« 89. (…) Il résulte des travaux parlementaires qu’en ayant recours à la notion d’identité de genre, le législateur a entendu viser le genre auquel s’identifie une personne, qu’il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l’état-civil ou aux différentes expressions de l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin. »
« 102. En premier lieu, d’une part, il ressort du paragraphe 89 que la notion d’identité de genre est suffisamment claire et précise pour que soit respecté le principe de légalité des délits et des peines[1]. »
« Les réformes adoptées en 2016 ont certes assoupli les modalités de la modification de sexe, et intégré le terme d’identité de genre au droit positif, mais elles l’ont fait d’une façon discrète et parfois même quasi accidentelle. Dans l’adoption de nouvelles dispositions civiles et pénales (II.1), un acteur clef a été à la manœuvre, le Défenseur des droits, mobilisant l’identité de genre comme une “évidence” que le droit ne pouvait que reconnaître (II.2). Par là même, le cas français illustre bien les modalités de la performativité du droit par lesquelles un fait social, qui n’a pas encore entièrement trouvé son nom, émerge et se construit tout à la fois comme la traduction d’une évidence[2]. »
Les mythes patriarcaux sont des performances du réel qui sont « performatives » au niveau juridique. Le mythe patriarcal ne rend pas réel quelque chose qui n’existe pas. Le mythe n’a pas de pouvoir magique, mais il a le pouvoir (kratos) de domination et donc, le pouvoir de coercer. Le mythe patriarcal, c’est la transformation de la violence directe en violence structurelle. Le mythe patriarcal, c’est une institution du sens et de la réalité sociale (le construit). Aussi, la violence précède le mythe et précède l’institution du mythe. L’institution du mythe, c’est la loi. Les premiers corpus de lois étaient des instruments de pacification ; il fallait « pacifier » les peuples conquis par la violence, pour que les seigneurs de guerre qui les avaient conquis puissent jouir de leur conquête. Il fallait permettre la colonisation des territoires et l’exploitation des occupantes de ces territoires.
Pour assurer la transmission par filiation patrilinéaire et patriarcale des butins et propriétés amassées, les seigneurs de guerre ont eu besoin d’imposer un corpus de lois visant à contrôler la sexualité des femmes et à rendre visible un lien de filiation qui pouvait être incertain, contrairement à la filiation matrilinéaire antérieure qui ne laissait aucun doute planer sur les « liens du sang ». L’invention de la fiction juridique est une réponse à l’accumulation primitive capitaliste d’emblée mise au service des hommes, pour la transmission de leurs biens à leurs enfants mâles. Plus tard, les Romains, entre autres, avaient très couramment recours à la fiction juridique de l’adoption pour consolider et étendre leur pouvoir et leurs richesses à l’extérieur ou au sein d’une même famille naturelle (comme le fait d’adopter son neveu ou son cousin, même si l’adoptant est plus jeune que l’adopté), de manière à pouvoir transmettre le « patrimoine ». La fiction juridique ne change pas l’ADN des personnes et votre oncle ne transmute pas en votre géniteur parce qu’un sceau administratif le déclare. En revanche, le fils de votre sœur tombe sous le régime des droits de succession en vigueur entre un père et un fils à toutes fins utiles.
Les experts en droit (probablement au masculin) se sont accordés sur une définition juridique de l’identité de genre. Ils se sont confrontés à une difficulté d’ordre ontologique : définir l’identité de genre c’est définir et déterminer quelque chose qui n’existe pas. Qui ne se perçoit pas. Qui ne s’analyse pas. Quelque chose qui relève de l’ordre de l’intime et de la subjectivité, dont la plus proche occurrence est celle de la foi. En effet, la notion d’identité de genre pose de sérieux problèmes :
1. Une croyance métaphysique
Il peut s’agir d’une croyance métaphysique en la possibilité de posséder « une essence de femme » ou une « essence d’homme » qui ne correspondrait pas à votre corps sensible. Ceci est du platonisme et de l’essentialisme philosophique.
II. Une croyance pseudoscientifique
Il peut aussi s’agir d’une croyance pseudoscientifique en un cerveau mâle et un cerveau femelle, qui pourraient se trouver dans un corps du sexe opposé. Cette croyance relève du dualisme métaphysique corps/esprit, ou de la fiction du cerveau dans un bocal. Il s’agit encore une fois de platonisme. Ou encore, la croyance pseudoscientifique concernant la reproduction sexuée humaine selon laquelle « le sexe est un spectre ». Nombre de scientifiques et de personnes instruites prônent le créationnisme sous couvert de la théorie du Dessein Intelligent. Il en va de même concernant la théorie du spectre sexué. Dualisme philosophique, platonisme, créationnisme.
