I.
Récemment, un interlocuteur masculin a encore tenté de présenter la domination masculine et la violence inhérente au patriarcat comme une fatalité évolutionnaire, justifiable par notre proximité avec les chimpanzés, « nos plus proches cousins ». Les chimpanzés sont organisés en sociétés agonistiques autour de la compétition et de la domination, avec des hiérarchies à la tête desquelles se trouve un mâle. D’après les primatologues Satoshi Hirata et Josep Call, les chimpanzés n’ont pas développé, contrairement au bonobo, des « yeux collaboratifs » ni un « regard collaboratif » avec une cognition idoine. Les chimpanzés reluqueront la bouche et le cul des autres chimpanzés, ou des humains, en parangons des 4B (bouffer, baiser, se battre et se barrer), cherchant à savoir si vous avez trouvé quelque chose de bon de manière à se l’accaparer, ou si vous êtes bon(ne) vous-même pour la transmission de leur gène.
Les bonobos, eux, maintiennent le contact oculaire et cherchent à voir ce que l’autre voit, non pas en vue des 4B, mais dans une perspective d’empathie et de partage. Le bonobo prête attention à l’autre, manifeste une cognition et une structure neurologique pour l’empathie et la coopération. L’insistance de certains hommes et tenants de l’évo-psy (psychologie évolutionnaire) à nous comparer aux chimpanzés en dit bien plus long sur leur psychologie — bloquée dans les années 60, avant la grande conférence d’anthropologie évolutionnaire qui démonta le mythe de « Man the Hunter » (L’homme, ce chasseur) — que sur la nature humaine en général.
Afin d’en savoir un peu plus sur les bonobos, nous vous proposons un morceau traduit du chapitre 3, intitulé « Love, the Brain, and Becoming Human » (L’amour, le cerveau et le devenir humain) du livre Nurturing Our Humanity : How Domination and Partnership Shape Our Brains, Lives, and Future (« Nourrir notre humanité : comment la domination et la coopération forment nos cerveaux, nos vies et notre futur ») écrit par les anthropologues évolutionnaires Riane Eisler et Douglas P. Fry.
II. Le sexe, les soins et les bonobos
Tout ceci nous amène à parler d’une importante espèce de primates qui, contrairement aux chimpanzés, apparaît rarement dans la littérature scientifique : les bonobos. Originaires des forêts tropicales de la République démocratique du Congo, les bonobos sont pourtant aussi proches des humains, sur le plan génétique, que les chimpanzés[1]. Mais contrairement aux chimpanzés, la domination masculine n’existe pas chez les bonobos, pour lesquels les relations sociales sont beaucoup plus axées sur le partage et l’entraide. Et si le chimpanzé est souvent invoqué pour expliquer les comportements humains, y compris les comportements sexuels, la sexualité des bonobos est en réalité beaucoup plus proche de celle des humains que ne l’est celle des chimpanzés.
À la différence des autres primates, les femelles bonobos sont sexuellement actives presque toute l’année durant. Leurs organes génitaux, comme ceux des humaines, sont situés vers l’avant, ce qui leur permet de s’accoupler face à face. Comme le note le primatologue Frans de Waal, la longueur du pénis des mâles bonobos, contrairement à celle des autres singes, « dépasse même celle du mâle humain ». Et, comme c’est le cas chez les humains, la sexualité des bonobos est souvent axée sur le plaisir, pas seulement sur la reproduction.
Selon de Waal, chez les bonobos, le partage du plaisir sexuel constitue souvent un rituel de création de liens, instigateur de paix — ce qui représente un trait caractéristique de cette espèce. Comme l’écrit Takayoshi Kano, un primatologue ayant étudié les bonobos sur le terrain des décennies durant, « la plupart des autres animaux ne s’accouplent que pour se reproduire », tandis que chez les bonobos, les copulations non reproductives « diminuent l’hostilité et aident à établir et à maintenir l’intimité entre les femelles et les mâles ».
Les bonobos ne sont pas une espèce exempte d’agressivité. Mais contrairement aux chimpanzés, aucun cas d’agression mortelle n’a jamais été observé chez les bonobos. Et alors que les mâles chimpanzés tuent parfois des nourrissons, aucun cas d’infanticide n’a jamais été signalé chez les bonobos. Le primatologue Suehisa Kuroda résume ainsi cet état des lieux chez les bonobos : « leur comportement agressif est léger ».
Même la violence entre différents groupes de bonobos est extrêmement rare. Les primatologues Frances White, Michel Waller et Klaree Boose expliquent que « les bonobos mâles ne forment pas de bandes d’individus étroitement liés, typiquement associées au comportement meurtrier collectif des chimpanzés ». Kano rapporte avoir observé que lorsque deux groupes de bonobos différents se rencontrent sur un site fourrager, la tension de la rencontre est d’abord désamorcée par un rapport sexuel entre une femelle et un mâle de chaque groupe, puis par les frottements génitaux d’une femelle d’un groupe avec plusieurs femelles de l’autre groupe.
L’utilisation du sexe non reproductif par les bonobos en guise de « rituel de paix », d’après De Waal, soulève des questions intéressantes sur l’évolution des primates, y compris des hominidés et des humains. Cela suggère un développement évolutionnaire important : l’utilisation du sexe comme moyen de renforcer des relations sociales fondées sur le plaisir partagé plutôt que sur la coercition et la peur.
En matière de soins aux autres, les bonobos sont également, comme l’écrit De Waal, « hautement empathiques ». Il note par exemple que « dès qu’un bonobo se fait la moindre blessure, il est entouré par d’autres qui viennent l’inspecter, le lécher ou le soigner ». De plus, De Waal et Frans Lanting notent que rien ne prouve que la paternité pose problème aux mâles bonobos. Et, comme l’observe Kano, chez les bonobos, « les éléments de domination n’importent pas dans l’activité sexuelle ».
Tout cela contredit directement le dogme selon lequel une organisation sociale androcratique (de domination mâle), foncièrement violente, serait inhérente aux primates et ferait donc partie de notre héritage évolutionnaire. Mais malgré cela — ou probablement à cause de cela — jusqu’à très récemment, la littérature scientifique s’est généralement employée à ignorer les bonobos.
Il est particulièrement significatif que la littérature évo-psy ne mentionne généralement pas l’absence de préoccupation concernant la paternité, ainsi que l’absence de coercition sexuelle des mâles sur les femelles chez les bonobos, puisque ces observations récusent pleinement l’affirmation conservatrice selon laquelle, en tant que principe interspécifique, l’évolution favoriserait la compétition violente, y compris le viol, et que la domination masculine et la violence à l’égard des femelles constitueraient alors des adaptations évolutionnaires.
La société des bonobos n’est pas dominée par les mâles. Les femelles, et en particulier les mères, jouent des rôles sociaux essentiels. Les mâles bonobos ne recourent pas à la coercition sexuelle à l’encontre des femelles, et les femelles bonobos, qui forment de puissantes coalitions sociales, coopèrent efficacement en vue de limiter l’agressivité des mâles.
Il convient également de souligner, comme le remarquent les primatologues De Waal, Sue Savage-Rumbaugh et d’autres ayant travaillé en étroite collaboration avec des bonobos, que ces derniers sont, à bien des égards, plus intelligents que les chimpanzés, ainsi qu’en témoigne leur capacité d’apprentissage supérieure. Le travail de la primatologue Sue Savage-Rumbaugh, qui enseigne le langage aux bonobos, est particulièrement fascinant. Des bonobos comme Kanzi, Panbanisha et son fils Nyota ont appris à utiliser un clavier comprenant des mots anglais afin de communiquer d’une manière que l’on croyait autrefois impossible pour les primates autres qu’humains.
Cela nous amène à nous poser une question fondamentale sur l’existence d’un lien entre la capacité cognitive et l’empathie supérieures des bonobos, par rapport aux chimpanzés, et la nature moins stressante, moins agressive et davantage axée sur le partenariat des groupes de bonobos, où le partage et les soins aux autres constituent le mode de socialisation adopté, plutôt que le contrôle coercitif et la souffrance.
En effet, des découvertes récentes montrent que les cerveaux des bonobos et des chimpanzés se sont développés différemment. James Rilling et ses collègues ont découvert que les zones du cerveau impliquées dans la perception de la souffrance et de la détresse d’autrui, comme l’amygdale et l’insula antérieure, sont plus grandes chez les bonobos que chez les chimpanzés.
