Il considère que son gouvernement est le plus ambitieux de tous les temps en matière d’immigration, et n’attend qu’une hausse des cibles du Québec pour y faire venir plus de nouveaux arrivants. Le nouveau ministre fédéral de l’Immigration, Sean Fraser, a partagé avec Le Devoir sa vision de ce qu’il compte faire avec le système d’immigration canadien.
Délais colossaux, accumulation de dossiers non traités, qualité des services décriée, règles changeantes : le ministère fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté (IRCC) a été l’un des plus critiqués depuis le début de la pandémie. C’est pourtant l’une des fiertés du gouvernement Trudeau, dit M. Fraser, qui convient que « faire croître le système au rythme et à l’envergure que nous souhaitons va créer certains défis ».
Jeune député de 37 ans, ministre depuis octobre, il a grandi dans une communauté rurale de la Nouvelle-Écosse, où le dépeuplement n’a pu être freiné que par un apport de nouveaux arrivants dont les familles regarnissent peu à peu les écoles. « L’immigration va toucher tous les aspects de la vie telle que nous la connaissons ici au Canada, pour tout avenir prévisible. »
Il y a rarement eu autant d’emplois disponibles dans notre histoire, note-t-il à propos de la pénurie de main-d’œuvre. Pour se remettre économiquement de ces derniers mois difficiles, sa solution est donc de miser sur davantage d’immigration.
Hausse des cibles québécoises
Qu’en est-il pour le Québec ? « Je crois que le Québec est conscient du besoin de recourir à l’immigration pour s’assurer que les entreprises trouvent des travailleurs », expose le nouveau responsable du dossier à Ottawa.
Le Québec a diminué ses cibles d’immigration depuis 2019, au moment où Ottawa ambitionne d’accueillir un nombre record de 1,2 million d’immigrants d’ici 2023. La province est en rattrapage après la diminution des arrivées en 2020 à cause de la pandémie, mais accueille quand même moins que sa part démographique.
Sean Fraser se garde de critiquer la province, mais formule quelques encouragements à faire plus. « S’ils veulent augmenter ce nombre, croyez-moi, je suis plus que prêt à collaborer avec eux », dit M. Fraser, qui rappelle que c’est la province qui transmet ses cibles au gouvernement fédéral.
Le ministre Fraser s’apprête justement à rencontrer, jeudi, son homologue québécois, le ministre Jean Boulet, avec lequel il se dit prêt à discuter de « n’importe laquelle de ses priorités ».
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement de François Legault a énoncé à plusieurs reprises sa volonté de « rapatrier » la totalité du programme des travailleurs étrangers temporaires. Pour le ministre fédéral, les rôles seront « toujours partagés », mais il garde la possibilité pour Québec de « signaler les candidats prioritaires » pour les postes temporaires.
Réfugiés afghans
Autre dossier chaud dont hérite le ministre Fraser : l’accueil de 40 000 réfugiés afghans, une promesse électorale des libéraux déjà entachée de retards.
Actuellement, à peine 10 % des réfugiés promis sont bel et bien arrivés au Canada. « Aujourd’hui, c’est 4700 [réfugiés afghans arrivés]. D’ici la fin de la semaine, il y en aura 520 de plus », précise-t-il, en disant croire que le programme prendra sa vitesse de croisière.
Pas question, selon lui, de comparer l’opération afghane à celle de réinstallation des réfugiés syriens en 2015. « Nous n’avons pas de présence en Afghanistan », a rappelé le ministre, en évoquant la difficulté de composer avec les talibans. « Ils n’ont aucune expertise en logistique et en déplacement de personnes, ils ne savent pas comment gérer un aéroport de manière professionnelle, l’infrastructure sur le terrain n’est tout simplement pas là. »
Les 25 000 réfugiés syriens réinstallés par un gouvernement libéral précédent étaient pour la plupart dans des camps administrés par les Nations unies. Cette fois, « l’un des principaux goulots d’étranglement est la capacité de nos partenaires sur le terrain à référer des réfugiés ».
Une machine mal huilée ?
Toutes catégories confondues, 1,8 million de dossiers seraient toujours en attente de traitement, selon IRCC. Au Québec, environ 50 000 personnes attendent leur résidence permanente, et les délais sont de trois ans en moyenne, soit bien plus longs qu’ailleurs au Canada.
Ce problème de délais a été exacerbé par la pandémie, avance Sean Fraser. L’une des solutions est le virage numérique du système, qui traite encore des dossiers sur papier à l’heure actuelle. Il souhaite également embaucher encore plus de personnel pour traiter les dossiers.
« Mais on ne fait pas pivoter un navire de 90 degrés en 10 secondes », insiste le ministre. « Vous devez le prendre centimètre par centimètre et vous déplacer aussi rapidement que possible, de manière à maintenir la capacité de fonctionnement du système. »
Immigration francophone
Encore faut-il que le pays réussisse à faire venir des immigrants francophones. Plus de 75 000 d’entre eux auraient été nécessaires pour maintenir le poids des francophones hors du Québec, a récemment souligné le commissaire aux langues officielles.
Plusieurs politiciens québécois ont aussi vu une « discrimination » dans la hausse du taux de refus de permis des étudiants africains francophones, comme Le Devoir l’a révélé.
« Ce n’est certainement pas une décision délibérée de réduire l’immigration francophone, mais il est clair que nous avons un problème sur lequel nous devons travailler », concède le ministre Fraser. Avec l’énergie du nouveau venu dans ces dossiers, il dit cependant y voir « une opportunité » : les étudiants étrangers s’intègrent bien, tant sur les plans linguistique que professionnel, mentionne-t-il.
Une autre avenue pour augmenter cette immigration est de se tourner vers des bassins de réfugiés francophones, dit M. Fraser.
Le nouveau ministre refuse de brosser un portrait pessimiste du système d’immigration canadien. Il défend les critères « objectifs » utilisés pour juger les candidats à l’immigration, mais il convient que ceux-ci engendrent « un résultat systémique » envers les ressortissants des pays les plus pauvres. Il faut donc aller au-delà de ce résultat, dit-il, sans compromettre la protection du système en place.
« Il n’y a pas, à travers le monde, de pénurie de gens qui veulent devenir Canadiens, et nous restons une destination de choix », conclut-il.
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