Solidarité avec l’École Joseph-François Perrault

Solidarité avec l’École Joseph-François Perrault

À un premier soutien exprimé par courriel à Pascal Côté, enseignant à l’École Joseph-François Perrault dont il dirige la chorale et l’orchestre, il a ainsi répondu:
Tous sont bouleversés à l’école et dans le quartier. On pose de petits gestes chaque jour en la mémoire de Thomas Trudel pour aider la solidarité entre ses camarades. Comme l’enquête policière exige le contrôle d’information par le CSSDM, nous avons par conséquent interdiction de parler aux médias pour le moment. Mais nous avons bien hâte de lire votre texte de condoléances et de le partager avec les élèves, car réconfort et encouragements nous font du bien. Merci pour ton soutien, Pierre, et votre soutien, chers Artistes pour la Paix.
 

Politiciens ou trop souvent, l’art de noyer le poisson

Cher Pascal, tes condisciples apprécient sûrement les condoléances exprimées avec sincérité au Québec par Geneviève Guilbeault et François Legault, à Montréal par la mairesse Valérie Plante et au Canada par Pablo Rodriguez et Justin Trudeau. Mais si l’indignation partagée entre politiciens et citoyens reflète bien l’émotion suscitée par la mort de votre Thomas, nous peinons à distinguer une cohésion dans les moyens à être mis en œuvre entre les trois paliers de gouvernements pour freiner ces épouvantables morts évitables qui s’accumulent chez nos jeunes.

Le blâme unilatéral adressé à Ottawa par la vice-première ministre du Québec nous met légèrement mal à l’aise. Car si son discours vise avec raison la mort au feuilleton du projet de loi C-21 à cause du déclenchement d’élections fédérales inutiles, il ne fait principalement qu’endosser sa première mesure de faire passer de 10 à 14 ans d’emprisonnement les peines maximales pour le trafic et la contrebande d’armes à feu. Cette répression peut-elle représenter la solution à la délinquance des gangs armés? Nous en doutons fortement. Will Prosper, hélas non élu, recommandait d’impliquer les jeunes marginalisés dans des activités communautaires culturelles et sportives : ceci nous semble la voie efficace à emprunter, même si on est conscients que cette action ne portera que sur le long terme.
 

L’action soutenue des Artistes pour la paix

N’est-ce pas le cas de toute solution de paix ? C’est un discours que nous portons depuis 1983, en constatant avec peine que les médias ne le relaient plus, contribuant ainsi par cette censure à l’isolement et au désespoir des jeunes qui s’y identifiaient.

À la fin des années 80, nous lancions avec Antonine Maillet une pétition contresignée par la Corporation des psychologues, les évêques, le maire de Montréal Doré, l’organisme Pacijou et 160 000 signataires, à savoir que si vous êtes un enfant ou ado fragile psychologiquement, avec en plus un accès à des armes, vous risquez d’être influencé par ces films qui se terminent en fusillades pour voir aussitôt « le bon » embrasser sa femme éplorée et ses enfants, tandis que les voisins retrouvent automatiquement la paix et le sourire. Peut-on s’étonner qu’un jeune perturbé voie dans le maniement d’une arme la solution rêvée à ses problèmes qui s’accumulent et dont il ne parle à personne, s’il manque d’encadrement ? La différence culturelle québécoise aux émissions nuancées (les comédiens de Chambres en ville s’étaient joints à nous !) saute aux yeux avec la télévision anglophone tributaire de séries policières américaines mettant en valeur poursuites automobiles et fusillades. Et notre action d’alors s’était conclue par la remise volontaire et symbolique de treize mille jouets de guerre par des jeunes en marche pour la paix.
 

Depuis le féminicide de Polytechnique en 1989, nous avions aidé à l’élaboration du projet de loi C-68 sur le contrôle des armes à feu, en collaboration avec Heidi Rathjen, notre président d’honneur Jean-Louis Roux et le ministre libéral Allan Rock. Cette loi fut hélas mise en application par un policier collectionneur d’armes exigeant la rédaction de formulaires d’enregistrements inutilement élaborés, qui ont extraordinairement compliqué le processus, en outre vicié par des outils informatiques défectueux. Notre résistance s’est alors poursuivie par la création de la Fondation le Silence des armes, présidée par Marie-Claire Séguin et le sculpteur Alex Magrini, tous deux nommés artistes pour la paix de l’année 1994 et 95, qui ont pu compter sur la totale collaboration des polices de Montréal, Chicoutimi et Québec, sans compter les retombées médiatisées en Haïti, en Belgique et aux Pays-Bas.
 