III. La pensée magique
L’identité de genre peut encore correspondre à une idée magique immature, portée et partagée par des adolescents et d’éternels adulescents sur internet, pour lesquels toute préférence individuelle pourrait correspondre à une « identité de genre » et la refléter. L’identité de genre s’apparente ici à la personnalité et comprend parfois, mais pas toujours, l’orientation sexuelle. Ainsi, diverses personnalités (ou absences de personnalités) alimentées et déterminées par un ensemble de goûts et/ou stéréotypes vestimentaires, musicaux, d’attractions pour des jeux vidéo, des animes, des séries, etc., constituent des niches de sous-culture éphémères. Des niches de sous-culture éphémères dont on change comme de chemise. Le genre est fluide. Il y aurait ainsi un nombre incalculable d’identités de genre et chaque jour voit son lot de nouveaux drapeaux se colorer.
« Dans ces conditions, les termes d’“identité de genre” utilisés par le législateur sont suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité. » / « Le Conseil constitutionnel, saisi par certains sénateurs en 2017, avait estimé que l’expression [identité de genre] était suffisamment claire et précise. » — Bon sang, mais c’est bien sûr. Même dans un article publié sur le site de la très respectable radio France Culture, on peut lire, assez clairement, que la notion d’identité de genre est a minima extrêmement floue :
Nonobstant les aspects affabulatoires de cette notion pourtant bien en vogue, comment a‑t-on pu légiférer, dans une démocratie laïque requérant un consensus universel pour que coexistent en multiculturalisme des religions et des croyances protégées par la loi, sur une croyance métaphysique qui relève de la foi, de la subjectivité, d’une perception et d’une interprétation individuelle et intime du monde et de soi-même, et qui est propre à chaque individu déclarant posséder une identité de genre ?
Pour la Constitution, l’identité de genre d’une personne renvoie au genre auquel s’identifie la personne. Si vous ne comprenez pas bien de quoi il s’agit, et pour une meilleure définition, consultez l’entrée tautologie dans un dictionnaire.
La notion d’identité de genre, intrinsèquement confuse, est très simplement devenue — presque par accident — une fiction juridico-légale imposée à tout.es les citoyen.nes. Son enseignement (prosélytisme) aux nouvelles générations, sans que ne soit prévu aucun garde-fou critique, risque de se retrouver — c’est déjà le cas aux États-Unis et au Royaume uni — dans les programmes éducationnels comme s’il s’agissait de quelque chose de réel, aux côtés de la théorie de l’évolution (qui, en dépit de ses biais androcentrés, a au moins le mérite d’avoir un pied dans la réalité, tandis que l’identité de genre est une notion métaphysique entièrement hors-sol).
En définissant juridiquement l’identité de genre — sur laquelle rappelons-le, les églises transactivistes et non binaires ne sont pas capables de s’accorder, ni même entre paroisses — le législateur a de fait créé une nouvelle religion d’État qui ne dit pas son nom. L’identité de genre est devenue l’opium d’une partie de la population en proie au malaise qu’il y a à vivre dans une société sexiste, misogyne et homophobe. Les conséquences de sa mise en application à toute fin utile, que nous avons suffisamment évoquées (la destruction des espaces réservés aux femmes : listes paritaires, vestiaires, sport féminin, foyers, etc.), ne dérangent bien évidemment pas les hommes, n’ont aucun impact sur leurs espaces et leurs vies.
Conclusion
Pour citer à nouveau l’article très complet d’Alexandre Jaunait, « Genèses du droit de l’identité de genre. Approche des configurations sociojuridiques », paru dans Droit et société 2020/2 (N° 105) :
« L’entrée dans le droit participe de nouvelles subjectivations formées dans le rapport aux institutions, les catégories juridiques et les groupes de personnes catégorisées se constituant mutuellement sous la forme d’un “nominalisme dynamique” décrit par le philosophe des sciences Ian Hacking […]. »
Beaucoup de mots pour dire « on vient de réifier dans le droit une catégorie fictive qui, de manière performative, va fabriquer de nouveaux croyants. » Autrement dit et afin d’être claire pour tout.es celles et ceux qui parlent la langue de Molière et non celle du pouvoir, comme l’a très doctement rappelé Nicolas Casaux : « Quand tu ouvres un Mac Do quelque part, même si ce n’est pas de la vraie nourriture, des gens vont aller y manger. »
Audrey A.
- https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2016745DC.htm ↑
- https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2020–2‑page-429.htm ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage