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par Thierry Meyssan.
2014: La France met à disposition des Forces spéciales et la multinationale Lafarge. Un bref retour en arrière est ici nécessaire. En juin 2008, l’OTAN organisait la réunion annuelle du Groupe de Bilderberg à Chantilly (États-Unis) au cours de laquelle Hillary Clinton et Barack Obama se présentèrent aux participants. Parmi les 120 présents se trouvaient Basma Kodmani (la future porte-parole de la Coalition nationale syrienne) et Volker Perthes (le futur assistant de Feltman à l’ONU pour la Syrie). Lors d’un débat sur la permanence de la politique étrangère états-unienne, ils intervinrent pour présenter l’importance des Frères musulmans et le rôle qu’ils pourraient jouer dans la « démocratisation » du monde arabe. Jean-Pierre Jouyet (le futur secrétaire général de l’Élysée), Manuel Valls (le futur Premier ministre) et Bertrand Collomb (le patron de Lafarge) étaient présents aux côtés de Henry R. Kravis (le futur coordinateur financier de Daech).
Revenons à notre histoire. Lafarge est le leader mondial des cimentiers. L’OTAN, – pour qui il a déjà secrètement travaillé en 1991 – lui confie la construction des bunkers des jihadistes en Syrie et la reconstruction de la partie sunnite de l’Irak. En échange, Lafarge laisse l’Alliance gérer ses installations dans ces deux pays, notamment l’usine de Jalabiyeh (à la frontière turque, au nord d’Alep). Durant deux ans, la multinationale fournit les matériaux de construction de gigantesques fortifications souterraines qui permettent aux jihadistes de défier l’armée arabe syrienne. Lafarge est désormais dirigé par l’États-unien Eric Olsen qui a intégré dans la compagnie les usines des Frères Sawiris et de Firas Tlass (le frère du général Manas Tlass dont la France avait songé faire le prochain Président syrien). Les liens entre Lafarge et les Forces spéciales françaises sont facilités par l’amitié qui lie Bertrand Collomb (devenu président d’honneur de la multinationale) et le général Benoît Puga (qui est toujours chef d’état-major du Président Hollande).
Lorsque le journal en ligne Zaman Al-Wasl publiera des éléments montrant que Lafarge verse de l’argent à Daech, le quotidien Le Monde viendra en renfort. Il publiera sa version des événements, assurant que la multinationale payait du pétrole pour faire tourner son usine. Ce qui est faux car cette installation fonctionne principalement au coke, qui continuait à être livré depuis la Turquie. Le Monde reconnaît cependant, probablement sans s’en rendre compte, que Lafarge construisait les fortifications de Daech dans la mesure où il admet que les 2,6 millions de tonnes de ciment produites annuellement étaient destinées aux « zones rebelles ».
La quantité de ciment produit par Lafarge pour Daech – au moins 6 millions de tonnes – est comparable à celle utilisée par le Reich allemand, en 1916-17, pour construire la Ligne Siegfried. Depuis juillet 2012, il s’agissait donc non plus d’une guerre de quatrième génération masquée en révolution, mais d’une classique guerre de position. Cette production cessera avec l’intervention de l’aviation russe, seule capable de détruire ces bunkers. À ce moment-là, l’usine de Jalabiyeh sera transformée en quartier général des Forces spéciales de l’OTAN (États-Unis, France, Norvège, Royaume-Uni).
Le 7 janvier 2015, deux individus habillés comme des commandos militaires et se réclamant d’Al-Qaïda assassinent à Paris des membres de la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie-Hebdo, tandis qu’un troisième se réclamant de Daech tue une policière et prend en otage les clients d’une supérette casher. Comme à l’habitude depuis le 11-Septembre, les terroristes sèment derrière eux des indices permettant leur identification, en l’occurrence des papiers d’identité. Le gouvernement surjoue sa réaction et le pays entier cède à la stupeur, puis à la frayeur. Le Président Hollande et des chefs d’État manifestent avec plus d’un million et demi de Français au cri de « Nous sommes tous Charlie ! » Parmi eux, les principaux alliés de la France contre la Syrie : Benyamin Nétanyahou (Israël) et Ahmet Davutoglu (Turquie), qui soutiennent publiquement les jihadistes. Comme je conteste cette mise en scène et que de nombreuses personnes refusent d’« être Charlie », la directrice de l’Information de France2 Nathalie Saint-Criq intervient au journal télévisé pour fustiger les complotistes qu’il faut « repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale ». Par la suite, on apprendra que les terroristes ont acheté leurs armes à un ex-mercenaire travaillant pour la police et l’enquête sera interrompue par le « secret Défense », que deux d’entre eux ont été formés par un agent de la DGSE, et que les chefs d’État ont posé à part pour les photographes, mais n’ont jamais défilé dans Paris. Peu importe, le gouvernement décrète l’état d’urgence qui est approuvé par le Parlement. Il est étendu non seulement à la France métropolitaine, mais aussi aux départements et territoires d’outre-mer. Il est reconduit quatre fois et se prolonge toujours sur le modèle de l’USA Patriot Act.