Le cerveau des bonobos présente également des circuits neurologiques mieux développés pour contrôler les impulsions d’agressivité. Rilling et ses collègues écrivent : « Nous suggérons qu’un tel système neuronal favorise non seulement une sensibilité empathique accrue chez les bonobos, mais aussi des comportements sexuels et ludiques qui servent à dissiper les tensions, limitant ainsi la souffrance et l’anxiété à des niveaux propices au maintien d’un comportement prosocial. »
Le fait qu’à bien des égards les bonobos ressemblent davantage aux humains qu’aux chimpanzés et aux autres primates et que leurs comportements soient davantage fondés sur le partage, les soins et le plaisir que sur la domination et la violence devrait être pris en compte dans les analyses évolutionnaires actuelles, y compris dans les théories en lice sur l’organisation sociale des premiers humains.
Comme le dit De Waal, « j’essaie parfois d’imaginer ce qui serait arrivé si nous avions connu les bonobos en premier, et les chimpanzés ultérieurement, voire pas du tout. Les théories sur l’évolution humaine seraient peut-être moins centrées sur la violence, la guerre et la domination masculine, et davantage sur la sexualité, l’empathie, l’entraide et la coopération. »
Riane Eisler, Douglas P. Fry
Traduction : Audrey A.
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III. Un extrait de La Dernière étreinte de Frans de Waal :
Parmi toutes ces hypothèses, celle du bonobo est sans doute la plus intrigante, compte tenu de sa nature paisible. Nous avons beaucoup de rapports solides sur des chimpanzés qui se tuent, mais, jusqu’ici, aucun sur des bonobos meurtriers, ni en captivité ni dans la nature. Au contraire, les chercheurs de terrain décrivent des communautés de bonobos qui se mêlent sans que naisse de la violence. Ils s’interpellent quand ils se voient, et peu après se dirigent l’un vers l’autre, ont un rapport sexuel ou se toilettent. Les mères laissent leurs petits s’éloigner pour aller jouer avec des petits d’autres groupes, voire avec des adultes mâles. Les bonobos ont sûrement des réseaux sociaux qui dépassent le cadre de la communauté où ils résident. Les membres de différents groupes ont l’air contents de se rencontrer et sont très détendus. Ce serait inimaginable chez les chimpanzés, qui ne connaissent que différents degrés d’hostilité et ne manifestent jamais la cordialité ni la confiance que l’on constate entre les bonobos de groupes différents. Une chimpanzé mère s’écarte le plus possible si son groupe en croise un autre, parce que son rejeton est automatiquement mis en danger par les présences étrangères. Le contraste entre nos deux cousins primates les plus proches est particulièrement saisissant dans la forêt : les communautés de chimpanzés se lancent dans des batailles sanglantes, alors que les bonobos en profitent pour pique-niquer tous ensemble.
Dans le sanctuaire de Lola ya Bonobo, situé près de Kinshasa, en République démocratique du Congo, on a récemment décidé de fusionner deux groupes de bonobos qui vivaient séparément pour stimuler leur sociabilité. Jamais personne ne tenterait la même expérience avec des chimpanzés : cela finirait dans un bain de sang. Les bonobos de Lola ya Bonobo, eux, en ont fait une orgie. Il existe d’autres expériences où les bonobos partagent de la nourriture en toute liberté avec des étrangers, ou les aident à atteindre un objectif. Les chercheurs disent que les bonobos sont xénophiles (attirés par les étrangers), alors que les chimpanzés sont xénophobes (ils se méfient ou ont peur des étrangers). Le cerveau des bonobos reflète ces différences. Les zones liées à la perception de la détresse des autres, telles que l’insula antérieure ou l’amygdale, sont plus larges chez les bonobos que chez les chimpanzés. Ils ont aussi des voies cérébrales plus développées, qui servent à maîtriser les pulsions agressives. De tous les hominidés, y compris nous, les bonobos sont sans doute ceux qui ont le cerveau le plus empathique.