Sabotage conservateur mais réaction québécoise

Hélas influencé par le réformiste Harper, le gouvernement conservateur a ensuite entrepris la croisade rétrograde de la loi C-19 nous ramenant à l’époque du Far-West, au grand plaisir des vendeurs d’armes et de cercueils. Tous les partis politiques de l’Assemblée nationale du Québec ainsi que La Coalition pour le contrôle des armes de Wendy Cukier (Toronto) y ont immédiatement réagi en menant le combat de 2012 pour sauvegarder les données du registre des armes à feu, grâce à un arrêté obtenu de la Cour supérieure du Québec. Malgré son total désintérêt pour toutes les opérations de désarmement de l’ONU et ses tergiversations coupables, nous gardons espoir que le gouvernement Trudeau revienne à la charge avec une loi C-21 qui veille efficacement à notre sécurité, grâce aussi à un soutien financier appréciable promis aux programmes CENTAURE du Québec et BRIGADE ELTA de Montréal, ainsi qu’aux agents frontaliers dont la vigilance pourrait empêcher les armes illégales américaines d’inonder le pays, en particulier les armes de poing.
 

Marche du 20 novembre

Ce qui précède avait été écrit le 16 novembre. Le 20, a eu lieu une marche de solidarité envers l’école JF Perrault. Devant les manifestants, la nouvelle mairesse de Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, Laurence Lavigne Lalonde, a pressé Ottawa de resserrer les contrôles aux frontières pour limiter l’entrée d’armes à feu illégales au pays, ce qui lui a valu des applaudissements nourris. M. Pablo Rodriguez a assuré que des mesures sont déjà prises en ce sens. « On augmente le nombre d’agents [à la frontière]. Ils sont mieux équipés pour débusquer les armes cachées. Ils vont avoir une meilleure capacité d’enquête et de traçage aussi ». (…). Mais Ottawa renonce à interdire les armes de poing, à l’échelle du pays, quoique le gouvernement fédéral s’engage à soutenir financièrement Québec s’il décide d’agir en ce sens, a dit M. Rodriguez. Bref, division entre le Québec sensibilisé et le Canada anglais à la culture influencée par les Américains, disions-nous plus haut en déplorant en outre la censure appliquée à notre organisme.

La Ville de Montréal promet d’améliorer le financement des groupes communautaires et des infrastructures publiques de Saint-Michel, comme ses parcs et ses bibliothèques, a indiqué Laurence Lavigne Lalonde, de Projet Montréal. Elle a par ailleurs demandé à Québec d’augmenter le financement dédié aux activités parascolaires dans les écoles. Nous avons tous une responsabilité. Les messages sont clairs », a insisté la mairesse d’arrondissement. Le député solidaire de Laurier-Dorion, Andrès Fontecilla, a souligné l’importance de trouver un équilibre entre la répression du crime et sa prévention. « On doit réprimer davantage [la violence par armes à feu] sans tomber dans le profilage, mais on doit financer des politiques publiques dans tous les secteurs afin d’éloigner les jeunes de la culture de la violence », a-t-il fait valoir au Devoir, samedi (merci à l’article informé de Zacharie Goudreault). « Quand j’entends les organismes communautaires nous dire qu’ils ont besoin d’aide, qu’ils ont besoin d’accompagnement, nous dire qu’on doit en faire plus en prévention, je pense que collectivement, on peut faire un bout de chemin ensemble », a déclaré la cheffe libérale Dominique Anglade, visiblement émue.

Le meurtre de Thomas Trudel représente le 31e homicide à survenir à Montréal depuis le début de l’année. Le jeune homme compte parmi les trois adolescents victimes d’un homicide sur la place publique: le 18 octobre dernier, Jannai Dopwell-Bailey, lui aussi âgé de 16 ans, a été poignardé à mort devant son école de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, tandis que Meriem Bendaoui a été la victime collatérale d’une fusillade en février dernier. Elle avait 15 ans.

Veuille, cher Pascal, avec toute ton école affligée, recevoir l’expression renouvelée de notre sympathie émue,
 

Pierre Jasmin
Secrétaire-général
Les Artistes pour la Paix

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