que l’offensive pour des OGM de nouvelle génération (manipulations cytoplasmiques comme la stérilité mâle cytoplasmique, organismes obtenus par mutagenèse grâce à des molécules de synthèse, etc.[3]) qui ne s’affichent pas comme tels sur les étiquettes a soulevé bien moins d’opposition que celle des années 1990 où s’illustrèrent René Riesel et José Bové.
Aux partisans de la vaccination qui se font les thuriféraires de la science, de l’écoute des experts, de la responsabilité, et continuent à prendre l’avion, la voiture, à accepter la nourriture industrielle, etc. : C’est bien de suivre la parole des scientifiques, mais alors pourquoi ne pas suivre les recommandations du GIEC, groupe d’experts ayant une expertise de plusieurs décennies et étant arrivés au niveau le plus élevé de consensus scientifique envisageable ? Recommandations qui impliquent pour éviter des risques humains infiniment plus graves et catastrophiques que ceux liés au virus, de réduire de façon drastique les émissions de gaz à effet de serre, soit en pratique de renoncer à la voiture, à l’aviation, à une large part de la consommation, à désindustrialiser l’agriculture et le secteur du bâtiment, à mettre un terme à l’expansion du numérique, etc. En fait, si l’on est réaliste, de sortir définitivement de la société industrielle et technologique.
Aux partisans des mesures sanitaires qui chantent les vertus de la solidarité, du fait de prendre soin des autres et de ne leur faire courir aucun ne risque, mais soutiennent le gouvernement ou acceptent de s’insérer dans le capitalisme de consommation : il est louable de manifester d’aussi grandes vertus morales, mais où est votre solidarité lorsqu’un nombre croissant de concitoyens dorment dans la rue, n’ont pas de quoi se nourrir, etc. ? Lorsque ceux et celles qui produisent les objets de votre consommation quotidienne vivent et travaillent dans des conditions esclavagistes partout dans le monde ? Lorsque la France de Macron est le pays du monde où les milliardaires se sont le plus enrichis en 2018, alors même que la pauvreté augmentait et les inégalités s’accroissaient à tous les niveaux[4] ?
Aux partisans de la fermeté, des confinements, de l’obligation vaccinale, du pass sanitaire, etc., qui pensent que l’État nous veut du bien : pourquoi alors n’interdit-il pas la cigarette ou la nourriture transformée, source de maladies cardiovasculaires, diabètes, cancers, etc., qui représentent une large part de la mortalité ? Selon une récente étude de l’INRA la mauvaise alimentation serait responsable de 36% des décès directement ou indirectement en France, dont 10% du fait de cancers attribuables aux pesticides[5]. À titre de comparaison, on ne constate, durant l’année 2020 marquée par la pandémie, qu’une surmortalité de 9% en France (à moduler par une possible variation d’autres causes de mortalité du fait des confinements non directement liés au virus). Pourquoi ne pas interdire l’automobile et l’industrie responsables d’un nombre élevé de décès directs et indirects par la pollution de l’air ? Notons que de telles mesures réduiraient aussi considérablement la mortalité liée à la Covid dont la plupart des cas graves proviennent de comorbidités. Pourquoi, à l’inverse, tend-il par un ensemble de lois, règlements, normes européennes ou subventions ciblées à rendre difficile la pratique de l’agriculture paysanne (écrasée par les normes dites sanitaires calibrées pour l’industrie), de l’autoconstruction en habitat léger, de l’abstinence numérique, et à l’inverse à favoriser massivement le déferlement industriel et technologique, les plus grandes multinationales, l’accroissement illimité de la taille des exploitations agricoles et l’agroalimentaire (par exemple avec une politique d’aide alimentaire conçue pour favoriser la grande distribution dont elle écoule les invendus d’une qualité nutritionnelle minable aux frais de l’État), tout en construisant à construire des armes atomiques et centrales nucléaires et à vendre des armes partout dans le monde ?
Nota bene : Je précise que je ne vise chaque fois que les personnes qui rentrent dans la catégorie restrictive de la deuxième partie de ma phrase, je ne vise pas ici par exemple les opposants au pass sanitaire qui luttent aussi depuis des années contre le numérique et la société de surveillance, ni par exemple les partisans du vaccin qui ne prennent jamais l’avion ou la voiture et militent pour l’écologie.
Jean Autard
- Stefan Gössling et Andreas Humpe, “The global scale, distriubution and growth of aviation : implications for climate change”, Global Environmental Change”, vol 65, novembre 2020, https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378020307779
cité par Lorène Lavocat, “Seul 4% des français prennent l’avion régulièrement”, Reporterre, avril 2021
https://reporterre.net/Seuls-4-des-Francais-prennent-l-avion-regulierement#nb1 ↑
- Yoann Demoli et Jeanne Subtil, “Boarding Classes. Mesurer la démocratisation du transport aérien en France (1974–2008)”, Sociologie, vol 10, 2019/2 pp. 131–151, cité par Jaime Grimault, communication personnelle.
https://www.cairn.info/revue-sociologie-2019–2‑page-131.htm ↑
- Sur ce sujet, voir : L’atelier paysan, Reprendre la terre aux machines, Paris, Seuil, 2021, p. 228 et suivantes. ↑
- Oxfam France, Celles qui comptent, rapport sur les inégalités en France, 20 janivier 2020, https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/01/Rapport-Inegalites-Oxfam-2020-Zoom-France.pdf ↑
- Chiffre pour l’année 2010 d’après les travaux d’Anthony Fardet, chercheur à l’INRA, cité par L’atelier paysan, Reprendre la terre aux machines, Paris, Seuil, 2021 ↑
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