En application du Traité secret Juppé / Davutoglu, François Hollande envisage la création d’un « Kurdistan » en dehors des territoires kurdes historiques, il organise une entrevue secrète à l’Élysée, le 31 octobre 2014, entre son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan et le coprésident des Kurdes de Syrie, Salih Muslim, auquel il promet la présidence du futur État. Cependant, lorsque début 2015, l’autre coprésidente des Kurdes de Syrie, Asya Abdullah, remporte la victoire de Kobané et est encensée par les États-uniens, Hollande la reçoit publiquement, le 8 février 2015, accompagnée d’une autre femme officier en uniforme.
Ce retournement de circonstance provoque la fureur de Erdogan qui commandite les attentats du 13 novembre à Paris. Au second étage du Bataclan, des otages sont torturés et mutilés, d’autres décapités. Penaud, François Hollande interdit la publication de cette information pourtant attestée par des policiers devant une commission parlementaire. Patrick Calvar, le directeur central du contre-espionnage, témoignera devant une commission parlementaire que ses services ont identifié l’État donneur d’ordre. Fuyant ses responsabilités, le Président organisera de larmoyantes cérémonies de commémoration et persuadera ses concitoyens que le terrorisme est un inévitable fléau. Il instituera une médaille de « reconnaissance aux victimes du terrorisme », et indemnisera le « préjudice d’angoisse de mort imminente » et même le « préjudice d’attente ». Mais il n’entreprendra aucune action contre la Turquie. Celle-ci commanditera un autre crime, cinq mois plus tard, contre la Belgique à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem et devant le siège de la Commission européenne, à l’endroit exact où le PKK venait de manifester.
Loin de masquer sa responsabilité, Recep Tayyip Erdogan prononce un discours retentissant lors des cérémonies du 101e anniversaire de la bataille de Çanakkale (« la bataille des Dardanelles »), soit quatre jours avant les attentats contre la Belgique. Il y accuse les Européens de soutenir le PKK et annonce ce qui va se passer à Bruxelles. Le lendemain de l’attentat, la presse de l’AKP (Star, Akit, Internethaber) clame que les Européens n’ont que ce qu’ils méritent.
Pour donner l’impression qu’elle est à l’initiative contre Daech, la France déploie le porte-avions Charles de Gaulle, successivement en février / mars et en novembre / décembre 2015. Il est escorté d’une impressionnante armada et pourvu de 32 appareils (drones, hélicoptères et avions). Lors de sa seconde mission, le Président Hollande se rend à bord et souligne que le bâtiment commandera un dispositif international d’envergure. En réalité, les Français ont été intégrés à la Task Force 50 de l’US NavCent, c’est-à-dire à la flotte de l’US Central Command. Certes, la soixantaine de bâtiments est commandée par le contre-amiral René-Jean Crignola, mais celui-ci est placé sous l’autorité du commandant de la Ve Flotte, le vice-amiral Kevin Donegan, lui-même placé sous les ordres du général Lloyd J. Austin III, commandant du CentCom. C’est en effet une règle absolue de l’Empire, le commandement des opérations alliées échoit toujours à des officiers états-uniens, les Européens n’étant que des supplétifs.
Fin 2015, la France envoie son Premier ministre, Manuel Valls, récolter de l’argent facile en Arabie saoudite. On reparle des 3 milliards de commandes pour l’armée libanaise et de 10 milliards d’autres contrats. Mais les Saoudiens sont furieux de l’accord sur le nucléaire iranien – que les Français s’étaient engagés à saboter – et n’apprécient guère les hésitations de Paris en Syrie. Les Français s’avèrent n’être que des vassaux coûteux et inefficaces. La moisson sera donc bien moindre que prévue et les « cadeaux » également.
Début 2016, les Français ne bronchent pas lorsque François Hollande nomme Laurent Fabius président du Conseil constitutionnel. Ils tranchent en cela avec les Iraniens. Ceux-ci l’ont reçu après la signature de l’accord nucléaire avec les 5+1. Il espérait nouer des relations d’affaires bien qu’il ait tenté de saboter l’accord durant des années et avoué, lors d’un dîner, avoir espionné au profit d’Israël auquel il transmettait au fur et à mesure un compte-rendu des négociations. Il fut donc accueilli avec les honneurs protocolaires dus à son rang par les autorités tandis que les associations révolutionnaires manifestaient sur son passage, de son arrivée à l’aéroport à son départ. Elles brandissaient des pancartes rappelant aussi bien sa responsabilité dans la mort de plus de 2 000 hémophiles, en 1985-86, que son soutien à Al-Qaïda qui « fait du bon boulot » tuant plusieurs dizaines de milliers de Syriens.
Jean-Marc Ayrault le remplace comme ministre des Affaires étrangères. Très préoccupé par le fossé qui se creuse entre la France et l’Allemagne, il consacre son énergie à éviter leur séparation. Ce faisant, il sacrifie le dossier syrien et, après quelques semaines d’hésitation, décide de tenir les positions de ses prédécesseurs, Juppé et Fabius.
Ayrault n’entretient aucune relation avec le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, et traite directement avec François Hollande qui prend lui-même en charge la question syrienne.