C’est intéressant, non ? Malheureusement la science refuse de prendre au sérieux cette espèce. Les bonobos sont trop paisibles, trop matriarcaux et trop doux pour correspondre au récit classique de l’évolution humaine, fondé sur les notions de conquête, de domination masculine, de chasse et de guerre. Nous avons la théorie de « l’homme qui chasse » et celle du « grand singe qui tue », l’idée que la compétition entre groupes a fait de nous des êtres coopératifs, et celle qui voudrait que notre cerveau se soit élargi parce que les femmes aiment les hommes intelligents. [NdT : or, nous savons aujourd’hui que les femelles hominidés (feminidés ?) ont été le moteur de l’évolution humaine en sélectionnant sexuellement les mâles coopératifs capables d’investir dans la progéniture, pour parer aux coûts énergétiques de l’accroissement du cerveau, et ce, en formant des coalitions et des « grèves du sexe » avec les autres femelles[2].] Pas moyen d’y échapper : tout tourne autour des mâles et de ce qui leur permet de réussir. Les chimpanzés correspondent à tous les scénarios ou presque, mais personne ne sait que faire des bonobos. Nos cousins hippies sont présentés comme des individus délicieux et mis de côté. « Espèce charmante, mais mieux vaut s’en tenir aux chimpanzés » : voilà le ton.
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Régulièrement, des femelles bonobos se débarrassent de mâles et revendiquent d’énormes fruits qu’elles partagent entre elles. Les fruits de l’Anonidium pèsent jusqu’à 10 kilos, et ceux de l’arbre à pain, qui appartient au genre Treculia, jusqu’à 30 kilos, pas loin du poids d’un bonobo de taille adulte. Une fois que ces énormes fruits sont tombés au sol, les femelles se les approprient, peu soucieuses de les partager avec les mâles qui les mendient. Enfin, il arrive que des individus mâles supplantent des individus femelles, surtout les plus jeunes, mais, à l’échelle collective, les femelles dominent le sexe opposé.
Le phénomène se vérifie non seulement dans la nature, mais dans les zoos, du moins ceux que j’ai vus. Partout où je suis allé, c’est une femelle qui est à la tête de la colonie de bonobos, à une exception près : les zoos qui n’ont qu’une femelle et qu’un mâle. Les bonobos mâles sont plus grands et plus forts, et possèdent des canines plus longues que les femelles. Dans ces cas-là, le patron, c’est le mâle. Mais pour peu que la colonie grandisse et que le zoo accueille une deuxième femelle, c’en est fini de la suprématie mâle. Les femelles se liguent dès qu’un individu du sexe opposé essaye d’en intimider une.
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IV.
Le comportement des bonobos, y compris en captivité pour peu que plusieurs femelles soient réunies, fait écho aux plus récentes théories d’anthropologie évolutionnaire développées dès les années 60, suite à la conférence « Man the hunter », attribuant aux femelles hominidés le rôle principal dans l’évolution de notre espèce, dans l’augmentation de la taille de notre cerveau, qui s’est accompagnée de coûts énergétiques croissants. Un tel phénomène est incompatible avec une domination masculine, avec des mâles dominants coureurs de jupons (philanderers) cherchant à inséminer le plus de femelles possible. Si tel avait été le cas, nous serions restés à l’état de chimpanzés. Au lieu de quoi, c’est la coopération, avec les premières coalitions femelles, comme nous le constatons chez les bonobos, qui nous a permis d’économiser suffisamment d’énergie en envoyant les mâles investisseurs chasser et ramener leur prise aux femelles, tout en développant l’alloparentage : le fait que tous les membres du groupe, mâles et femelles, prodiguent des soins à tous les enfants du groupe.
Cela dit, notre espèce peut effectivement se montrer agonistique : l’histoire le prouve amplement. L’altération des conditions écologiques et de la disponibilité de ressources est, entre autres, facteur de changement d’organisation sociale chez les humains. Lorsqu’au cours du néolithique, le recours à l’agriculture est devenu une nécessité, parfois conjointement à la chasse et la cueillette, et parfois en tant que principale source — déséquilibrée — de nourriture, la notion de possession s’est développée, en lien avec la frustration de travaux répétitifs, ennuyeux, sur un même lopin de terre (les chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui le disent : ils méprisent l’agriculture, ne l’adoptent jamais librement, mais toujours comme ultime recours), et avec elle la possibilité du vol et donc la nécessité de « défendre » sa propriété. En tout cas sur le temps long. Nombre de petites communautés agraires ont su rester égalitaires, jusqu’à ce que des projets de développement capitalistes ne viennent détruire leurs organisations, les chassant de leurs terres. Toutefois, la majeure partie des sociétés agraires sont devenues inégalitaires. Afin de faire face aux attaques de groupes de bergers nomadiques, également hiérarchiques (pour les mêmes raisons), les communautés durent recourir au mode d’organisation offrant les meilleures capacités défensives : la patrilocalité.
La patrilocalité est une organisation sociale dans laquelle les jeunes mariés doivent résider dans le village ou sur le territoire du père de l’époux. Cela signifie que tous les hommes et les garçons d’un même groupe restent dans le clan, tandis que les femmes viennent d’autres groupes s’installer chez eux. Ainsi se retrouve-t-on avec des hommes qui se connaissent depuis toujours, ont l’habitude de combattre ensemble et d’organiser la défense du territoire. Une telle organisation garantit davantage de sécurité et de protection pour les terres et possessions du groupe, mais au détriment des femmes, qui se retrouvent comme étrangères les unes des autres, au milieu d’hommes rodés à l’agression et au combat. La socialisation principale n’est plus celle du partage et de l’égalité via des coalitions de femmes et d’hommes. Des coalitions d’hommes violents l’emportent, les femmes ne font plus le poids.
Le monde occidental, patrilocal jusqu’à hier, demeure inégalitaire, spoliateur et violent. Que nos modes de résidences aient évolué ne fait malheureusement aucune différence, le patriarcat a su se passer de la patrilocalité : notre civilisation demeure patriarcale dans l’essentiel de ses fondements et donc son fonctionnement général.
De plus, dans les pays hyperpatriarcaux tels que l’Inde, Pakistan, l’Iran et la Chine rurale, dans lesquels les femmes sont encore considérées comme des fardeaux, des moyens d’échanges, des esclaves, des sous-humaines et sont encore sélectivement avortées et/ou tuées à la naissance, les ténèbres de l’agonisme et de la violence masculine demeurent et nous menacent. Les droits conquis ne sont jamais acquis.
Cela étant, nous ne sommes, en fin de compte, ni des bonobos ni des chimpanzés, mais des humains. Les différences majeures qui semblent exister entre ces deux espèces très proches, partageant près de 99.6% de leur ADN, nous rappellent que nous ferions mieux de ne pas confondre éthologie et ethnologie. Or, à en croire les archives archéologiques et l’anthropologie, notre passé de chasseurs-cueilleurs — qui, de bien des manières, évoque les bonobos — nous a vu évoluer dans — nous a formés pour — des conditions sociales plutôt égalitaires, fondées sur le partage et la coopération.
D’ailleurs, les multiples calamités sociales et écologiques que l’on constate actuellement résultent en partie du fait que nous nous trouvions aujourd’hui plongés dans un milieu social et écologique n’ayant rien à voir avec celui dans lequel nous avons prospéré, dans lequel nos corps ont été façonnés — les innombrables « maladies de civilisation » en témoignent lourdement. Autrement dit, la civilisation, dans ses fondements même, va à l’encontre de l’essentiel des attentes ou prédispositions biologiques (évolutionnaires) de l’être humain (existence sédentaire, toujours plus hors-sol, alimentation lourdement inappropriée, (non-)activité journalière également lourdement inappropriée, vêtements inappropriés (chaussures), etc., qui génèrent toutes sortes de maux, de problèmes de santé et sociaux).
Ce qu’on constate, donc, c’est que pour justifier des horreurs humaines (notamment) caractéristiques de la civilisation au moyen d’un appel à la nature, d’arguments puisés dans la biologie évolutionnaire, ils sont nombreux. Tandis que pour remarquer cette évidence que la civilisation tout entière contredit lourdement la biologie évolutionnaire, il n’y a plus personne.
Aussi, tout porte à croire que nos problèmes perdureront aussi longtemps que nous ne parviendrons pas à retrouver les conditions sociales et écologiques auxquelles nous sommes particulièrement adaptés — notre habitat naturel. Ou à trouver un moyen de nous en rapprocher le plus possible — le voyage dans le temps n’étant pas encore à l’ordre du jour. La cognition de l’être humain est propice à l’inventivité et à la création. Cessons de nous adapter au pire, créons les conditions du mieux. Cela commence par refuser et dénoncer la violence et les abus dont nous sommes témoins, et former des coalitions avec celles et ceux qui en sont les victimes. Les vrais hommes s’inspirent des bonobos, pas des chimpanzés.
Audrey A. & Nicolas C.
NdT : Nous partageons environ 98,7% de notre ADN avec eux, comme avec les chimpanzés. ↑
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