Si Ayrault est un soutien modéré d’Israël, Valls est beaucoup plus dur sur la question. Il entre ainsi en conflit avec le Président Hollande à propos des travaux archéologiques entrepris par Tel-Aviv à Jérusalem au détriment des monuments musulmans. Autrefois engagé pour la cause palestinienne, il attribue son retournement à son mariage à la violoniste juive Anne Gravoin.
Lors de la fête nationale, le soir du 14 juillet 2016, un individu se réclamant de Daech, Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, écrase avec un camion les passants au hasard sur la promenade des Anglais, faisant 86 morts et 484 blessés. Bien que jamais, nulle part, personne n’ait réussi à tuer et blesser tant de gens avec un véhicule, les enquêteurs assurent que l’homme n’a reçu aucune formation particulière et agissait seul. Pourtant sa famille en Tunisie venait de recevoir 100 000 euros, sans que l’on cherche à savoir qui a payé ce crime. Alors que l’on est en état d’urgence, il s’avère que le terroriste a pu agir d’autant plus facilement que 60 gendarmes avaient été déplacés de Nice à Avignon pour assurer la sécurité du Président Hollande qui dînait avec des comédiens.
À Paris, on commente la percée des jihadistes en Syrie en soulignant que le régime ne contrôle désormais plus que 20 % du territoire et va bientôt tomber. En réalité, les deux tiers de la Syrie sont un désert que personne ne contrôle, ni la République, ni les jihadistes. Le Président el-Assad a fait le choix de défendre sa population plutôt que son territoire. Au moins 8 millions de Syriens ont choisi de fuir les jihadistes et de se réfugier dans les villes de la République. Aucun n’est connu pour avoir fait le chemin inverse : des zones gouvernementales vers celles des jihadistes.
Aussi François Hollande est-il pris de fureur lorsque, en février 2015, il apprend le voyage à Damas de deux sénateurs, Jean-Pierre Vial (Les Républicains) et François Zocchetto (centriste), et de deux députés, Jacques Myard (Les Républicains) et Gérard B. (PS). Un deuxième voyage, en septembre 2015, amène à nouveau Gérard B., accompagné cette fois des députés Jérôme Lambert (PS) et Christian Hutin (Chevènementiste). Puis un troisième, en mars 2016, rassemble des députés (Les Républicains) autour de Thierry Mariani, avec Valérie Boyer, Nicolas Dhuicq, Denis Jacquat et Michel Voisin. Et enfin un quatrième, en janvier 2017, avec les mêmes et Jean Lassalle (centriste). Tous, sauf Gérard B., sont reçus par le Président el-Assad.
C’est que le socialiste B., lui aussi, est venu faire des affaires. Il représente la Grande Loge de l’Alliance maçonnique française (GLAMF) – dépendant directement du prince Edward, duc de Kent –, une scission de la Grande Loge nationale française (GLNF), créée par Alain Juillet (ancien responsable de l’Intelligence économique au Secrétariat général de la Défense nationale) pour le compte des Britanniques. Il rencontre des hommes d’affaires et leur promet de faire supprimer leur nom de la liste des sanctions européennes, contre des dessous-de-table sonnants et trébuchants. Bien sûr il n’a aucun pouvoir en la matière. Il est accompagné d’un autre escroc, Jérôme Toussaint, aujourd’hui emprisonné en France.
Le troisième voyage met en lumière la présence en Syrie de l’association SOS Chrétiens d’Orient qui recrute principalement au Front national. Si ses bénévoles se dévouent sans compter – à leurs propres frais –, leur activité en faveur des seuls chrétiens liés à Rome établit une discrimination envers les orthodoxes. Les millions d’euros qu’ils disent récolter en France ne parviennent pas en Syrie. Les autorités religieuses locales commencent à s’énerver lorsque ces chrétiens d’Occident, renouant avec l’esprit des croisades, célèbrent une messe dans les ruines du Krak des Chevaliers, l’imposante forteresse croisée du xiie siècle. Les jeunes gens ignoraient qu’à l’époque, les chrétiens du Levant avaient défendu leur pays contre les envahisseurs croisés qu’ils assimilaient à des conquérants impérialistes.
En définitive, alors que la France s’enfonce dans le déclin, ses leaders ne parviennent pas à former un front anti-impérialiste, pourtant préalable indispensable à un relèvement économique. Seules quelques formations prennent position contre cette guerre coloniale : le Front national de Marine Le Pen et Florian Philippot, le Parti chrétien-démocrate de Jean-Frédéric Poisson, Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan, l’Union populaire républicaine de François Asselineau, le groupe des Républicains proches de François Fillon et la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
Privée d’informations de terrain depuis la fermeture de son ambassade, incapable d’analyser l’origine des événements, mais cherchant toujours à faire accroire qu’elle les initie, la France n’a évidemment pas prévu ce qui va suivre [l’entrée en scène de la Russie].
Extrait de Thierry Meyssan, Sous nos yeux, l’effroyable imposture des Printemps arabes, du 11 septembre à Donald Trump, éd. Demi-Lune, p. 58-63
source:https://plumenclume.org/blog/
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